Comment engager ses élèves dans la mise en place d’un écolycée ? Cédric Metge, enseignant de SVT au lycée Marcelin Berthelot de Toulouse et Yannis El Amraoui, lycéen et cofondateur de « Berthelot, un lycée en transition » témoignent d’un vaste projet mené depuis 2 ans. L’idée générale est de « limiter l’impact du lycée sur l’environnement et de sensibiliser les lycéens à l’urgence climatique en menant des actions concrètes ». Fresque du climat, conception de savons, installation de ruches, d’un potager, réduction des déchets, le « travail de planification » porte ses fruits. Une dynamique collective s’ancre progressivement et aboutit à une plateforme en ligne pour « mettre en contact les lycées écolos ».
Comment est né votre projet
Cédric Metge : Ce projet a été élaboré à l’initiative d’un petit nombre d’élèves dont Yannis a été l’élément moteur. C’est en 2018, alors qu’il était en première, qu’il l’a pensé et mis en forme. L’année précédente, Yannis était un de mes élèves dans la classe dont j’étais le professeur principal. A l’occasion d’heures dédiées à la conduite de projets au sein du lycée, j’avais demandé aux élèves d’élaborer une manifestation au sein du lycée pour sensibiliser les autres lycéens aux enjeux du développement durable. Nous nous étions basés sur les 17 objectifs de développement durable établis par les Nations Unies. En groupe, les élèves devaient contacter des structures extérieures pour réaliser leurs événements. L’autonomie et l’initiative étaient de mise. Je pense que Yannis avait déjà en tête son projet mais cette petite expérience au cours de ces heures d’aide personnalisée a permis de le lancer dans cette belle initiative « Berthelot, un lycée en transition ».
Ce projet est donc avant tout un projet initié et mené par les élèves, ce qui explique la participation de Yannis à cette interview. M. Cros, le proviseur du lycée Berthelot, les a toujours soutenus dans toutes leurs démarches et les actions menées, tout comme de nombreux professeurs.
Yannis El Amraoui : Ce projet « Berthelot, un lycée en transition », appelé aussi « EcoLycée », est parti d’un constat simple : d’un côté peu d’actions étaient réalisées au lycée, puisque même le tri du papier n’était pas systématique, et d’un autre côté la grande partie des jeunes sont motivés pour agir et participent aux marches du climat. Après avoir parlé du projet à M. Metge et au proviseur M. Cros en Janvier 2019, j’ai organisé une première réunion pour rassembler les élèves, les professeurs et les membres du personnel intéressé. Nous nous sommes mis d’accord sur le fonctionnement et les objectifs : c’est à ce moment que le projet EcoLycée est né.
En clair, EcoLycée cherche à limiter l’impact du lycée sur l’environnement et à sensibiliser les lycéens à l’urgence climatique en menant des actions concrètes. Je considère les défis écologiques et climatiques comme un challenge pour notre génération. Cette vision positive de l’écologie motive les jeunes à passer à l’action.
Comment s’est organisé le travail ? Quelle démarche ? Pour quels objectifs ?
YEA La démarche EcoLycée se veut ouverte et collaborative. Dès le début d’année, nous faisons une collecte d’idées d’actions et nous avons mis en place l’élection d’un quatuor d’écodélégués par niveau, devançant la mesure gouvernementale. L’intérêt et la faisabilité de chacune de ces idées sont étudiées par les élèves, le proviseur et l’intendant. Cette démarche collaborative aboutit à un plan d’actions ambitieux qui est affiché et communiqué aux usagers de l’établissement.
Les actions sont variées, elles relèvent de trois visées différentes :
• Sensibilisation (15 ateliers avec des intervenants, jeu fresque du climat, atelier fabrication de savon…)
• Préservation de la biodiversité (création d’un potager, mise en place de ruches, d’un nichoir et d’un hôtel à insectes)
• Réduction des déchets (cendrier-sondage, tri du papier, réduction des portions initiales à la cantine…)
Le travail de planification et de mise en place des actions se fait en présentiel hors des cours mais aussi via des plateformes. Nous cherchons le consensus en évitant le vote, une majorité qui écrase une minorité. Les réunions mensuelles suivent un ordre du jour, permettent de se fixer des objectifs et de se féliciter quand ils sont atteints…c’est important ! On organise aussi des événements conviviaux : ciné-débat, apéro, pique-nique zéro déchet…
CM : Yannis et ses camarades ont rencontré M. Cros pour exposer leurs idées et ce beau projet. Face à cette motivation, nous avons convenu que des lycéens pouvaient mener cette action en autonomie, avec le soutien des personnels prêts à partager leurs compétences. Après quelques discussions sur des points d’organisation et de gestion, les écolycéens se sont jetés dans cette aventure.
