Dimanche 18 octobre 2020 plusieurs organisations syndicales, ainsi que la FCPE, ont lancé un appel à se rassembler pour rendre hommage à Samuel Paty. Ce professeur d’histoire géographie a été lâchement assassiné à la sortie de son collège. Il a utilisé des caricatures de Mahomet déjà publiées dans Charlie Hebdo, pour faire réfléchir ses élèves sur la liberté d’expression. Il a été décapité pour avoir fait son travail d’enseignant. Des milliers de personnes ont répondu à cet appel à Paris.
Me battre pour la liberté d’expression
La place de la République était noire de monde et l’on pouvait entendre des profs, des parents, des citoyens s’émouvoir de ce drame. «C’est un crime ignoble, un assassinat honteux. Je suis prof à Montreuil, je refuse de me laisser bâillonner » lance Margot. Tina, Sandra et Fabienne sont professeures des écoles à Paris. Elles viennent soutenir la liberté d’expression mais aussi « crier leur colère et dire leur tristesse ».
Marie professeure d’histoire géographie est très émue. « Je suis une citoyenne et je suis très en colère parce que je crois à la laïcité, à l’école de la République. Je suis révoltée contre ce geste barbare qui touche le monde enseignant de plein fouet ».
Magida tient une pancarte avec l’inscription « celui qui tue un homme, tue toute l’humanité. Sourate 5, verset 32 du Coran ». Elle raconte que ce fait odieux lui donne la chair de poule. Elle a déjà été victime de menaces de mort pour avoir créé une agence de mannequins en Algérie. « Ça a déplu aux intégristes à l’époque, et 30 ans après, je suis là parce qu’on décapite encore en prétextant la religion. C’est important pour moi de me battre pour la liberté d’expression ».
Je ne me voyais pas ailleurs
Thomas n’est pas enseignant « juste un citoyen et un père ». Il trouve que « depuis Charlie ce n’est toujours pas réglé ! Je veux soutenir nos enseignants dans ce combat. Ils sont en première ligne pour apprendre à nos enfants la liberté d’expression ». Nombreux comme Marie-Hélène, retraités de l’éducation nationale, ne se voyaient pas « être ailleurs ». Ici, aujourd’hui, une nouvelle fois il est « capital de défendre les valeurs de la République ».
Les discours à la tribune se succèdent ensuite. On y parle de « faire bloc autour des valeurs humanistes », d’une école qui « doit demeurer le lieu de l’intelligence », d’être « plus fort qu’eux » de « ne pas fermer les yeux car notre avenir en dépend » parce que « assassiner un enseignant c’est assassiner l’École de la République ».
Trois questions
Aujourd’hui, c’est le temps de l’émotion. Il faut laisser du temps à ce temps de l’émotion. Pour le respect de Samuel Paty et pour ne pas entraver les échanges indispensables entre celles et ceux qui se dressent contre cette abomination. Mais dans un deuxième temps, il y aura nécessité de mener une réflexion collective et responsable sur cet acte inacceptable.
Première salve de questions. Peut-on dire comme certains s’en gargarisent qu’on a « laissé l’islamisme pénétrer l’école » ? Quels sont les discours des acteurs de l’institution (parents compris), les faits, les pratiques, les enquêtes et les statistiques pour valider cette affirmation générale ? Y a-t-il une responsabilité repérable de l’école dans le « passage à l’acte » de certains jeunes djihadistes ? Ne faudrait-il pas également que l’institution s’interroge plus complètement sur sa « gestion » des différences « ethno-raciales » au sein de l’école, au niveau des discours comme des pratiques, à l’égard des élèves comme à l’égard des parents ? Aucun tabou « institutionnellement correct » ne devrait contrecarrer ce retour réflexif.
Deuxièmement. Quel sens donner à la laïcité dans son enseignement à l’école ? Comment continuer la ligne de tolérance et de respect de l’autre qui est celle de la loi de 1905 ? Cela sans verser dans l’ignorance des singularités du contexte contemporain de « crispation identitaire », qui touche de larges secteurs de la société en France et dans de nombreux autres pays.
Troisième salve. La distinction, maintes fois répétée par beaucoup de responsables politiques (dont le président de la République) et de responsables religieux, entre l’islamisme et l’Islam et l’appel à éviter l’amalgame entre les deux peuvent-ils résister à la terrible pression de l’événement ? Cette distinction ne risque-t-elle pas de ne devenir qu’une convention rhétorique qui pourrait alors « libérer » un peu plus les discours de stigmatisation contre l’islam déjà très présents dans l’espace public ? Comment les enseignants peuvent-ils contribuer à éviter la tentation de cet amalgame dans l’exercice de leur métier ?
Ce ne sont là que quelques pistes pour nourrir la réflexion, une réflexion qui doit dans tous les cas maintenir le cap de continuer à faire vivre à l’école l’apprentissage de l’émancipation, sans jamais laisser de côté une quelconque partie des élèves.
Samia Bouchengara