Radio Clype, la radio des Collèges, des Lycées et des Ecoles de Paris, était depuis 20 ans, un dispositif de radio pédagogique à destination de tous les élèves parisiens de la maternelle au lycée. Un projet qui a permis à des milliers d’élèves d’enregistrer une émission de radio. Enseignants, élèves et parents participants en gardent tous un excellent souvenir. Mais aujourd’hui, Radio Clype est mutilée. D’ailleurs, comme le dit si bien Gwenaele Guillerm, « on devrait l’appeler Radio Clyp puisque les écoliers n’y ont plus accès depuis septembre ». Gwenaele c’est la fondatrice du projet. Elle nous raconte l’aventure et les déconvenues de cette rentrée.
Gwenaele, c’est une touche-à-tout de l’éducation nationale. Institutrice, professeure de lettres-histoires en lycée professionnel, documentaliste en collège, en lycée et au CLEMI national. Puis, renouant avec un rêve de jeunesse, Gwenaele suit des cours du soir en écriture journalistique et secrétariat de rédaction. Une formation qui lui permet d’être recrutée par la revue du CNDP, TDC (textes et documents pour la classe). Mais sa plus belle expérience, c’est la création de Radio Clype.
Comment est née Radio Clype ?
Après le CNDP, je me suis retrouvée dans un lycée professionnel (LP) de la plasturgie dans le 13ème. À l’époque, les ordinateurs venaient d’entrer dans le centre de documentation et j’avais noté que le seul intérêt des élèves était de surfer sur la toile. J’ai donc cherché à les en détourner un peu en montant des projets puis, de fil en aiguille, est née l’idée de créer une radio. Ces élèves en difficulté scolaire parlaient facilement mais dès qu’il était question de passer à l’écrit, ils étaient bloqués. L’échec scolaire les minait. Ils étaient, pour la plupart, en LP par défaut et l’enseignement général était leur point faible même lorsqu’ils s’intéressaient aux matières professionnelles.
Je me suis alors souvenue de la radio dont j’avais entrevu toute la richesse lors d’une journée de pratique durant ma formation au CFPJ et pendant les stages du Clemi. Les radios scolaires m’étaient connues. Il y en avait de très célèbres, telle que Radio Sillé, par exemple. Je me suis formée et lors de cette formation, j’ai jeté les bases de ce qui allait devenir Radio Clype. Ensuite, la chance m’a souri. La cellule Innovation du rectorat, très active à l’époque, m’a tout de suite encouragée. Le Clemi Paris et l’inspecteur vie scolaire également. On m’a attribué quelques heures pour démarrer le projet, puis un mi-temps. Dans mes « exigences » de démarrage du dispositif, il y avait la présence d’un technicien du son et d’un lieu pour créer un studio. Tout s’est fait progressivement. Dans des conditions très sommaires d’abord puis plus confortables quand nous sommes arrivés au LP Galilée en 2007. La région Ile de France a payé l’aménagement du studio et son matériel. J’ai souhaité tout de suite que les deux degrés, primaire et secondaire, soient concernés.
L’institution a-t-elle reconnu l’intérêt d’un tel dispositif ?
Très vite les formidables qualités du dispositif se sont avérées. Lire, écrire, dire, transmettre de l’information, travailler en collectif, tout y était et les élèves se régalaient même si c’était beaucoup de boulot et qu’ils avaient la trouille au micro. Les enseignants y trouvaient également leur compte. En 2015 après les attentats, la Ministre de l’éducation a prôné un media par établissement pour ouvrir les élèves à la connaissance des médias contre les fake-news, à l’expression, à la citoyenneté… Radio Clype existait, les demandes augmentaient chaque année. L’inspectrice vie scolaire de l’époque a compris ce que nous faisions et m’a donné un plein temps pour élargir nos possibilités d’accueil et répondre à la demande du ministère puisque nous accueillions des élèves de tous les arrondissements de Paris et de tous les milieux, avec une visibilité du travail grâce aux émissions que nous diffusions sur le site internet.
Une séance type ?
