Les inquiétudes ! Encore et encore…
Le corps des conseillers principaux d’éducation, né sous les cendres de feu surveillant général n’a jamais eu bonne presse, l’histoire dont il porte l’héritage est encore trop lourde. On pourrait, sans ironie, affirmer que le corps des conseillers principaux d’éducation constitue une aberration du système éducation, une hérésie puisqu’il émane de l’antagonisme instruction-éducation et de l’incapacité de l’école à gérer les faits et phénomènes hors pédagogie, hors apprentissages. Il y a trop souvent scission entre l’intérieur et l’extérieur de la classe, entre la formation des » pédagogues » et des » prétendus éducateurs « . Instruction est la partie noble, et l’éducation aurait pour objectif d’éteindre les velléités de déstabilisation de cette première. En fait, souvent les CPE et les personnels vie scolaire – et quand l’ampleur est trop conséquente, les chefs d’établissement – doivent pacifier l’établissement, faire taire les contestations, juguler les dysfonctionnements et parer au désordre scolaire pour que les cours s’assurent tranquillement.
Les CPE se perçoivent pourtant comme la dernière roue du carrosse, les pompiers de service et comme beaucoup, ils ne sentent pas reconnus. Certes le décalage de considération est financier, entre des enseignants qui ont droit à des heures supplémentaires (HSE ou HSA), des heures projets, toutes sortes de techniques et de ruses sont utilisées pour rémunérer leurs efforts et leur mérite, ; quant aux CPE, en fonction de la bonne volonté du chef d’établissement et de l’inspection académique, ils obtiennent péniblement quelques heures péri-éducatives. Et cela, quand le chef veut bien faire la demande et veut bien insister malgré le refus des services d’inspection.
Effectivement, comment se sentir reconnus, lorsque toute la bonne volonté déployée, les heures supplémentaires jamais récupérées, la disponibilité au service des élèves et des autres acteurs, lorsque l’engagement dans l’établissement et dans des projets se soldent en fin d’année entre 3 et 9,5 heures chichement accordées ? Même si l’on sait pertinemment que l’on ne fait point fortune en étant CPE et fonctionnaire, pas plus comme enseignants.
Comment se sentir reconnus lorsque ce corps ne dispose quasiment d’aucun inspecteur émanant de lui, et que nous sommes évalués et jugés par des IPR qui ne partagent pas, voire ne connaissent pas toujours nos missions, nos tâches, nos difficultés et donc nos préoccupations de terrain. Et cela malgré les efforts et les qualités personnelles, humanistes et professionnelles des uns et des autres. Mais la commande institutionnelle reste prégnante, et le manque de connaissances et de perceptions réalistes du métier au quotidien engendre incompréhension, décalage, insatisfaction. D’où la demande pressante d’une agrégation d’éducation, seule solution selon certaines centrales syndicales pour accéder aux fonctions d’inspection directement sans passer par le concours de personnels de direction. En sachant que cette agrégation d’éducation engendrerait beaucoup de questionnements : double corps parallèle comme à l’époque des CE/CPE, différence de salaire, problème d’empois du temps ( les agrégés feraient-ils moins d’heures que les autres …), qui aurait autorité sur le service vie scolaire….
Comment se sentir reconnus lorsque la vie scolaire ne se réduit pour beaucoup de collègues qu’au service de vie scolaire, ou au CPE, et n’est perçue que comme espace de garderie, de remise des élèves difficiles sur les bons rails, de régulation pour faciliter la vie de la classe ou évacuer ceux qui la dérangent ?
Comment se sentir reconnus lorsque la place de l’éducatif se réduit en peau de chagrin face à la prééminence du pédagogique, des résultats, de la concurrence, de la rentabilité ? Quelle place pour l’éducatif ? Quel rôle ? Quels lieux ? Quels acteurs ? Lorsque le pilotage par les résultats et par les performances prennent le pas sur la gestion des ressources humaines, la protection des personnels, des élèves, sur le sens collectif de notre travail en faveur de ceux pour qui chacune de nos missions prend tout son sens : les élèves ?
Notre corps souffre et s’inquiète. Inquiet pour son avenir parce que le concours interne a été supprimé et quant au concours externe il a été réduit en 4 ans de 2/3, passant de 600 à 200 postes. Dans le même temps, les postes de personnels de direction ont augmenté cette année de 100. Faut-il y voir un signal ? Nous savons bien que l’on nous objectera que les postes dépendent de la mobilité, des départs à la retraite, des compensations attendues depuis fort longtemps mais n’empêche que l’inquiétude paraît fondée. Inquiet du devenir de l’école ?
Inquiet des souffrances des autres collègues trop souvent atteints par les désillusions, l’appétence et la perte de confiance. Nous en souffrons aussi nous-mêmes. Inquiet parce que cette démotivation handicape nos élèves, ils souffrent aussi de notre mal-être, de nos souffrances. Ils sont pris quelques fois en grippe, faute de pouvoir régler les comptes avec le système. Heureusement, il en reste parmi nous qui ont encore la foi, la vocation, des convictions et qui sont capables d’assumer nos désaccords sans prendre en otage les élèves.
Inquiet de la césure profonde entre éducation/instruction, savoirs/apprentissages, égalité des chances prônée/classification des élèves, droits/devoirs, hiérarchie/autorité, intérêt collectif/défense de l’ego, sens de la collectivité/carrière personnelle, le dire/le faire, le penser/l’agir…
Quand les CPE disparaîtront-ils, enfin !
D’aucuns évoquent la disparition » tranquille » de ce corps à pertes et profits. D’autres craignent qu’ils soient à terme contraints d’embrasser les fonctions de direction, ce qui représente pour une partie de nous une vraie trahison, un véritable » crève-cœur « .Toutes ces peurs sont anciennes et sont actuellement amplifiées.
Deux événements récents participent au traumatisme des CPE : le cahier des charges de formation des personnels enseignants et un texte de l’inspecteur général Jean-Pierre Obin sur les finalités de l’éducation (revue de l’inspection générale n° 3).
La formation des conseillers principaux d’éducation, son déroulement dans les IUFM, ses modalités, ses objectifs et ses finalités nationaux ont été oubliés dans la cahier des charges initial. In extremis suite aux diverses protestations syndicales et de l’ANCpE, l’erreur a été en partie réparée. Le principe d’une formation initiale des CPE dans les IUFM a été établie, suivra bientôt un cahier de charge spécifique. Mais le corps a été atteint et reste vigilant.
Pire, lorsque l’on lit avec attention le cahier de charges de la formation des futurs enseignants du secondaire, le travail d’équipe, la fonction des CPE, la perception de la vie scolaire sont ignorés ou ne sont qu’effleurés. On en vient à s’interroger sérieusement : est-ce de l’ignorance, de la mauvaise volonté, ou encore du calcul ?
CPE : discipline et éducation, autorité et éducatif sont-ils compatibles ?
Le second événement est le texte de l’inspecteur général Obin, texte qui a mis le feu aux poudres, les CPE se sentant stigmatisés, déconsidérés. La question de l’éducation, dans sa perception et conception au sein de l’EPLE leur semble tronquée. Certains collègues vivent ce texte comme une remise en cause profonde leur raison d’être, se jugeant instrumentalisés, » fonctionnalisés « . Ils ont le sentiment intime d’être réduits à des tâches à accomplir, des situations à réguler et non pas comme un conseiller technique, un cadre A, un éducateur. Comme le pense une collègue formatrice IUFM,
» ce qui peut nous scandaliser dans le texte de Monsieur Obin c’est qu’il nous donne l’impression de partager une vision étriquée de notre métier « , » et oublier la diversité de nos tâches : notre capacité à observer, analyser, suggérer, conseiller, impulser, dynamiser et…agir !!! et ce, à tous les niveaux d’un établissement scolaire « .
