Sous le poids d’une double crise mal gérée, la rentrée du 2 novembre restera dans la mémoire des enseignants. Le ministre leur demande d’accepter une cérémonie bâclée en mémoire de leur collègue assassiné. Ils doivent aussi rentrer en pleine épidémie avec un protocole sanitaire officiellement « durci » mais en réalité qui change peu de choses par rapport au protocole ultra léger précédent.
L’hommage bâclé à S Paty
C’est rare une telle exaspération avant une rentrée. Tout au long du week end précédent le 2 novembre, des enseignants se sont amusés à faire monter le hashtag #Blanquerdemission sur Twitter. Le ministre de l’éducation s’est taillé ainsi une réputation inattendue sur un réseau mondial en parallèle avec le hashtag #Blanquerment.
Cette facétie ne prête pas à conséquence mais donne l’ambiance. Le déclencheur c’est l’annonce le 30 octobre au soir que l’organisation de l’hommage à Samuel Paty, l’enseignant assassiné à Conflans, était revue par le ministre au dernier moment.
Depuis le 16octobre, JM Blanquer appelle à l’unité face au terrorisme. Malgré tous les motifs de conflit avec JM Blanquer, les syndicats enseignants ont répondu présent. Du 22 au 27 octobre des discussions ont eu lieu avec le ministère pour prévoir l’hommage à S Paty et un consensus s’est construit avec le cabinet de JM Blanquer.
C’est cet accord, qui permettait de rendre un hommage digne à leur collègue, qui a été annulé par le ministre. Cela s’est fait sans aucune explication , exactement comme si les discussions n’avaient jamais existé. Le ministre a décidé seul de réduire l’hommage à sa plus simple expression : une minute de silence formalisée partout, officiellement même en maternelle. Exactement ce que les enseignants ne voulaient pas. Ils avaient cru obtenir un temps de recueillement et de préparation en commun et une phase d’échange avec les élèves avant cette cérémonie.
JM Blanquer n’aura respecté ni sa parole ni les enseignants. Plusieurs syndicats ont déposé des préavis de grève. Il est probable que dans le contexte les enseignants ne feront rien qui puisse porter préjudice aux élèves. Mais il est probable aussi que partout où ce sera possible ils imposeront ces temps d’échange. De nombreux lycées ont déjà anticipé et organiseront ces moments. Cela renforcera la confiance en interne. Pour la confiance envers le ministre ce revirement est un coup de grâce.
Un protocole qui ne rassure pas
Mais c’est aussi l’inquiétude qui domine pour cette rentrée. Alors que les études montrant la contagiosité des enfants se multiplient (après celle de The Lancet du 22 octobre, une enquête du gouvernement israélien vient de sortir), le ministère semble avoir changé d’avis puisqu’il impose des masques aux écoliers de l’élémentaire. Mais il continue à affirmer sa certitude de la très faible contagiosité. Parce que c’est nécessaire pour continuer à accueillir tous les élèves afin que l’économie tourne.
Alors que l’épidémie explose depuis septembre, le gouvernement à nouveau n’a rien anticipé. Le nouveau protocole a été publié le 30 octobre. Les fiches repères thématiques seulement la veille de la rentrée ! En dehors du masque pour les écoliers il ne change pas grand chose. Sa sortie tardive a imposé un gros travail de communication aux chefs d’établissement et aux directeurs. Et ils auront encore à gérer une foule de détail toute la semaine parce que la hiérarchie se couvre au maximum.
Le protocole est-il rassurant ? Non. Les professeurs auront toujours face toute la journée à eux une classe surchargée. Le « non brassage » des élèves est réduit à sa plus simple définition. En lycée il ne sera plus possible de mélanger les niveaux. Mais un niveau peut réunir 200 ou 300 élèves. Encore seront ils réunis dans la même cour matin et soir et souvent dans la récréation. Encore sont-ils ensemble à la cantine. Le nettoyage est notoirement insuffisant avec un nettoyage des salles par jour et un nettoyage plus fréquent des objets touchés fréquemment mais seulement là où ce sera possible (la fiche récréation par exemple ne l’impose qu’une fois par jour). En principe les salles devront être aérées toutes les deux heures mais on peut en douter dès que les températures vont chuter. Pour traiter correctement ces problèmes il aurait fallu, comme en Allemagne ou en Auvergne Rhône Alpes, acheter des purificateurs d’air ce qui n’a pas été fait.
Enfin à la veille de la rentrée, les enseignants vulnérables ne savent toujours pas s’ils doivent retourner en classe. On comprend que l’inquiétude rejoint l’humiliation. La santé des enseignants et des élèves semble passer bien après le maintien de l’activité économique. L’avenir dira si ce choix est efficace ou si le maintien de l’ouverture des écoles , collèges et lycées va maintenir la progression de l’épidémie dans un pays confiné.
François Jarraud