Créé par la loi Blanquer en lieu et place du Cnesco, le Conseil d’évaluation de l’école (CEE) a présenté le 6 octobre la plateforme qui permettra aux établissements secondaires de réaliser l’auto-évaluation, prélude à l’évaluation externe de l’établissement. Le dispositif sera étendu aux écoles primaires dès la prochaine année scolaire. Pour le CEE, l’évaluation interne et externe va permettre de faire réussir les élèves. Elle est largement coopérative. Mais elle reste complètement dans la main du chef d’établissement pour sa réalisation et dans celle des recteurs pour le calendrier. Alors que les établissements croulent sous les difficultés, le CEE veut lancer les évaluations dès cette année.
Des évaluations pour guérir les maux de l’Ecole
« Il s’agit d’améliorer dans les établissements la réussite des élèves ». Présentant le 6 octobre, lors d’une vidéo transmission de l’IH2EF, le nouveau dispositif d’évaluation des établissements, B. Gille, présidente du CEE, l’a paré de tous les mérites.
La nouvelle évaluation comprendra une phase d’auto-évaluation suivie d’une évaluation externe. Pour B Gille, ce dispositif ne fera pas que réussir les élèves. Il guérira tous les maux de l’Ecole. « Il s’agit d’améliorer la réussite des élèves, le bien -être de tous les acteurs, élèves mais aussi personnels, parents et partenaires, de développer le collectif et la coopération entre les enseignants, de développer le sentiment d’appartenance à l’établissement ». L’auto-évaluation exigée par l’Education nationale sera finalement « un vecteur d’apprentissage collectif, une occasion de développement personnel ».
Des propos renouvelés par Romuald Normand, titulaire de la chaire Franco-Chinoise sur les Politiques d’Education en Europe. Selon lui, ces évaluations vont renforcer le dialogue avec les familles, développer les pratiques collaboratives des enseignants qui vont pouvoir se coordonner pour leurs enseignements. « Il y a unanimité pour dire que les effets sont importants car la communauté éducative sait mieux comment les élèves vivent l’établissements et cernent mieux leurs besoins… On sait que les pratiques collaboratives entre enseignants ont des effets décisifs sur la réussite des élèves et l’auto-évaluation fait émerger ces pratiques ».
Pour Eric Charbonnier, expert de l’OCDE mais aussi membre du CEE, la mise en place de ces évaluations « est une grande tendance internationale. Les établissements ont de plus en plus d’autonomie donc il faut les évaluer ». D’autant qu’on a « besoin de réfléchir à la dépense publique ». « Ce qui se passe va forcément dans la bonne direction… Ce qui se met en place va dans le sens des bonnes pratiques de l’OCDE ».
Remède magique
Un tel discours à sens unique, sans réserves ni critiques, est traditionnel à l’Education nationale quand il s’agit d’un projet ministériel. Mais pour le lancement de ces évaluations, on peut dire que le CEE a mis la barre très haut. En fait les évaluations d’établissement devraient faire avancer l’Ecole d’un coup de baguette magique, régler les problèmes d’échec scolaire et construire mystérieusement des communautés professionnelles et des établissements où règneront le bien être et un radieux climat scolaire.
Un dispositif piloté par le haut
Quelques remarques portées durant l’événement pointent quand même les limites de l’exercice. L’auto évaluation comme l’évaluation externe sont des injonctions envoyées aux établissements. Dans chaque académie, le recteur décide du tempo tout comme le chef d’établissement dans chaque établissement. Les équipes éducatives, les parents, les élèves sont invités à construire l’auto évaluation. Mais le CEE prépare des questionnaires numériques et des documents tout prêts. Une plateforme, qui ouvrira le 12 octobre, proposera des outils de collecte de données et des indicateurs qui seront obligatoires. On est dans un schéma que les personnels de direction connaissent bien: celui du projet d’établissement, commande venue d’en haut à laquelle il fait répondre. Là ils devront tenter de mobiliser les personnels et aussi les élèves, éventuellement parents et partenaires.
Des évaluations pour quoi faire ?
Dans les questions qui n’ont pas été posées lors de cette présentation, il y a celle de la suite données à ces évaluations. Somme toute, un principal a expliqué à quel point son rectorat a pu l’aider avec les statistiques dont il dispose déjà sur son collège. Car les établissements sont déjà évalués de façon très pointue sur leur efficacité pédagogique. Mais que fait-on de ces données ? Que fera t on de ces évaluations ? Vers quel modèle évaluatif l’école française va t-elle se diriger ?
Une réflexion hors sol
Les exemples de réussite donnés par l’OCDE correspond souvent à des pays où les résultats de l’évaluation ont des effets concrets sur l’établissement. En fonction des résultats des crédits sont supprimés par exemple. On a là une forte incitation à apporter les bonnes réponses aux évaluations. Une autre incitation est la publication des évaluations. C’est en principe le modèle vers lequel on se dirige. On met ainsi en concurrence les établissements avec l’espoir qu’elle va rééquilibrer l’offre éducative. Croit-on que les établissements ont toutes les clés pour régler les difficultés pédagogiques, institutionnelles, humaines, sociales, médicales qu’ils connaissent ?
Ces belles idées fonctionnent dans un univers qui ignore la violence des inégalités et des tensions dans les établissements. Elle peuvent prétendent construire un consensus sur certains sujets qui ne sont pas négligeable, comme la prise de conscience de points faibles dans l’établissement. Mais cela ne peut pas suffire à régler les difficultés criantes que connaissent de nombreux établissements. B Gille a insisté sur la nécessité de la transparence du coté des évaluateurs. Elle a raison. Mais cela ne gommera pas l’absence de confiance à l’intérieur de l’institution scolaire.
Est-ce le bon moment ?
Un intervenant s’est inquiété du moment pour le lancement de ces évaluations. ESt-ce le bon moment ? Les établissements tentent de survivre au covid 19 qui a fortement perturbé les conditions de vie de tous. Les enseignants tentent de renouer avec leurs élèves et de compenser les manques de la dernière année scolaire sans qu’on n’ai allégé ni leurs programmes ni le calendrier des examens. Un ressentiment inédit existe chez les enseignants envers l’Education nationale après 3 années de mauvais traitements. L’inquiétude domine chez les parents devant l’impréparation de l’institution scolaire au Covid. Construire du collaboratif et du bien être commun dans cette situation tout en étant incapable d’apporter du positif aux établissements relève de la gageure. Certes les chefs d’établissement se débrouilleront pour produire ce qu’on leur demande. Mais pour les communautés éducatives le risque est grand de dégrader la situation en pointant des difficultés sans rien apporter qui permette d’y faire face.
François Jarraud