Pour qui se rappelle les négociations feutrées des accords PPCR, ou plus simplement celles, il y a quelques jours, de la revalorisation dans le supérieur, la présentation, le 22 octobre, par JM Blanquer du Grenelle de l’éducation tient du barnum. Plateau, invités people, formules floues et envolées lyriques, le Grenelle de l’éducation n’a pas de points communs avec toutes les négociations sérieuses qui ont eu cours à l’Education nationale. Soit le ministre est un génial innovateur qui va réunir toute la people society autour de l’Ecole. Soit il amorce une manoeuvre pour en finir avec les syndicats et les demandes des enseignants. Réponse en février.
La société civile pour définir le métier enseignant ?
« Il apparait aujourd’hui d’autant plus nécessaire de rassembler l’ensemble de la communauté éducative et toute la société civile autour d ‘un projet commun pour son école ». Sur un plateau avec des invités prestigieux (Marcel Rufo, Daniel Pennac), JM Blanquer lance le 22 octobre le « Grenelle de l’éducation » en présentant son ministère comme celui « de l’humain, de la pensée et de la joie ». L’atmosphère est festive. Le ministre invite des grands témoins à s’emparer des questions d’éducation nationale. Il s’agit « d’instituer une nouvelle gouvernance des écoles et des établissements », de « moderniser en ouvrant le champ des possibles aux personnels » ou encore « d’alléger les carcans administratifs ».
JM Blanquer annonce l’ouverture de 10 ateliers qui vont travailler jusqu’en février. Chaque atelier réunira des « parties prenantes de l’éducation » : entreprises, associations, enseignants, élus, collectivités territoriales et même syndicats, mais, semble t-il, à dose homéopathique.
Pourtant chaque atelier va traiter d’un aspect de la profession enseignante. L’atelier 1 traite par exemple de la rémunération. C’est justement celui qui n’a pas encore de président. L’atelier 2 étudie la gestion de proximité, le 3 l’encadrement, le 4 « les collectifs pédagogiques » avec la question du travail en équipe, le 5ème la formation, le 6ème la gouvernance des écoles et établissements, le suivant l’autonomie , avec tout ce que cela peut impliquer comme conséquence sur la rémunération et la mobilité, le 8ème la mobilité avec les questions des mutations, le 9ème le numérique, avec sa prime, et le 10ème les valeurs de la république.
Le retour du cabinet de G de Robien
Chaque atelier est présidé soit par une célébrité proche du ministre comme D Pennac (qui reconnait qu’il ne connait rien à la gestion de proximité), Marcel Rufo, Aurélie Jean, entrepreneuse, ou encore le rugbyman Pascal Papé, soit par des personnalités bien marquées à droite. Ainsi Bénédicte Durand, qui est passée par les cabinets de G de Robien et V Pécresse, préside le groupe de la gouvernance des écoles et établissements qui devra traiter par exemple des pouvoirs des chefs d’établissement et des directeurs. Patrick Gérard, ancien conseiller de Bayrou et directeur de cabinet de G de Robien préside l’atelier mobilités. Ces 10 ateliers remettront une synthèse fin janvier.
Dans tout ce cirque les syndicats pèsent pratiquement rien. Donc soit ces ateliers ne servent à rien, soit ils vont, selon un schéma bien connu, justifier des décisions sur lesquels les représentants des enseignants n’auront aucune prise et sont une façon de les contourner.
Où est passée la loi de programmation ?
En aout 2020, JM Blanquer a pourtant lancé le Grenelle de l’éducation par référence à celui de la Santé qui a abouti à une revalorisation. Dans l’enseignement supérieur, sans faire tant de bruit, F Vidal vient d’obtenir du gouvernement des engagements pluriannuels de revalorisation.
Dans l’organigramme ministériel du Grenelle, on trouve les deux colloques organisés par le ministère, les 10 ateliers présentés aujourd’hui et , isolé, l’agenda social qui continue.
Alors que le budget 2021 est bouclé et que la revalorisation des enseignants se limite à des primes pour tous pour moins de 200 millions et des primes pour une petite minorité, le tout ne changeant pas grand chose parce qu’iln’y a que 400 millions pour environ un million de personnels, la grande question est de savoir si la revalorisation s’arrête en 2021 ou pas.
Or les mots « loi de programmation », jadis employés par JM Blanquer, ne figurent ni dans son discours ni dans le dossier de presse du ministère. Interrogé directement, JM Blanquer parle de « ce qui vient derrière » avec des augmentations qui « se poursuivront plus loin » et répond que « le fait de programmer 2021 montre bien que quelque chose d’important est lancé ».
Depuis la relace de la crise sanitaire, et l’aggravation de la crise économique, ce « quelque chose » est devenu innommable ce qui est inquiétant pour les enseignants. Les propos ministériels donnent à penser qu’il n’y aura pas de loi de programmation. Une loi de cette importance se prépare longtemps à l’avance et il faut réserver sa place dans l’agenda législatif. Toutes choses qui ne sont pas entamées.
Les syndicats inquiets pour l’agenda social
« Il ne faut pas que ça vienne détricoter ce qui pourrait être discuté dans l’agenda social », nous a dit Frédéric Marchand, secrétaire général de l’Unsa Education. L’Unsa juge positivement cette occasion de « rassembler toute la société derrière l’école » dans le Grenelle. Mais s’inquiète « de l’articulation » avec les négociations avec les syndicats. « Je ne vois pas les ateliers remettre en cause la revalorisation », nous dit-il, « le retard indemnitaire de l’éducation nationale saute aux yeux ». L’Unsa veut que les choses se concrétisent : « il faut une vision pluriannuelle » de la revalorisation.
« Le point positif c’est le mot « reconnaissance » utilisé par JM Blanquer », souligne Benoit Teste, secrétaire général de la Fsu. « Le ministre ne parle pas de loi de programmation mais de « première étape » et d’une « inscription dans la durée » ce qui laisse à penser qu’il y aurait une forme de programmation ». Mais la Fsu voit aussi le temps passer et une loi de programmation passée en fin de mandat et portant sur des primes serait très fragile.
« Cette construction (des ateliers) semble relever des contreparties », estime B Teste. « Dire qu’on a besoin de justifier la revalorisation c’est qu’on ne veut pas revaloriser le coeur de métier. On se retrouve avec des débats sur les contreparties ».
Les syndicats attendent des éclaircissements et des garanties du ministre. Probablement beaucoup d’enseignants aussi…
François Jarraud