L’inclusion des élèves en situation de handicap reste une entreprise complexe à l’Ecole et tout particulièrement en EPS. Teddy Mayeko, professeur agrégé d’EPS et maitre de conférences en science de l’éducation à l’université de Cergy-Paris et Sébastien Lacroix, professeur d’EPS et directeur du département SEES à l’université Paris-Est Créteil présentent ici quelques pistes à travers trois étapes indispensables au service de l’inclusion. Ils attachent une importance toute particulière aux handicaps invisibles !
Vous constatez que l’inclusion reste souvent un dogme éducatif flou ! Qu’est-ce que vous entendez par là ?
Nous définissons l’inclusion comme le fait de « rendre tout accessible à tous » (Amstrong, 2001). Elle n’est ni partielle, ni conditionnelle et induit un renversement de perspective conduisant à privilégier « la situation à laquelle est confrontée la personne plutôt que les caractéristiques individuelles » (Garel, 2005). Pour le dire autrement, cela signifie que l’adaptation de la situation prévaut à celle de l’individu. C’est à l’école de s’adapter en priorité aux enfants qu’elle accueille et pas uniquement aux enfants de s’adapter à l’école dans laquelle ils se développent et grandissent.
Or, si dans les discours l’école est censée incarner un puissant vecteur d’inclusion sociale et d’émancipation, dans les salles de classe la réalité semble moins évidente. Encore aujourd’hui, la différence est souvent assimilée à un obstacle, alors qu’elle est un principe fondateur de notre matrice éducative et une condition favorable au développement singulier de la pensée.
Quel regard portez-vous actuellement sur le handicap à l’école ?
Selon nous, ce qui est important à l’école ce n’est pas seulement de faire cohabiter les élèves, mais de les amener à travailler ensemble en acceptant l’autre dans sa différence. A travers son handicap certes, mais aussi en tant que personne, douée de ressources et de compétences particulières. Les élèves handicapés doivent être considérés comme des individus capables d’apporter autre chose à leurs camarades, passant ainsi d’une représentation défectologique ou lacunaire (ce qui fait défaut) à une représentation plus positive et progressiste.
Au-delà, nous voulons croire que l’école définit un espace d’interaction permettant aux élèves d’apprendre qu’une personne différente n’est pas forcément moins compétente mais peut avoir besoin d’emprunter un autre chemin pour réussir. Malheureusement, dans l’esprit des élèves ce type de raisonnement n’est pas toujours le plus vivace, notamment lorsqu’il est question de handicaps invisibles souvent mal compris et mal perçus car plus difficilement palpables.
Vous parlez de handicaps invisibles, quels sont-ils ? Par ailleurs, comment jugez-vous la formation des enseignants sur ce thème ?
Contrairement à ce que l’on pourrait penser initialement, la proportion de personnes atteintes d’un handicap invisible est beaucoup plus importante que la proportion de personnes atteintes d’un handicap visible. Selon Hamonet (2016), près de 80% des handicaps sont invisibles, au sens où ils ne sont pas apparents, mais limitent factuellement les possibilités d’interactions de l’individu avec son environnement (syndrome autistique, surdité, troubles DYS, etc.). L’effet pervers est que ces affections invisibles peuvent pousser l’environnement social à croire qu’elles n’existent pas. Il subsiste donc un décalage entre l’expérience vécue par la personne handicapée et l’image ou la représentation façonnée par autrui. A l’école, ce schéma est malheureusement récurrent. Parfois peu enclins à l’empathie et pilotés par une compréhension mécaniste du monde, les enfants et les adolescents peuvent éprouver des difficultés à reconnaître une altération qui touche d’autres fonctions que le corps.
En outre, pour répondre à la deuxième partie de votre question, il nous semble que vous soulevez-là un point essentiel. Les résistances actuelles à la fabrication d’une école inclusive, centrée sur l’humain et tournée vers l’avenir, échappent en grande partie à la responsabilité du corps enseignant et trouvent des origines plus fécondes lorsque l’on observe le déficit de moyens et de formations. Les altérations des élèves sont généralement « obscures » pour une majorité d’enseignants qui se réclame justement de ne pas être suffisamment formée et informée. Cette situation doit être prioritairement débattue au sein de la formation continue et de la formation initiale. D’ailleurs, il semblerait logique que les nouvelles maquettes de formation, liées au projet de réforme des concours de recrutement des enseignants (2022), s’emparent de ces questions.
Justement, quelles sont vos propositions pour permettre une prise en charge explicite en EPS, dans une discipline qui expose socialement le corps et les prestations des élèves ?
L’inclusion des élèves à besoins éducatifs particuliers est une tâche nécessaire mais ô combien difficile, a fortiori dans une discipline scolaire où les phénomènes de comparaison sont robustes. Il ne s’agit pas d’inclure momentanément ou partiellement les élèves, mais de réfléchir à des conditions de vie quotidienne et d’interaction compatibles avec l’instruction, la socialisation et l’épanouissement de chacun. Pour tenter modestement de répondre à cet objectif nous proposons ici trois étapes.