Le spécialiste de l’éducation…
Définir le CPE comme un spécialiste de l’éducation ou de l’éducatif pose plus de questionnements qu’il n’en résout. Prétentieux de croire que les CPE seraient les seuls défenseurs ou spécialistes de l’éducation, des normes, du droit, de la légalité, de l’égalité des chances, des valeurs, de l’éthique. Ce qui est par contre une réalité, c’est que notre place et rôle nous confèrent une vision globale de l’élève que ne partagent pas tous les enseignants ou qui ne les intéresse pas. Quoique certains, et de plus en plus, s’y intéressent et investissent le champ et le projet éducatifs. Et pourquoi pas les autres ? Par manque d’intérêt, de temps ou de formation, sans doute !
S’il y a une spécificité, et elle est peut être d’ailleurs malheureuse, c’est que les CPE ont actuellement le sentiment d’être quasiment les seuls à militer pour que l’élève ne soit pas désincarné, pour que l’humanisme se cultive aux côtés de la pédagogie, pour une éthique de l’éducatif. Nous sommes peut-être, ou encore les seuls, à croire dans un projet éducatif qui n’est en rien antinomique avec le projet pédagogique. Beaucoup d’entre nous se sentent seuls à défendre aussi l’idée d’un socle commun éducatif que tout élève devrait acquérir à côté du socle commun de connaissances et de compétences. Et ce socle commun ne se réduit pas aux piliers 6 et 7 du socle commun global, pas plus qu’il ne se réduirait à la note de vie scolaire ou la citoyenneté qui devient une tarte à la crème. Il faudrait effectivement définir ce socle éducatif et repenser les missions de l’école et formaliser quelle citoyenneté qu’elle doit promouvoir :
» trop de citoyennetés tendent à tuer la citoyenneté « .
Il est, sans doute, vrai que la place du CPE est ambivalente, ambiguë, ingrate ; mais poser un acte d’autorité et écouter, aider et sanctionner, comprendre une situation d’absentéisme et saisir l’inspection académique, être disponible et savoir différer, être ferme et être respecté, être souple sans être laxiste, aimer ses élèves sans sombrer dans l’excessive affectivité, réguler les conflits, faire de la médiation tout en restant solidaire des collègues ou de la hiérarchie, sauver un élève du désarroi tout en l’obligeant à assumer ses devoirs et responsabilités : autant d’actes quotidiens que posent les CPE et qui ne se contredisent en rien. Et si les incivilités et les violences se développent dans les EPLE ce n’est pas parce que les personnels d’encadrement refusent de poser l’acte d’autorité, ou se complaisent dans l’écoute, dans la compréhension, dans l’aide, il faut aller au-delà d’une vision réductrice qui contribuerait à entretenir encore le fossé enseignants/éducateurs, pédagogues/encadrants. Ces phénomènes sont aussi liés aux moyens, au management des équipes de direction, à l’imprégnation ou l’absorption des demandes sociales et des problèmes et faits sociaux au sein de l’établissement, à notre incapacité aussi à les saisir, à les comprendre et à apporter, avec nos autorités, des réponses adaptées, individuelles ; et notamment au fait que l’école tout en voulant moderne, libérale fonctionne encore de manière nostalgique ou avec des méthodes qui ont échoué ou qui relèvent d’un autre temps ou d’un autre conception politique (de l’école et/ou de la société). L’école doit s’adapter, se révolutionner, et prendre en compte les réalités d’aujourd’hui auxquelles elle a elle même contribuées sans sombrer dans les valeurs dites modernes, dans le jeunisme, dans le plaire. Elle doit rester une école de la formation de la personnalité, de l’habileté, de l’éveil des consciences et des intelligences.
La suppression des CPE élimerait-elle la place de l’éducation ?