Je pense qu’à travers leurs enseignements, les élèves acquièrent des compétences psychosociales qui leur permettent d’adopter un comportement approprié lors des relations entretenues avec les autres et leur environnement. Ainsi, la démarche de projet enseignée crée une dynamique collective qui pose les bases pour des élèves désireux de mener des actions. Nous avons eu la chance au lycée Berthelot d’avoir des élèves motivés pour agir et qui ont su utiliser ces compétences au service de leur projet.
En effet, quand on analyse leur démarche, nous pouvons souligner des objectifs discutés, une organisation et une planification des actions, une phase de réalisation répartie entre les élèves et une évaluation des actions. La construction du site « Lycées en transition » est un support à buts multiples : faire connaître les actions, mutualiser les pratiques, rencontrer des interlocuteurs. D’ailleurs, pour la construction du site, les écolycéeens se sont rapprochés de l’association des anciens du lycée Berthelot pour exploiter leurs compétences. Le projet est donc intergénérationnel.
Finalement, qu’est-ce qu’un « lycée écolo » ?
YEA : Un “lycée écolo” est un lycée engagé dans une démarche de développement durable avec un projet ambitieux rassemblant différents acteurs. Il suffit d’avoir un peu d’envie et d’organisation pour le lancer dans son lycée.
Pour faciliter davantage la mise en place d’une dynamique écologique dans les collèges/lycées, nous avons créé un projet à plus grande échelle : « Lycées en transition ». Cette plateforme en ligne a pour objectif de mettre en contact les lycées écolos et de leur permettre d’inspirer les autres lycéens en publiant leurs meilleures actions. Le projet « Lycées en transition » permet de simplifier et d’accélérer le développement de groupes de “lycée écolo”. Que vous soyez professeur ou élève, rejoignez-nous pour faire partie de la solution !
CM : Tous les établissements scolaires sont investis dans des démarches d’éducation au développement durable. De nombreux collègues réalisent des projets à différents niveaux : égalité entre les sexes, réductions des inégalités, lutte contre le réchauffement climatique, préservation de la biodiversité, suivi de la pollution : exposition, ciné-débat, conférence, écoclub, atelier scientifique et technique… De nombreuses démarches fleurissent aussi dans les cantines dans la gestion des déchets et le choix environnemental des produits. Il faut rendre hommage à tous les personnels investis.
Ces projets sensibilisent depuis des années nos élèves qui sont en conséquence de plus en plus mobilisés. Ici, la singularité est l’autogestion par les élèves de l’ensemble des actions. Assister à une réunion mensuelle est un réel plaisir, une leçon de travail coopératif et collaboratif. La communication sur les réseaux sociaux est aussi un point clé dans l’avancement du projet.
Les anciens élèves de terminale reviennent au lycée cette semaine pour informer les élèves de seconde afin de pérenniser le projet. Ils vont encore être actifs.
Dans un autre projet, la démarche Sauvage dans ma rue a été mise en place dans votre lycée. De quoi s’agit-il ?
YEA Cette démarche est un exemple de projet mené directement en lien avec les programmes scolaires. Nous apprenons de manière ludique la biodiversité qui nous entoure au quotidien mais que nous ignorons. On protègera plus facilement une plante nommée que quelque chose que l’on appelle couramment mauvaise herbe. EcoLycée a permis de partager le travail d’un groupe d’élèves pour sensibiliser davantage.
CM : Cette démarche est plus globale et fait partie du programme Vigie-Nature de sciences participatives du Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris. Dans ce programme, les chercheurs du Muséum ont besoin de collecter des données pour leurs recherches et demandent aux élèves et aux citoyens de suivre un protocole strict pour obtenir ces données. Dans le cas de Sauvage dans ma rue, les citadins sont invités à relever la présence d’espèces végétales au pied des arbres, sur les trottoirs des villes. Cette biodiversité a des rôles multiples comme la dépollution de l’eau et de l’air et le suivi de cette biodiversité peut être un indicateur de “santé” de nos villes. Il existe d’autres protocoles d’observations : papillons, escargots, insectes pollinisateurs…
Concrètement, cette séance s’est déroulée après le confinement, et je voulais que les élèves soient confrontés au réel. Les activités en classe nous permettent souvent d’utiliser des plantes récoltées. Mais pendant cette période singulière, en distanciel, ils devaient prendre des photographies des plantes des rues toulousaines. De plus, ils pouvaient écrire à la craie le nom de l’espèce pour sensibiliser les voisins et passants (idée empruntée à Boris Presseq et Pierre-Olivier Cochard, deux botanistes toulousains) en utilisant l’application participative Pl@ntnet. Enfin, les élèves pouvaient réaliser un gif animé de leurs productions.
Propos recueillis par Julien Cabioch
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