De l’air ! De l’air ! De l’air ! En cette rentée 2020, beaucoup d’enseignant.es et d’élèves éprouvent un sentiment d’étouffement et de réincarcération : entre les murs de la classe, derrière les masques-barrières, dans des pratiques scolaires normatives … Peut-on encore faire de l’Ecole le lieu d’une libération ? Au Lycée Pilote Innovant International de Poitiers, Hélène en offre un exemple inspirant en 1ère. Le vendredi 18 septembre, amorçant l’étude du recueil « Alcools » de Guillaume Apollinaire, elle a fait de l’entrée dans l’œuvre une sortie de la classe : évasion physique puisque la séance s’est déroulée près des arbres qui jouxtent le lycée, échappée pédagogique puisque l’écriture, créative et poétique, ici précède, appelle, stimule la lecture. Recréer du lien avec la nature, avec l’autre, avec la littérature : Hélène Paumier nous raconte cette belle expérience…
Découvrir Alcools en s’enivrant de l’automne
« Au départ, l’absence d’envie d’aller en classe 2 h avec mes élèves de 1ère masqués, la chaleur, l’exiguïté des locaux… Il fait 25 degrés dehors, les feuilles craquent sous les pieds, l’herbe est sèche et les arbres rougissent. Je décide le matin même, quelques heures avant d’aller en cours, de commencer l’étude d’Alcools d’Apollinaire en faisant cours dehors.
Le 31 août, lors de la prérentrée au LP2I, Crystèle Ferjou, spécialiste de l’école dehors est venue partager cette expertise avec l’équipe : faire cours dehors est une pratique qui se développe pour l’élémentaire mais peu pour le collège et le lycée. Nous (toute l’équipe) avions décidé en juin déjà de recréer du collectif après cette période de confinement en proposant aux élèves des cours dehors, et tenter de proposer des activités collectives.
Le matin même donc, vendredi 18 septembre, j’envoie un mail à toute ma classe vers 8h00 en écrivant : « Rendez-vous à 10 h dans la cour ». Nous nous dirigeons vers les arbres qui jouxtent le lycée et je leur dis explicitement que nous allons commencer la séquence sur la poésie, que notre objectif, entre autres, est de découvrir et s’approprier Alcools d’Apollinaire. Nous avons déjà fait 4 heures de révision sur les notions abordées en classe de 2ᵈᵉ (genre, registre, type de discours, mouvement littéraire…). Je me positionne alors, sans le leur dire, non plus en tant que professeure mais en tant que animatrice d’atelier d’écriture. Je le suis par ailleurs depuis presque 20 ans dans divers contextes (ateliers d’écriture au festival Pirouésie, au CHU de Blois dans le service diabétologie, en cours bien souvent, sur le réseau Twitter en tant que participante ou en proposant des « jeux d’écriture »). Je crée aléatoirement des groupes de 4 mélangeant filles et garçons, des élèves issus de classes de 2ᵈᵉ différentes l’année précédente, des personnalités plus discrètes et d’autres que je connais comme étant plus « dynamiques ».
Poème des sens
Je leur propose d’abord d’écrire un poème des quatre sens. J’explicite la proposition en grand groupe, écoute attentive requise et clarifications suivant leurs questions : chaque membre du groupe de 4 élèves prend en responsabilité un sens (l’ouïe, la vue, le toucher, l’odorat… je leur épargne le goût…). Chaque élève doit composer avec « son sens » 2 alexandrins rimés (je saisis l’occasion pour réviser quelques règles de métrique). C’est Coraline Soulier, enseignante en lettres à Lille, mais surtout amie et animatrice d’atelier d’écriture et elle aussi qui avait proposé cette expérimentation lors du festival Pirouésie auquel nous participons depuis des années. Je leur demande ensuite de s’éloigner par groupe de 4, de se positionner à plus d’un mètre les uns des autres s’ils souhaitent enlever leur masque. Nous respirons ! Les groupes disposent d’environ un quart d’heure, un peu plus si besoin, nous nous donnons le temps. Personne ne doit dévoiler aux autres membres de son groupe ce qui est écrit : ce sera la surprise. Lorsque tout le monde a terminé, nous nous retrouverons entre ombre et soleil sous les arbres qui sont près du lycée. Le groupe qui lit se lève et chacun lit : l’élève 1, son 1er vers, l’élève 2 son 2ᵉ vers… l’élève 1 son 2ᵉ vers, l’élève 2 son 2ᵉ vers… et ainsi de suite. Chaque groupe a donc écrit un huitain en rimes ABCD/ABCD de son paysage spatio-temporel automnal. Les élèves applaudissent à chaque lecture devant la beauté des mots et de ses poèmes descriptifs de sensations. Cela nous permet aussi de réviser le genre (la poésie) et le type de discours (la description).
