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La réforme de la formation des professeurs, dont le principe a été arrêté par la loi Blanquer du 26 juillet 2019, se met actuellement en œuvre, en catimini, à l’écart de tous débats publics. Quel est l’objet de cette réforme ? Quelles en seront les conséquences ?

Le projet de Jean-Michel Blanquer est de remplacer une formation suspectée d’être trop théorique par une formation plus pratique. A cette fin, les concours d’accès au professorat ne sont plus placés à la fin de la première année du master MEEF mais à la fin de la seconde. Pendant celle-ci, les étudiants devront réaliser un tiers-temps d’enseignement afin de mieux appréhender les exigences du métier. Une telle réforme aboutit, pour une grande part, à revenir à la réforme Darcos de 2008, supprimée par la loi Peillon de 2013.

La finalité pédagogique avancée par le ministre – une formation plus concrète – occulte, comme en 2008, l’objectif de réduction du nombre de fonctionnaires et la limitation des dépenses publiques. Au lieu des 1400 € nets mensuels perçus auparavant en tant que professeur stagiaire lorsque le concours était passé à la fin de la première année, les étudiants devraient percevoir 600 € net mensuels. Cette faible rémunération risque de poser des problèmes financiers (frais de déplacement et contrainte de logements) aux étudiants, spécifiquement ceux dont l’établissement scolaire sera éloigné des centres de formation de l’INSPE.

Pour les étudiants, cette réforme présente un inconvénient considérable : elle se traduit par le report d’une année de leur premier salaire. De surcroît, comme il s’agit d’un Master, les étudiants devront réaliser au cours de leur deuxième année, outre un tiers-temps d’enseignement et la préparation de leur concours, un mémoire de recherche. Pour quiconque connaît la difficulté des concours du professorat, ces trois objectifs sont impossibles à mener en parallèle. Actuellement, les professeurs stagiaires parviennent déjà difficilement à concilier un enseignement à mi-temps et la rédaction d’un mémoire de recherche.

Or, cette reforme de la formation des professeurs est mise en œuvre dans un contexte particulier. De 2018 à 2020, le nombre d’inscriptions aux différents concours du CAPES externe a baissé de 13,8 %. Pour la seule année 2020, malgré la stabilisation du nombre de postes aux concours pour l’année 2020, la baisse des inscriptions a été de 7,8 %. Au-delà des effets de moyenne, cette baisse a été particulièrement marquée dans certaines disciplines telles que les mathématiques (-16,9 %), les sciences économiques et sociales (-22,8 %), les SVT (-15 %), l’allemand (-17,5 %), etc.

De surcroît, pour l’année 2019, sur les 11 485 postes mis au concours, 7,5 % n’ont pas été pourvus en raison de la faiblesse du niveau des candidats. Ce sont les meilleurs étudiants qui se détournent du métier d’enseignant. L’insuffisance de candidats aux concours du professorat est déjà indiscutable et l’actuelle réforme de la formation ne peut qu’accentuer la pénurie alors même que le nombre total des élèves est en hausse. Cette réforme ne prépare pas l’avenir de l’institution scolaire et de la Nation. Elle le compromet.

Il faut analyser cette réforme dans le cadre de la politique menée depuis 2017. La réduction des recettes fiscales (suppression de l’ISF et instauration du Prélèvement Forfaitaire Unique dont les effets en termes de croissance ne sont toujours pas prouvés) combinée à l’objectif initial de réduire le déficit budgétaire en dessous du seuil de 3 % ne pouvait que se traduire par une limitation des dépenses publiques dans des domaines pourtant essentiels. Faut-il le rappeler, le classement de compétitivité de Davos repose sur douze piliers dans lesquels figurent la santé, l’éducation et l’enseignement supérieur, autant de domaines jugés non prioritaires par le gouvernement.

La crise sanitaire liée au Covid-19 a montré le coût humain, mais aussi économique considérable d’un sous-investissement dans la protection sanitaire des citoyens. Pour l’année 2020, la baisse du PIB est estimée à 9 %. Dans le domaine éducatif, le sous-investissement par rapport aux besoins exerce des effets peu visibles sur le court terme, mais aux conséquences considérables à moyen terme. Les faiblesses du système éducatif français, notamment la crise du recrutement, ne peuvent qu’être aggravées par l’actuelle réforme de la formation des professeurs et, plus globalement, la faiblesse de leurs rémunérations. Avec 15 ans d’ancienneté, un enseignant du secondaire en Allemagne gagne plus du double qu’un enseignant français !

Il est aussi impératif de réduire la pénurie des professeurs que celle des infirmières. Dans l’analyse économique, les dépenses publiques en faveur de la santé et de l’éducation sont, selon l’analyse classique de Becker, des investissements et du capitalisme. Les dépenses éducatives sont indispensables au maintien de la croissance économique et à l’intégration effective de chaque élève à l’institution scolaire et, ultérieurement, de chaque adulte à la vie économique, politique et sociale de la Nation.

La crise des gilets jaunes, la large opposition à la réforme des retraites, la longue grève des urgences et la montée sensible de l’abstention électorale montrent assez l’échec de l’idéologie individualiste des premiers de cordée et l’urgence des investissements au fondement de la cohésion sociale.

Pierre Merle

Sociologue, INSPE de Bretagne