Le moment est-il venu de changer l’Ecole ? C’est le sentiment de Rodrigo Arénas, réélu (avec Clara Dugault) co-président de la FCPE le 10 octobre. Il publie , avec Edouard Gaudot et Nathalie Laville, deux anciens professeurs, un ouvrage (Dessine moi un avenir, Acte Sud) qui fait un bilan sévère de l’Ecole et appelle à inventer une nouvelle Ecole , baptisée par les auteurs Ecole-logis. Rêve libertaire ? Babacool ? Ou aggiornamento à la lumière des défis du 21ème siècle ? Dans cet entretien, Rodrigo Arenas justifie les choix et les critiques portés par l’ouvrage.
« Implacable, impitoyable, cette crise a souligné résolument toutes les faiblesses et les dysfonctionnements de notre Éducation nationale. Malgré les assurances approximatives d’un ministre dépassé qui aura fait semblant tout au long de l’épisode, la “continuité pédagogique” n’a jamais été véritablement assurée. Livrés à eux-mêmes et aux éventuelles ressources familiales, les élèves ont, plus encore que sur les bancs de l’école, vu leur réussite directement conditionnée par leur environnement économique et social, leur éducation, leur milieu familial. Dans ce chaos…, on a surtout vu que l’école de la République est totalement inadaptée au monde dans lequel nous vivons. Totalement incapable de faire face. Dépassée par la marche du siècle… Réduite dans l’opinion publique à un rôle de garderie géante pour libérer la force de travail des parents au service de la machine économique. L’école, notre école, est hors-sol, comme notre agriculture, hors-sujet comme notre économie, hors-champ comme notre perspective politique. Le temps est venu de la repenser ».
Dans cet ouvrage, vous parlez de « crise de la conscience scolaire » et vous dites que le modèle de l’école est dans l’impasse. Qu’est ce qui justifie cette affirmation ?
J’ai voulu avec ce livre d’abord faire une revue de 11 années d’engagement comme parents d’élèves qui s’intéresse aux questions éducatives et acter qu’on est à un moment de rupture. L’Ecole ne correspond plus aux enjeux auxquels les enfants sont confrontés.
Aujourd’hui le rôle de l’enseignement est profondément attaqué. Il y a à la fois une commercialisation de l’Ecole et une prolétarisation du métier enseignant qui bouleversent le socle de l’Ecole. Aujourd’hui il fait rendre leurs lettres de noblesse à l’Ecole et aux enseignants. L’Ecole est liée à la République et ses valeurs. Elle n’est pas là que pour apprendre le lire, écrire , compter. Elle doit donner des moyens aux enfants de pouvoir agir sur le monde.
Le numérique bouleverse aussi l’Ecole. Il faudrait en faire l’apprentissage. Or l’Ecole n’en donne pas les bases et on fait des élèves des utilisateurs d’une technologie qu’on ne maitrise pas. Pendant le confinement on a vue les enseignants dépossédés de la forme artisanale de leur métier pour devenir des coachs d’applications et de logiciels. Au final le sectuer privé se nourrit des déficits de l’Education nationale.
A propos de l’Ecole , vous dites qu’elle est dans « la maitrise des corps ». Vous parlez d’une « école prison », d’une école patriotique qui « force le colonisé à adopter le point de vue du vainqueur ». N’est ce pas exagéré ?
C’est mon expérience de parent d’élève. Un bon exemple est l’accès aux toilettes : en France on va aux toilettes quand le règlement l’autorise pas quand l’enfant en a besoin. On voit aussi la façon dont on gère les élèves qui ont manifesté contre les E3C. On voit les chefs d’établissement qui font entrer la police dans les établissements. Les classes sont toujours organisées comme l’écrivait Foucault : un enseignant qui surveille la classe et des règlements pas bienveillants avec les élèves. La cantine et des services qui ne permettent pas à l’enfant de manger de façon acceptable. L’école qui se met en dehors du droit commun. Les équipes de sécurité de la région Ile-de-France qui viennent dans les établissements avec des tonfas. Evidemment il y a des enseignants qui résistent à cela. C’est le système qui est en cause.
Dans l’ouvrage, vous voulez « casser la structure de l’école » et vous proposez une « Ecole-logis ». De quoi s’agit-il ?
C’est une école qui cherche le bonheur des enfants. Une école construite pour les plus fragiles. Une école avec des classes multiniveaux parce que ça marche. Une école qui sait sortir du cadre disciplinaire. Une école qui nourrit les enfants correctement : l’Ecole peut faire du bio une réalité partout. Une école qui apprend aux enfants à trouver des solutions par la collaboration et la solidarité.
Parler d’école du bonheur n’est ce pas, du coup, ne pas traiter le principal problème de notre école : les inégalités sociales à l’école ?
Les deux sont liés. L’Ecole n’a pas réussi cette mission d ‘égalité ni dans les faits ni culturellement. Un récent sondage de la FCPE montre que la question de la mixité sociale à l’école est dans les dernières préoccupations des parents. CE pays a intégré l’idée qu’on ne peut pas agir sur ce terrain. La majorité de s parents a intégré l’idée que l’Ecole fait ce qu’elle peut en ce domaine et que ce sui compte c’est le chacun pour soi.
Pourquoi publier en ce moment ?
Parce que l’Ecole est à la croisée des chemins. Car jamais les enjeux du développement durable ou des handicaps n’ont été aussi structurants. Qui peut dire que l’écologie n’est pas un enjeu central pour les générations futures ? Or l’Ecole n’y répond pas. Pareil pour le numérique. Si l’école n’y prépare pas alors ce sont les GAFAM qui vont l’emporter.
Propos recueillis par François Jarraud
Rodrigo Arenas, Edouard Gaudot, Nathalie Laville, Dessine-moi un avenir. Plaidoyer pour faire entrer le 21ème siècle dans l’école. Actes Sud. ISBN : 978-2-330-14112-7 . Prix indicatif : 16.00€