Les enseignants souhaitant mener un projet radiophonique avec nous me contactaient, je les rencontrais, élaborais ou peaufinais avec eux leur projet, rencontrais la classe soit dans l’établissement, soit au studio pour une première prise de micro, quand c’était possible. Guidé par nos soins et les documents pédagogiques à disposition sur le site, l’enseignant préparait avec sa classe un conducteur précis de l’émission. Le jour fixé, la classe venait enregistrer au studio, une heure trente d’enregistrement environ pour 20 minutes d’émission montée. Nous pilotions l’enregistrement, la technicienne du son et moi, dans ce vrai studio qui ne manquait pas d’impressionner les élèves, les professeurs et les parents accompagnateurs. Nous ne faisions pas de direct car la radio scolaire est une radio pédagogique. On a droit à l’erreur, droit de recommencer et même si les élèves étaient considérés comme des professionnels dans cette circonstance, le passage au micro est une épreuve. Une émission de radio c’est de la parole mais aussi l’apprentissage d’un rythme, de l’habillage sonore, musique, sons enregistrés en extérieur, reportages, à inclure dans l’émission…, du respect de l’autre, de la responsabilité de ce qu’on dit, d’un ton…
La fierté des élèves et la joie des enseignants m’ont portés pendant toute cette aventure. Les élèves du premier degré, dès la maternelle, sont des publics idéaux pour la radio. Tous les apprentissages sont concernés. Ils adorent passer au micro. Ils apprennent en « jouant ». Ils travaillent dur sans s’en rendre compte !
Qu’arrive-t-il à Radio Clype aujourd’hui ?
C’est un crève-cœur ! Je pars à la retraite et au lieu de trouver une personne qui reprend le flambeau, le rectorat a décidé d’éclater le dispositif, dans le cadre d’une réduction drastique des moyens. Là où je travaillais 35 heures par semaine, le rectorat a attribué neuf heures réparties entre trois collègues documentalistes, soit 3 heures chacune. Autant dire qu’il est impossible de mener des projets d’envergure. Heureusement, la technicienne du son reste en poste, sous statut d’AED. Elle se tient à un poste pivot, essentiel, et elle est formidable. Elle travaille à Radio Clype depuis 4 ans. Ces réductions de moyens éliminent de facto le premier degré auquel, personnellement, je tenais beaucoup. Il faudra non seulement réduire le nombre des élèves profitant du studio, nous en recevions jusqu’à 3000 par an ces dernières années dont 50 à 60% d’écoles primaires, mais aussi respecter des thèmes de travail avec sélection des sujets proposés par les enseignants.
Comment l’expliquez-vous ?
Je me l’explique mal. Ce dispositif n’était pas vraiment coûteux et répondait à de multiples objectifs des différentes orientations ministérielles ou rectorales. Valorisation de l’oral, apprentissage de la citoyenneté, vivre ensemble, international, réduction des inégalités scolaires, accès à la culture pour tous, et j’en passe…
La situation sanitaire est aussi un frein certain. Comment accueillir des classes entières dans un studio mal aéré, comment respecter les consignes de désinfection des micros après chaque prise de parole… Cependant, nous nous étions adaptés. Dès le 17 mars dernier, des enseignants, principalement du premier degré, ont pu faire enregistrer des fichiers sons à leurs élèves, soit sur téléphone portable soit par le système Vocaroo, très facile à utiliser et dont la qualité sonore a permis de réaliser à distance des émissions de très bonne qualité. Tous ont souligné, y compris les parents très impliqués, l’importance de ces diffusions dans le contexte et le sens que ça donnait à l’enseignement.
Et puis, je devais être à la retraite le 30 septembre dernier. Comme la personne source du projet partait, c’était plus facile d’en changer le mode de fonctionnement.
Comment vivez-vous tout cela ?
Assez mal parce que ayant prolongé de 6 mois mon temps de travail à la faveur d’une promotion statutaire, j’aurais aimé profiter de ce temps pour soutenir une réorganisation d’un dispositif radio pour le premier degré et accompagner les projets de plus en plus nombreux de webradios d’établissements. Hélas, cela ne semble pas possible et je me retrouve sous un statut de TZR en documentation que je n’ai pas choisi, qui, administrativement, était le support de mon poste à Radio Clype mais qui n’a guère de sens aujourd’hui pour moi. C’est déjà très dur de quitter un dispositif qu’on a créé mais le faire en ayant l’impression d’être évincée et non reconnue dans ses compétences est moralement éprouvant !
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda