Peut-on synthétiser l’histoire de l’Ecole depuis la IIIème République et les plus récentes recherches en sociologie de l’éducation ? Yann Forestier, professeur d’histoire géographie et chargé de cours à Rennes 2, le fait avec « L’école en perspective » (L’Harmattan). De cette synthèse particulièrement limpide se dégage une vision de l’Ecole , de ses enjeux et de ses conflits. Rarement on aura eu accès de façon aussi claire et rapide à ce qui se joue aujourd’hui dans l’évolution de l’Ecole. Yann Forestier revient sur quelques uns des sujets traités dans l’ouvrage.
Ce qui marque le système éducatif français ce sont ses inégalités. Cela vient de loin ?
Dans le livre je critique l’image que l’on se fait de l’école de la IIIème République. Elle était fondamentalement inégalitaire même si elle affichait une ambition partiellement égalitaire de créer un peuple de citoyens. En réalité l’égalité était très partielle et cette école n’était pas faite pour promouvoir l’ascenseur social.
Je montre aussi que de nombreux facteurs contribuent à la reproduction des inégalités dans l’école. Il y a des facteurs liés à l’environnement des élèves ou encore à la pédagogie utilisée. Par exemple Julien Netter montre comment l’organisation des horaires et des activités dans l’école contribue à ces inégalités.
Pour Bourdieu ces inégalités étaient imparables car liées à un habitus des élèves correspondant plus ou moins à l’habitus scolaire. Mais il y a des pays où les inégalités sont beaucoup moins fortes. Donc ça interroge sur cette l’importance des inégalités scolaires en France. Je me demande dans le livre ce qui dans l’école peut expliquer ces fortes inégalités.
Justement on a l’impression qu’on assiste à un retour assumé du séparatisme scolaire. Comment en est-on arrivé là ?
F Dubet a écrit sur ce sujet il y a une dizaine d’années « La préférence pour l’inégalité ». Il a montré qu’il y a plusieurs conceptions de l’égalité et de la justice scolaire. Un des problèmes que je soulève dans le livre c’est que l’égalité et la démocratisation scolaires n’ont jamais été vraiment définies et donc il n’y a pas de culture partagée sur ces sujets chez nous, même chez les enseignants. Par exemple les sondages sur le collège unique montre que même la majorité des enseignants des collèges le jugent irréaliste.
Cela favorise le séparatisme scolaire car on peut d’autant plus s’affranchir des principes moraux que ceux ci ne font pas consensus. Le retour des internats d’excellence, présentés à tort comme une oeuvre de justice scolaire en est un bel exemple. La possibilité pour les jeunes des milieux populaires d’étudier dans de bonnes conditions est une sorte de compensation. Mais on extrait quelques jeunes de leur quartier en privant les autres de leur présence.
Il faudrait donc inventer un imaginaire de la démocratisation scolaire en s’inspirant de l’exemple de l’imaginaire de l’école de la IIIème République. Quand arrivera t-on à avoir un imaginaire mobilisateur sur la démocratisation ? J’ai été frappé de voir qu’en Finlande les enseignants se réfèrent à des principes clairs d’égalité et de justice. Si l’enseignement privé est peu développé en Finlande cela tient au fait qu’ils sont attachés à ces principes. Il sont ainsi refusé le libre choix de l’école pour les respecter.
On assiste aussi à un dirigisme assumé dans l’Ecole. Pourtant elle semble impuissante face à ces enjeux. Les eux sont compatibles ?
Paradoxalement oui. Le dirigisme de l’Ecole française a été renforcée encore par JM Blanquer prenant à rebours son slogan de « l’école de la confiance ». Cela contribue à démobiliser les acteurs car sur le terrain il est très difficile de faire preuve d’initiative puisque tout semble avoir déjà été pensé pour nous. La réécriture des programmes a encore réduit la marge de manoeuvre des enseignants. Le métier enseignant se vit maintenant comme un métier d’exécutant.
Quand les enseignants se sentent encadrés ils peuvent difficilement prendre des initiatives de changement. Or ces changements ont besoin que les enseignants soient à leur initiative. Tout est fait aussi pour que les enseignants agissent de façon atomisée. Des actions concrètes ne peuvent exister que dans la transgression. L apriorité est de sembler rester dans la norme.
La crise exceptionnelle que l’on vient de vivre, avec la fermeture des écoles, a t-elle modifié la donne ?
Il y a incontestablement eu une aggravation des inégalités scolaires. Mais il y a eu aussi des initiatives originales. Mais le ministère a été tellement en rupture avec les réalites du terrain en affichant une rhétorique de la maitrise que cela a suscité une grande incrédulité chez les enseignants. Au final la crise a accru le divorce entre eux et la hiérarchie. Ce qui n’est pas favorable au lancement d’initiatives.
Vous dites qu’il n’y a pas de projet politique pour l’Ecole. Mais JM Blanquer semble en avoir un…
Je lui consacre un grand encadré dans le livre. On ne sait pas encore dans quelle tradition il se situe. Il a affiché l’école de la confiance, une excellente idée. Mais la réalité a été l’exacte contraire. Alors on ne sait pas son projet c’est ce qu’il dit ou ce qu’il fait. On a un projet d’inspiration libérale et une réaffirmation conservatrice qui sourd des nominations et des discours. Un bel exemple est la polémique sur les tenues des lycéennes. Blanquer joue sur l’ambiguïté. C’est l’adresse de sa communication.
Je me méfie des débats publics sur l’Ecole qui cataloguent très vite les acteurs ce qui évite le débat. Par exemple la réforme du collège a été cataloguées comme ultralibérale ce qui a permis de s’y opposer en évitant le débat sur l’interdisciplinarité.
J’évite de cataloguer JM Blanquer. Par exemple dans sa réforme du lycée il y a à la fois des choses scandaleuses et intéressantes. La suppression des filières est une bonne idée . Mais les E3C sont scandaleuses.
Propos recueillis par F Jarraud
Yann Forestier, L’école en perspective, Brève synthèse des apports récents de la recherche sur les questions éducatives, L’Harmattan, ISBN : 978-2-343-20816-9 , 22.50€