Sommes-nous certains que si, par hasard, il n’y avait plus de CPE, il n’y aurait plus d’éducatif dans les EPLE ? Non, peut-être pas, mais il faudrait donc repenser le fonctionnement et les structures de l’école. Et pourquoi ne pas imaginer que cette suppression responsabiliserait les enseignants qui ne pourraient plus utiliser leur CPE pour restaurer l’autorité qui leur manque, éteindre les feux, retisser du lien, ménager les susceptibilités. Les chefs et leurs adjoints devront recevoir davantage les élèves, traiter les incidents, poser les limites, circuler dans les couloirs, travailler davantage en équipe, ce qui alourdirait un peu plus leurs tâches et responsabilités… Et l’institution devrait repenser le temps de travail des enseignants, former autrement enseignants et personnels d’encadrement… Et l’on peut aisément imaginer que toutes ces réformes aboutissant, les EPLE s’en porteraient pas nécessairement plus mal …
A quoi servent les CPE ?
Questions provocatrices bien sûr. Et cela fait plus quinze ans que l’on évoque la suppression de ce corps. Et si ce n’est pas encore fait c’est que ce corps répond à des besoins, des attentes que d’autres corps ou catégories ne sont pas prêts à assumer.
Quatre crises majeures traversent l’institution scolaire : crise des savoirs, crise des normes, crise des fonctions et crise du sens. Le CPE en intervenant, en tentant d’agir sur les trois dernières contribuent à trouver des solutions adéquates pour répondre à la première. Et si le CPE n’est pas le seul à permettre que l’élève grandisse en tant que personne, il demeure le garant de la parole de l’élève et de son expression légitime, parole trop souvent tronquée et confisquée par les adultes. Parce qu’il a du temps, un bureau, de la disponibilité, il reste l’un des seuls à mesurer au quotidien la nécessité de croiser les regards de l’ensemble des acteurs pour agir au profit de l’élève. Parce qu’il croit à l’apport de chaque acteur, quel qu’il soit, le CPE ne peut se passer du travail d’équipe mais il peut coordonner, penser, impulser, peser sur les choix éducatifs et sur une éthique de l’éducatif. Il est encore l’un des seuls à ne pas se satisfaire de l’unique expertise pédagogique mais à construire avec l’ensemble des acteurs internes et externes une école porteuse de sens.
Il est jaloux de ce positionnement qui lui permet d’écouter, de favoriser le questionnement, de faire grandir et même si cela passe à la fois par des actes d’autorité et de l’affectivité maîtrisée, par l’écoute et la sanction, par l’aide et par le » châtiment « . Les CPE ne sont pas uniquement les gentils animateurs de FSE ou de MDL, les pères fouettards des récalcitrants, des absentéistes ou des retardataires, ce ne sont pas uniquement des pondérateurs de violences, de régulateurs d’incivilités et de dysfonctionnements, pas plus qu’ils doivent se complaire dans un rôle excessif d’autorité, d’écoute, de régulation ou d’aide, leur capacité d’éveil des intelligences, de sublimer les consciences, d’aller à l’encontre de la force d’inertie du système, d’oser et de formaliser les questions et problématiques éducatives, leur capacité de force de propositions, tout ce travail doit être porteur et reconnu.
Les CPE doivent continuer, aux côtés des autres, à ne pas s’enfermer dans une spécialisation mais à élaborer, à permettre la confrontation de l’altérité, à accepter d’assumer ce rôle de » dévoileur » . Le bureau du CPE s’il est porteur de symboles, doit être aussi un lieu de rite initiatique aux échanges, à la compréhension de l’autre, au respect, un lieu où la parole, l’écoute et l’altérité prennent forme et sens.
A quand la révolution ?
Si les CPE ne jouent plus ces rôles, s’ils cessent de lutter contre le découpage des savoirs, contre les temps et lieux de l’élève sans liens entre eux, s’ils ne contribuent pas à donner du sens à la représentation du monde de l’élève aux côté des autres personnels, il faudra que l’école, l’institution scolaire, le système éducatif se révolutionnent en profondeur.
Beau débat en perspective lors du colloque de l’ANCpE des 23 et 24 mars 2007 à l’INJEP (Marly le Roi) qui pourrait se prolonger par une université complète d’une semaine pour aller plus en profondeur.
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