La vie scolaire a un rôle important à jouer dans le bon climat de l’établissement, tout particulièrement en ces temps de pandémie. Un état d’esprit, une posture, quelques outils et une manière de communiquer avec tous peuvent participer du bien-être de chacun. Ils permettent notamment de maintenir et de renforcer le lien avec les familles dans une recherche de coéducation fructueuse. Ketty Joly, CPE, donne des pistes de pratiques simples et efficaces.
Vous êtes Conseillère principale d’éducation (CPE) dans un lycée général et technologique du 91. En quoi êtes-vous concernée par le bien-être à l’école ?
Ma place de CPE fait que je me trouve à un carrefour de la vie de l’établissement. Je reçois aussi bien les élèves, les enseignants que les familles. Je travaille avec les personnels de direction, l’infirmière, l’assistante sociale et la psy-EN autour des élèves qui sont en difficultés. Je vois les répercussions positives sur l’enseignement quand les enseignants vont bien. Je vois aussi que lorsque les élèves vont bien, ils sont plus disposés à travailler et donc à s’impliquer dans leur cursus scolaire.
On parle beaucoup de bien-être à l’école… mais finalement comment le mettez-vous en pratique de là où vous êtes ?
Pour ma part, il s’agit de se rendre au travail avec en tête le plaisir d’y aller. Je le pense, je le vis je l’incarne. Comment ? C’est assez spontané car j’ai la chance d’exercer l’un des plus beaux métiers du monde, CPE. Un état d’esprit donc, mais aussi une posture, quelques outils et une manière de communiquer avec tous. Je démarre ma journée avec le plaisir de retrouver mes élèves, mes collègues assistants d’éducation CPE, profs, agents. Tout le monde a droit à mon bonjour enjoué et c’est communicatif. Les personnes que je croise me renvoient cette énergie positive ; il arrive que certains soient plus réservés mais je vous assure qu’au portail, j’ai observé que ma posture aide à la bienveillance, au sourire sincère. Je suis persuadée que cette attitude se répand dans les couloirs, la classe et la vie scolaire. Mon principe : « Soyez ce que vous voulez que l’on soit avec vous. »
J’utilise beaucoup de « gadgets » dans mon quotidien pour appuyer ma posture. Ce sont des cartes plastifiées avec des messages comme « Ne cherche pas le bonheur, crée-le. » ou « Commence où tu es, utilise ce que tu as, fais ce que tu peux. » que j’offre à mes élèves à l’issue d’un entretien. Il y a aussi des affiches dans mon bureau qui prônent l’écoute et la verbalisation des émotions : « Sois à l’écoute de tes besoins et de tes émotions pour mieux comprendre ce qui se joue en toi. » Rien ne dit que les autres membres de la communauté éducative n’en profitent pas quand ils passent dans mon bureau … J’aime prendre le temps d’expliquer aux élèves ce qui se passe en eux quand ils se mettent en colère ou quand ils débordent de joie. Ils sont souvent très attentifs et comprennent assez vite qu’il vaut mieux éviter de faire des promesses lorsqu’une émotion est exacerbée.
Et avec les autres membres de la communauté éducative ?
Pour moi, le bien-être à l’école passe par la communication et la confiance que l’on offre à nos interlocuteurs. Je suis très attentive à la qualité des relations interpersonnelles. Se connaitre et se faire confiance mutuellement favorisent les bonnes relations. Les perceptions positives et la connaissance de l’autre créent un climat propice à l’échange, à la construction de projets ou à l’accompagnement d’un jeune en difficulté. Par exemple, il me semble important de se donner le temps, de faire ses preuves dans la gestion d’une situation de conflit de lancer des projets. Il me semble important d’être claire et explicite pour éviter les malentendus qui cristallisent les relations et pervertissent les échanges. Connaitre les manières de fonctionner des enseignants et faire connaitre les nôtres sont des appuis précieux pour se décentrer de l’obsession des bons résultats scolaires, souvent pris comme seuls indicateurs de la réussite scolaire.
Le bien-être de l’élève passe aussi par la coéducation. Comment vous y prenez-vous pour associer les parents ?
Les parents sont également parties prenantes du bien-être à l’école, même s’ils n’y sont qu’épisodiquement. Les inviter à participer aux temps forts de l’établissement permet de créer des liens qui favorisent le bien-être de tous. Le temps de la rentrée en est un temps fort. Les mots doivent permettre aux familles de repartir en pensant : « Ah, ici mon gamin va être suivi, encadré … ». Ils doivent leur permettre de nous faire confiance. À nous ensuite de dire ce que l’on fait et de faire ce que l’on dit. Avec eux, je joue aussi la carte de la transparence. Notre objectif commun est que la scolarité de leur enfant se passe du mieux possible. En posant ce cadre de coéducation, je les positionne comme acteurs sans qui le travail est difficile. Il m’arrive de téléphoner à des familles en disant : « Madame (ou Monsieur), sur ce coup-là, j’ai besoin de vous. J’ai pensé que l’on pouvait mettre en place telle stratégie. Qu’en pensez-vous ? Je prends en charge cette partie et j’ai besoin que vous me fassiez confiance. On fait un point dans x jours et on voit comment les choses ont évoluées. » Je m’adapte et ajuste ma façon de faire avec les parents. Je fais attention à m’adresser à eux en tenant compte de la perception qu’ils ont de l’école. Je me rends compte de l’effort qu’un père ou une mère doit parfois fournir pour venir nous rencontrer. L’objectif alors est de les mettre à l’aise pour qu’il ou elle n’hésite pas à revenir et que nous puissions installer cette coéducation dans le temps long. Cela installe un sentiment de bien-être, de confiance partagée, c’est appréciable !
Le confinement vous a-t-il fait modifier vos pratiques vis-à-vis d’eux ?
Forcément, pendant le confinement, les parents ont passé de longues journées avec leurs enfants. Beaucoup étaient inquiets de voir leurs enfants décrochés. Mon objectif était véritablement de maintenir ou créer du lien avec les élèves et leurs familles. Je travaillais en lien étroit avec les professeurs principaux qui me signalaient leur difficulté (élèves absents aux classes virtuelles, par exemple), mais aussi directement avec les délégués de classe et les familles. Je ne souhaitais pas que, dans ce contexte, ma seule entrée soit les enseignements. Alors, je leur envoyais régulièrement des messages, certains me renvoyaient des citations. Je leur proposais également des jeux, des exercices de relaxation ; je leur ai aussi envoyé une petite chanson-dédicace que j’avais créée spécialement pour eux. J’ai reçu beaucoup de gratitude de la part de certains élèves et de certaines familles. J’ai eu de longs échanges téléphoniques avec certaines d’entre elles, au cours desquels nous parlions du quotidien à la maison : l’articulation entre le télétravail, la gestion du quotidien et la place à prendre dans le suivi des cours de leurs grands adolescents. Naturellement, la nature des relations a évolué… J’ai en charge le suivi des classes de terminales technologiques alors ce qui en reste ce sont les témoignages de remerciements reçus et l’idée que la graine semée fleurira en un autre lieu…
Propos recueillis par Anne-Marie Cloet-Sanchez
doctorante Laboratoire BONHEURS, CY Paris Cergy Université