1) Inclure les élèves dans le monde symbolique de ceux qui peuvent faire
Sans chercher à alimenter des débats idéologiques, déjà très riches, sur la nature des activités physiques enseignées en EPS, nous pensons qu’il serait dangereux de véhiculer au sein de la discipline une philosophie sportive rigoureusement conforme à celle que la société produit et cultive. La pratique d’une activité basée sur les seuls principes de la compétition peut amener les élèves les plus fragiles à se dévaluer et à se résigner. Les élèves en situation de handicap ont, plus que tout autre chose, besoin de se forger une image positive de leurs possibles. En conséquence, nous pensons que l’inclusion débute à partir du moment où les élèves se sentent capables de faire. Capables de gagner un match, de tirer au but ou encore de courir à une certaine intensité sur une période donnée. Dans cette perspective, la quête du progrès personnel est à la fois un objectif incontournable et un formidable moyen d’amener l’élève à entrer dans un processus d’entraînement. Aussi, la première mission de l’enseignant consiste à prouver à l’élève qu’il est capable de progresser et d’atteindre des objectifs construits selon ses propres références. Plus largement, nous pensons que la mise en œuvre d’une EPS inclusive ne peut faire l’économie d’une réflexion sur la culture des APSA et les formes de pratique scolaires enseignées. A ce propos, nous trouverions intéressant de programmer une activité physique adaptée dans le cursus des élèves. Cela permettrait de les sensibiliser à la cause du handicap et de les aider à développer une compréhension plus fine de l’autre.
2) Inclure les élèves au sein d’un groupe
Inclure un élève au sein d’un groupe c’est lui permettre de tisser de nouvelles relations afin d’intégrer un système social défini, entre autres, par son architecture, sa composition et ses objectifs. En EPS, et plus largement à l’école, l’un des principaux enjeux est de faire en sorte que tous les élèves soient inclus à l’intérieur d’un établissement scolaire et d’une classe. Ces deux niveaux d’inclusion exigent que nos jeunes partagent un certain nombre de conventions d’usage, de valeurs, de principes, de règles ou encore de centres d’intérêt.
Néanmoins, l’inclusion à l’école ne doit pas se limiter à une pseudo forme de cohabitation. Être inclus, c’est être reconnu à part entière comme un membre de la communauté éducative, partageant avec les autres le socle d’une culture commune restant à définir. Aussi, nous proposons ci-dessous plusieurs pistes de réflexions :
Premièrement, l’inclusion d’un élève possédant des ressources différentes de celles de ses camarades pose la question de la normativité. Bien souvent, les personnes handicapées « entendent s’inscrire dans la norme d’un groupe tout en témoignant le désir que soit prise en compte leur singularité » (Garel, 2005). Aussi, l’enseignant doit envisager des adaptations, plus ou moins visibles selon les caractéristiques psychologiques de l’élève, mais plus encore, il doit comprendre le sens que l’élève investit dans les tâches et dans l’activité qu’il déploie.
Par ailleurs, il doit rester attentif aux conséquences possibles des adaptations qu’il met en œuvre. En effet, si certains élèves acceptent d’effectuer des tâches ou de tenir des rôles qui les distinguent de leurs camarades, d’autres vivent ces aménagements comme des moments de stigmatisation, contribuant à mettre en lumière leur identité d’handicapé, qu’ils rejettent.
Deuxièmement, nous savons que l’inclusion sociale est un puissant levier d’engagement dans la pratique sportive. Il y a donc un intérêt évident à créer des conditions propices à l’accueil d’un élève en situation de handicap. Néanmoins, l’enseignant doit une fois de plus être attentif au sens que les élèves accordent à l’activité intérieurement vécue. Les expériences que font les élèves à l’intérieur du groupe classe ne sont pas toujours celles que l’enseignant entend provoquer par ses aménagements. Par exemple, en sport collectif, le sentiment de « ne pas servir à grand-chose » peut très vite dominer. C’est la raison pour laquelle, il est important d’être attentifs aux premiers signes d’exclusion. Là encore, il ne s’agit pas de trouver des recettes « miracles » mais de réfléchir à des adaptations locales permettant à un collectif d’apprenants d’être autre chose qu’une simple collection d’individus.
Troisièmement, l’attention, l’énergie et le temps consacré à l’inclusion des élèves handicapés ne doit pas jouer en la défaveur d’autres élèves, en difficulté dans la discipline ou dans les activités. Certains jeunes, qui ne présentent ni trouble de l’apprentissage, ni altération physique, sensorielle ou cognitive, peuvent cependant avoir du mal à répondre aux attentes de l’enseignant. Il convient donc de viser l’inclusion sans pour autant créer de nouvelles mesures de sélection et de marginalisation.
3) Inclure les élèves dans le monde social : un nécessaire fonctionnement en réseau
La finalité première de l’éducation est probablement de concourir à l’émancipation de l’individu. Il semble donc à la fois logique et nécessaire que l’inclusion des élèves à l’école débouche, à terme, sur une inclusion sociale pérenne. Or, les études montrent que dans les faits, l’inclusion des personnes handicapées est encore superficielle, parcellaire et territorialisée (Baromètre de l’observatoire nationale des aides humaines, 2018). Par exemple, dans les secteurs de l’emploi et de la mobilité notamment, un certain nombre d’obstacles et d’inégalités subsistent. Aussi, nous pensons que pour mener à bien sa politique inclusive, l’école doit se réformer en développant un fonctionnement plus collectif et interconnecté. Nous militons pour 3 axes principaux : Le travail en équipe au sein des établissements, le fonctionnement en réseau au sein d’un école attentive et ouverte sur la société et enfin une démarche d’information/formation des personnels.
Au final, l’inclusion repose sur la capacité d’adaptation des établissements ?
Oui, à défaut d’être original, nous rappelons que l’inclusion des élèves en situation de handicap est un objectif central reposant sur un certain nombre de conditions et d’adaptations locales. Paradoxalement, s’il faut que « les écoles changent pour s’adapter aux enfants et non l’inverse » (Mittler, 2002), nous nous interrogeons à rebours sur l’avenir d’une école où l’élève n’aurait aucun effort d’adaptation à fournir. Dans une société changeante, dynamique et intransigeante avec les personnes, l’adaptation semble être l’expression la plus ténue et concentrée de notre intelligence. Un objectif que l’enseignant doit satisfaire et une ressource que l’élève doit cultiver.
Antoine Maurice