Poèmes avec muses
Je leur propose ensuite la contrainte inventée par Benoît Richter, poète contemporain : poème avec muses. Le poète ou la poétesse écrit un vers, une phrase décrivant le paysage qu’il a devant lui en l’abordant avec le/les sens qu’il veut. Ensuite, chaque « muse », située à sa gauche et à sa droite, lui glisse (sans savoir du tout ce qu’il ou elle a écrit) sur un papier (Covid19 exige puisque normalement ces mots sont chuchotés à l’oreille du poète ou de la poétesse) un mot (ce ne fut pas de trop de « réviser » lors de l’explicitation les classes grammaticales : nom, adverbe, adjectif, verbe) qui n’a absolument rien à voir avec le paysage. Le poète ou la poétesse doit alors réécrire son vers, sa phrase (pas de métrique imposée ici) en intégrant les deux mots proposés. Cela les conduit donc à construire des images, métaphores ou comparaisons. De la même manière que pour la première proposition d’écriture, je leur laisse le temps, poète.sses et muses échangent leur rôle s’il leur reste du temps.
Nous nous retrouvons encore une fois en grand groupe toujours sur la pelouse sèche et piquante (position assis, debout, couché au choix). La seule exigence est d’écouter les mots offerts par leurs camarades. Je n’accepte aucun bruit de la part de ce public éphémère. À l’issue des lectures, je demande aux élèves quel a été le thème commun de tous ces écrits : Mathieu dit tout de suite « L’automne », d’autres « automnes » résonnent en écho…
Après ces temps d’écriture et de lecture, je demande à ce que me soient envoyées les productions enregistrées par groupe de quatre pour les poèmes de sens et par les poètes ou poétesses pour les poèmes avec muses. J’insiste sur les attentes techniques (format MP3 en pièce jointe pour le poème enregistré, texte recopié dans le corps du message en non en pièce jointe pour que ma « récolte automnale » soit plus aisée – compétences numériques !). Je leur explique que je souhaite rassembler leurs écrits et les poèmes enregistrés pour que nous puissions les garder, conserver la trace.
« Mon Automne éternelle ô ma saison mentale »
Pour terminer cette séance de 2 heures, je leur demande de sortir leur téléphone portable, de chercher Alcools et de faire une recherche en plein texte du mot « automne » dans le recueil. Dans combien de poèmes apparaît le mot ? Bertille lit « Colchiques », je récite de mémoire « L’Adieu », Sophie lit « Automne Malade » et ainsi de suite… La métaphore des mains et des feuilles est repérée, la séparation amoureuse est un thème qui revient associé aux saisons. Nous entrons ainsi dans l’œuvre par cette thématique de l’automne ; les élèves relèvent alors les vers libres, l’écriture sans ponctuation, le thème de la mélancolie et du temps qui passe. Certains des poèmes que nous allons étudier – comme « Marie » ou des poèmes de la section « Rhénane » sont déjà lus, la lecture de « Colchiques » a provoqué des « Oh ! C’est beau ! ».
En conclusion
Au final cette séquence d’ouverture m’a permis tout d’abord de voir les visages des élèves et d’enlever nos masques puisque nous respections en plein air les distances de sécurité et ce n’était pas rien en cette rentrée anxiogène et caniculaire. Ensuite nous avons retravaillé les notions de genre et de type de discours, la métrique, l’oralisation (lire plus fort, moins vite, ne pas manger de mots), l’écoute, les images (métaphore et comparaison). Et puis cette entrée dans Alcools me semblait tellement plus appropriée qu’un cours magistral sur Apollinaire « sa vie, son œuvre ».
Ce qui m’a intéressée aussi, c’était de les faire travailler en groupe ; l’école dehors recrée du lien avec la nature mais aussi avec l’autre. Cela permet de remettre en marche les sens étouffés par les espaces fermés, de développer la sensorialité et l’approche esthétique du monde et des mots. À la fin, « il était midi » et personne n’était énervé, ni moi, ni les élèves.
Pour conclure, une parole d’élève : « Personnellement j’ai trouvé la séance de français de vendredi tellement apaisante, le fait d’être au contact de la nature, de chercher l’inspiration dans notre environnement puis d’écouter les beaux vers de chacun m’a beaucoup détendu… »
Hélène Paumier, LPII Poitiers
Hélène Paumier dans Le Café pédagogique