Spécialiste de la philosophie avec les plus petits, Edwige Chirouter donne des pistes aux enseignants et enseignantes qui auront la difficile tâche de parler de l’attentat de Conflans. Elle invite à passer par la médiation culturelle. « Le travail de philosophie n’est pas déconnecté du réel, il résonne avec le réel et permet de lui donner du sens, de mieux le comprendre. Mais pour pouvoir le comprendre et réfléchir de façon sereine, il faut absolument faire ce pas de côté ».
Comment aborder l’attentat avec les élèves en élémentaire ?
Il est fort probable que les élèves d’école élémentaire en aient entendu parler. D’un point de vue psychologique, il est donc normal d’avoir un espace de parole. Aborder l’attentat d’un point de vue philosophique est plus compliqué. Il faut toujours essayer d’avoir de la distance affective lorsque l’on philosophe, on ne le fait pas à chaud sauf lorsqu’on est un expert, comme un prof de philo ou un philosophe professionnel. Pour les élèves, qui sont bien évidemment des apprentis philosophes, il faut absolument leur permettre d’avoir une distance affective. Je conseille donc aux enseignants et enseignantes, de mener d’abord à chaud des ateliers de paroles, de faire de l’éducation à la citoyenneté. Les ateliers philosophiques doivent être différés dans le temps.
Je conseille aussi de mener les ateliers de philosophie à partir des médiations culturelles qui sont des outils privilégiés pour aborder de façon sereine les thématiques soulevées par l’actualité. Pour philosopher sur les attentats, il s’agit d’aborder par exemple la question de la morale, du bien et du mal, de la violence et pour ce faire, le professeur des écoles ne doit pas partir de l’actualité mais de récits tels que les fables, les contes, d’un album jeunesse ou encore d’un mythe ou d’un extrait de film. Il faut donc partir d’un support qui va soulever ces thématiques sans être dans l’actualité qui est trop à chaud, trop dans l’affect.
Il faut distinguer les moments de philosophie de ce qui va relever de la parole libre ou ce qui va relever de l’enseignement morale et civique où l’on va passer un message. Les moments de philosophie sont des moments où l’on réfléchit sur des dilemmes, sur des concepts, sur les tensions qui sont soulevées par le monde dans lequel on vit. Le travail philosophique est un travail de réflexion serein, calme et apaisé. Les médiations culturelles permettent un pas de côté par rapport au vécu, à l’intime, à l’actualité… et qui permettent de réfléchir sur l’actualité tout en mettant de la distance.
Et en maternelle ?
Cela dépend de ce qu’ont entendu les élèves. En maternelle, j’aime à penser que les enfants sont plus protégés que les plus grands. S’il y a un besoin, j’invite les enseignants à faire comme ce que je conseille en élémentaire : du pas de côté, de la médiation culturelle. Les albums jeunesse avec les petits sont idéaux comme ceux de Tomi Ungerer. Il ne faut pas charger la barque avec des problématiques qui ne sont pas les leurs. J’ai vu pas mal d’ateliers philosophiques en maternelle qui abordaient la différence par exemple. Alors que les enseignants entendaient parler du genre ou encore de la couleur de peau, les enfants ne voyaient que des copains avec des lunettes d’autres pas, des copains avec des pulls rouges, d’autres verts… On leur impose parfois des problématiques qui ne sont pas les leurs.
Un enseignant peut-il mener un atelier philo sur cette thématique sans l’avoir fait avec ses élèves auparavant ?
L’atelier philo n’est envisageable que si l’on est à minima formé, ce ne s’improvise pas, comme toutes les autres disciplines. Je conseille donc aux enseignants et enseignantes d’utiliser des supports qu’ils maitrisent déjà, comme les albums de littérature. Il y a un programme de littérature de jeunesse pour les cycles 1, 2 et 3 et dans ces programmes, il y a des ouvrages conseillés pour aborder ces thématiques de façon poétique, symbolique et imagée.
Des pistes concrètes pour les collègues lundi ?
Il s’agit de dresser un état de lieu de ce qu’ont vu ou pas les enfants et en fonction, d’adapter l’intervention. Comme je l’évoquais la médiation culturelle me semble une excellente entrée. La littérature, le cinéma … permettent qu’on appelle en philo « une expérience de pensée », comme imaginer un monde où il n’y aurait aucune loi, aucune règle … Pour discuter des attentats, on peut d’aborder la différence entre croire et savoir. Le mythe de la caverne de Platon adapté en album jeunesse, ou l’histoire de Galilée sont par exemple de bons supports ou les petits gouters philosophiques comme celui sur croire et savoir.
Et pour finir, je conseille vivement la revue mensuelle belge de philosophie pour enfants Phileas et Autobule. Ils ont un site sur lequel on peut télécharger tout un dossier pédagogique ludique sur diverses thématiques avec des quizz, des jeux…
Il faut que les enseignants aient réfléchi quelle thématique l’actualité soulève : la laïcité, la tolérance, la liberté d’expression, la différence entre croire et savoir, le bien et le mal – car après tout les terroristes pensent que leur vision du monde est la bonne. Cela soulève donc la question de la relativité des mœurs. Il s’agira ensuite pour eux de trouver les supports qui leur permettront d’aborder ces problématiques. Et si les enfants font le lien, alors là c’est tant mieux. Le travail de philosophie n’est pas déconnecté du réel, il résonne avec le réel et permet de lui donner du sens, de mieux le comprendre. Mais pour pouvoir le comprendre et réfléchir de façon sereine, il faut absolument faire ce pas de côté.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda