L’enquête Cedre à propos des acquis des élèves en mathématiques à la fin de l’école primaire montre «des écarts importants des performances selon le profil social des écoles » et observe que « La baisse n’affecte pas celles (les écoles) accueillant les élèves les plus favorisés socialement. Ces résultats confirment l’hétérogénéité des niveaux déjà observée en 2014 mais aussi à l’entrée en sixième.».
Bien que cette enquête ait fait, cette fois, travailler les élèves sur des évaluations éditées sur des supports numériques avec lesquels ils sont peu habitués, il n’y a aucune raison pour réfuter ces résultats.
Je ferai plusieurs remarques :
– Cette étude a été menée sur une période au cours de laquelle se sont succédé des modifications de programmes (2008, 2016, 2018 et circulaires récentes) souvent contradictoires jusqu’à récemment aboutir à l’injonction à enseigner les mathématiques par telle ou telle méthode. Cette ingérence de la part d’un ministère est un fait nouveau. Ces modifications de programmes ont entraîné une baisse progressive de liberté dans les choix pédagogiques, une baisse d’initiatives de la part des professeurs contraints d’être de plus en plus des exécutants. Comment s’étonner alors que ces professeurs, privés d’encouragement depuis plusieurs années à construire des situations de découverte en mathématiques, se rabattent vers des enseignements plus transmissifs et donc comment s’étonner que l’étude conclue que « par ailleurs, lorsque les élèves sont interrogés sur leur rapport aux mathématiques, on constate une dégradation de l’attractivité des mathématiques. »
– Il est symptomatique de voir depuis une dizaine d’années les éditeurs demander aux auteurs des ouvrages de mathématiques « moins ambitieux », des fichiers, afin que les enseignants puissent s’appuyer sur des manuels qui affichent rapidement les savoirs à acquérir sans passer par la case « construction de situations d’apprentissage ». Dans ce cadre, les enfants de milieux favorisés disposant dans leur milieu familial de ressources dont ne disposent pas les enfants de milieux défavorisés « encaissent » mieux les effets d’un enseignement par exposé des savoirs grâce au rôle de répétiteurs que peuvent jouer les parents.
Contrairement à ce qui a été véhiculé, les situations d’apprentissage dans lesquelles l’élève est amené à construire des savoirs mathématiques ne sont pas destinées aux élèves de milieux favorisés. Bien étudiées en formation, elles permettent au contraire de réduire les écarts.
– La formation des professeurs, surtout en formation continue, est devenue une courroie de transmission des directives ministérielles, c’est-à-dire l’enseignement de méthodes, au détriment du « pas de côté » que nécessite toute formation à la didactique des mathématiques.
Pour conclure, il me paraît utile de regarder de près les conclusions révélatrices de cette étude mais toute étude statistique est vite l’otage de lieux de pouvoir. Imaginer que cette étude permettrait de revoir la formation des professeurs, d’encourager une réflexion sur la construction des mathématiques à l’école primaire serait naïf. On voit déjà le ministre se saisir de ces résultats au journal de 20 heures ou/et sur les réseaux sociaux pour réaffirmer la justesse de sa politique de retour aux savoirs fondamentaux enseignés de façon « raisonnable » et de l’utilité de l’enseignement à distance. La boucle est bouclée.
Joël Briand
Maître de conférences honoraire en mathématiques
Université de Bordeaux.