Comment la science peut-elle faire saliver les élèves ? Anne Ciavatti Belpois, enseignante de SVT au collège Paul Eluard de Bonneuil-sur-Marne (94) a choisi l’art culinaire pour travailler sur le pH, la planète bleue et même les groupements carboxyles avec un gel issu d’algues. « Les sujets sont infinis : l’alimentation des astronautes, la conservation des aliments, l’alimentation à base d’insectes, la réaction de Maillard … », liste l’enseignante qui élabore « des gâteaux cerveau ou des corona cake pop ». Ses élèves ont même pu suivre un cours de cuisine moléculaire au centre français d’innovation culinaire avec le célèbre Thierry Marx. Au programme : fabrication d’arômes et étude du processus de gélification, de quoi inspirer Anne Ciavatti Belpois qui souhaite désormais tendre vers une démarche de développement durable.
Pourquoi ce lien entre cuisine et science ?
La cuisine est l’un des rares sujets qui préoccupe tout un chacun, qu’il soit question de survie, de plaisir, de santé, de carrière, de culture ou d’environnement. Elle est à la fois un art et une science. En tout point, on ne peut se passer de sciences lorsqu’il s’agit de cuisiner. Une infinité de concepts, de matériels, de techniques peut être illustrée, expliquée et utilisée en cuisine. Ce projet autour de la cuisine et des sciences me semble donc un support exceptionnel de réflexion et d’expérimentation avec les élèves et étudiants.
Quelles sont les activités proposées aux élèves durant cette approche ?
Elles sont nombreuses et on peut en imaginer une infinité. On peut par exemple travailler sur le pH en faisant changer la couleur d’une préparation de fruits rouges par variation de son pH. Pour cela, on peut utiliser du citron et du bicarbonate de soude. Ainsi une panna cotta au coulis de fruits rouge qui change de couleur peut se montrer une jolie expérience scientifique.
On peut encore utiliser des algues en tant que gélifiant, elles sont une alternative à la gélatine. On étudiera ainsi les liaisons chimiques faibles à l’œuvre et on pourra même aller jusqu’à l’étude de la structure d’un gel et étudier la liaison qui s’établit entre les groupements carboxyles de l’alginate de sodium et le calcium.
De façon simplifiée, on peut également modéliser la structure interne de la Terre en recherchant des recettes qui permettent de reproduire les différences de structure et de densité. Ainsi, on peut réaliser un « gâteau planète Terre ».
Les sujets sont infinis ; l’alimentation des astronautes, la conservation des aliments, l’alimentation à base d’insectes, la réaction de Maillard, cuire sans cuisson, les diagrammes floraux, les émulsions, etc.
Quel est votre secret pour réaliser un gâteau planète Terre ?
Si je le dis ce ne sera plus un secret ? Le gâteau planète Terre demande beaucoup de patience. Déjà, parce qu’il faut au moins une demi-journée pour le confectionner. Ensuite, parce que nous avons dû réaliser plusieurs essais avec les élèves avant de trouver des recettes réalisables (et mangeables !). Il ne faut donc pas avoir peur d’y passer du temps. Enfin, il faut avoir le bon matériel. Par exemple, l’achat de moules demi-sphère en silicone est, selon moi, incontournable pour le réussir.
Quelques mots sur la rencontre avec le chef Thierry Marx…
Thierry Marx nous a ouvert les portes des cuisines de son restaurant doublement étoilé « Le sur mesure » à Paris. Cette visite et nos échanges avec le chef ont été extrêmement instructifs. En effet, le chef Thierry Marx nous a expliqué sa philosophie culinaire qui comprend deux axes majeurs. D’abord l’inclusion de la cuisine dans une démarche de développement durable, notamment la réflexion autour de la cuisine de demain. Ensuite, l’intérêt pour l’innovation culinaire par et pour les sciences. Il travaille en étroite collaboration avec le chercheur en physico-chimie Raphaël Haumont (auteur des « papilles du chimiste »). De cette collaboration est né un livre qui est une ressource intéressante pour ceux qui s’intéressent au lien Science et cuisine : « Le répertoire de la cuisine innovante » (Flammarion).
Autre produit de cette symbiose originale entre un chef et un chercheur : le Centre Français d’Innovation Culinaire (CFIC). Ce centre va au-delà du lien sciences et cuisine puisqu’il met également en lumière l’interaction forte entre le monde de l’artisanat et le monde de la recherche. Le CFIC est un lieu de réflexion sur la cuisine du futur. Il permet donc un lien évident avec les programmes de sciences de tout niveau ainsi qu’avec le travail sur l’orientation que les élèves ont à réaliser au cours de l’ensemble de leur scolarité.
Sur les conseils du chef Marx nous sommes allés au CFIC pour suivre l’un de ses ateliers d’enseignement en cuisine moléculaire. Sur place, la réalisation de chromatographies sur plaque de silice, la fabrication d’arômes naturels et artificiels et l’étude du processus de gélification permettent de balayer un ensemble très large de compétences et notions des programmes de sciences du secondaire au supérieur.
En quoi cette approche peut rejoindre une démarche de développement durable ?
Les liens entre la cuisine et le développement durable sont multiples. Concernant le pilier de l’environnement, on peut travailler sur l’utilisation de ressources durables, sur l’impact d’une alimentation riche en viande en termes de rejet de gaz à effet de serre et de consommation d’eau, sur l’origine de nos aliments et la consommation d’aliments de saison, sur la production de déchets et le compostage, sur la permaculture, etc.
Concernant le pilier de l’économie, on peut travailler sur les économies d’eau, sur l’utilisation d’un produit dans sa globalité, sur le gaspillage à la cantine, sur les innovations technologiques, etc. Concernant le pilier de la culture on peut comparer les ressources alimentaires et la cuisine dans le monde, organiser des échanges de recettes entre des élèves de pays différents, travailler sur le lien arts-sciences-cuisine, etc.
Concernant le pilier de la société on peut travailler sur l’inclusion de personnes en situation de handicap dans les restaurants, sur l’insertion professionnelle, sur des projets solidaires avec des associations comme les Frigos solidaires ou les Restos du cœur, sur les labels alimentaires comme le label commerce équitable, etc.
La cuisine de demain s’impose comme un enjeu majeur en termes de développement durable et est un élément central sur lequel les générations actuelles et futures devront se pencher. Ce projet doit donc à mon sens (plus que « peut »), s’inscrire dans une démarche de développement durable.
Propos recueillis par Julien Cabioch
Le site d’Anne Ciavatti Belpois
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