Comment donner à des 6èmes le gout de la lecture ? Comment faire de cette lecture une expérience authentique, enrichissante, partageable ? Professeure de français au collège Quartier francais / Lucet Langenier à Sainte-Suzanne à La Réunion, Anne Boulanger a choisi de mettre en place, dès le début de cette année scolaire, des carnets de lecture individuels qui vont se remplir au fil des séquences. Elle nous éclaire ici sur un dispositif fort transférable : lancement de l’activité, chartes d’usage, outils susceptibles de favoriser l’engagement des élèves … Et elle montre concrètement comment faire de la classe, dans un climat de confiance, une belle communauté de lecteurs et de lectrices.
Pourquoi mettre en place un carnet de lecteur ?
J’essaye de faire place à la réception du texte par l’élève. De l’aider à faire l’expérience de la lecture en la racontant dans son carnet. Le texte devient ici celui de l’élève qui raconte son expérience de lecture : ce qu’il a aimé, ce qu’il a ressenti, ce qu’il a compris, ce à quoi il a pensé… J’aimerais aussi que les élèves comprennent pourquoi on fait ce carnet en classe.
Vous commencez l’année par une séquence qui s’intitule « En quête de lecteurs » : quelle en est la première étape ?
Les élèves répondent à une enquête de lecture. Les élèves échangent entre eux sur leurs expériences de lecture. Je leur donne des cartes pour animer leur conversation. Je prends le temps d’accueillir leurs lectures : on parle de Naruto, Hunter X Hunter, de mangas. On parle aussi de poèmes qu’ils n’ont pas oubliés. De leurs émotions à les réciter devant leurs parents, devant leurs copains à l’école. Et au tableau se dessine le portrait de la classe : le portrait de lecteurs. Je leur propose de poursuivre cette enquête en famille, avec les proches via un genially.
Quelles sont les différentes questions qui constituent cette enquête de lecture ?
Combien de livres as-tu déjà lus ? Quels sont ceux qui t’ont le plus marqué ? As-tu déjà reçu des livres en cadeau ? Étais-tu contente ? As-tu déjà offert un livre en cadeau ? Si oui lequel et pourquoi ? As-u déjà pensé à écrire un livre ? De quoi parlerait-il ? As-tu relu un même livre ? Si oui lequel et pourquoi ? Quand tu entends le mot « livre » à quels autres mots penses-tu ? Aimes-tu lire ? Pourquoi ? As-tu déjà rencontré un écrivain ? As-tu déjà téléchargé un livre sur internet ? Si oui lequel ? Où aimes-tu lire ? Quand préfères-tu lire ? Tu pars en vacances sur une île déserte et ne peux emporter qu’un seul livre avec toi : quel serait-il ? Te souviens-tu des moments où on t’a lu des histoires ? Raconte ! As-tu une librairie pour acheter des livres ? Quel est le dernier livre que tu as lu ? De quoi parlait-il ? Quel poème as-tu déjà récité ? C’était où et quand ?…
Dans une 2ème étape de travail, vous mettez en place avec les élèves le carnet de lecture : selon quel dispositif et avec quel contrat ?
Les élèves observent différents carnets à partir de questions : quel format, pourquoi ? Quelles activités, pourquoi ? Quelles interventions du professeur, pourquoi ? On essaye ici de donner du sens à notre travail.
Dans la charte que l’on construit, les préoccupations des élèves se révèlent différentes : pour une classe, c’était important de dire qu’il ne fallait pas se moquer du travail des uns et des autres, pour l’autre classe, cette question ne s’est pas posée. Pour une classe, c’était important que le professeur n’écrive pas dans le carnet pour que le carnet reste personnel. Pour une autre, le professeur pouvait écrire … mais pas en tant que professeur : je devais aussi être lectrice et du coup renoncer au stylo rouge. Pour les deux classes, discuter de ma place dans ce travail a été important, notamment via la question de l’orthographe. Allais-je passer mon temps à repérer les erreurs d’orthographe ? Répondre à cette question, c’est donner du sens au carnet. Et bien non, je n’allais pas corriger les erreurs car ce n’était pas le lieu. Le carnet, c’est l’occasion de partager nos expériences de lecture. Le professeur « échange » sur la lecture. Il n’est pas là ici celui qui repère et corrige les erreurs. Ce temps de conception de la charte est un temps de clarification, d’explicitation nécessaire pour comprendre ce travail mais aussi pour motiver tous les élèves.
Comment fortifiiez-vous l’implication du lecteur ?
Le troisième temps fort de cette séquence vise à montrer aux élèves que le lecteur est un lecteur impliqué dans sa lecture… grâce au livre « Kamo, l’agence Babel ». L’élève lecteur est amené à mener une enquête, comme son personnage : qui est le directeur de l’Agence Babel. Je leur offre un marque-page pour construire l’enquête. L’idée des marque-pages vient d’une proposition de Marie Soulié, idée que j’ai retrouvée dans un livre « Les meilleurs activités pour enseigner la lecture ». Et on fait un petit jeu en salle info pour savoir si on était de bons enquêteurs. J’ai créé ce jeu avec genially : si on pense qu’il y a autant de lectures du texte que d’élèves dans la classe, ce jeu permet de construire notre lecture commune sur laquelle je peux m’appuyer pour construire mon évaluation.
Et au fil de l’année ?
Dans le carnet de lecture, il y a les feuilles que j’ai préparées et les feuilles blanches que les élèves vont remplir au fur et à mesure de l’année. Pour continuer à les motiver, je dédie des heures en classe dans l’année pour partager, échanger, faire circuler le carnet. J’organise aussi des cercles de lecture : les élèves échangent avec leur carnet. Chacun s’en empare à sa façon, à son rythme. Mais je peux dire que tous se l’approprient car c’est le lieu où lectures scolaires et lectures personnelles se rencontrent.
Quelles satisfactions tirez-vous du dispositif ?
Dans l’enquête de la séance 1, mes élèves se présentent comme non lecteurs et finalement à l’issue de l’enquête, ils prennent conscience qu’ils ont lu, qu’ils lisent. Je leur parle de mes lectures, des lectures que je n’ai pas réussi à terminer, des livres que j’ai aimés quand j’étais enfant, ado, adulte. Et au-delà de ce dispositif, y a un climat de confiance entre eux et moi qui se crée dès le début de l’année… et ce grâce au livre.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut