Alors que l’Ecole sort tout juste d’une crise où elle a failli disparaitre, avec « Back to the Future of Education », l’OCDE nourrit la réflexion sur l’avenir des systèmes éducatifs. L’organisation propose 4 scénarios qui vont du maintien des écoles à leur disparition en passant par leur décentralisation totale ou une meilleure intégration dans la communauté locale. Ces scénarios, qui tous affectent le métier enseignant, rejoignent d’autres réflexions comme celle portée récemment par la Revue de Sèvres. On aurait tort de n’y voir que vues de l’esprit. Si personne ne connait l’avenir de l’éducation, si la crise sanitaire a démontré le caractère irremplaçable de l’Ecole, cette réflexion prend forme avec , par exemple, l’annonce du « nouveau métier enseignant » par JM Blanquer. L’heure du changement n’est plus éloignée ?
4 scénarios
La crise sanitaire qui a frappé l’éducation dans le monde entier a certes démontré le caractère irremplaçable de l’Ecole. Mais elle a aussi rendu évidente notre incertitude concernant l’avenir. Tout peut changer du jour au lendemain et l’inimaginable, la fermeture instantanée de toutes les écoles par exemple, peut nous sauter à la figure. Cela donne de l’intérêt aux réflexions sur l’avenir de l’Ecole. D’autant que certaines s’appuient sur des forces puissantes, ayant de larges ramifications et une obstination hors pair.
Dans Back to the Future of Education, l’OCDE propose 4 scénarios d’avenir pour l’avenir des systèmes éducatifs. Le premier est celui du maintien du système scolaire mais transformé. On a toujours des écoles et des classes mais l’enseignement à distance pénètre et les élèves sont suivis grâce aux learnig analytics (analyse de données) et aux technologies de reconnaissance faciale. Ces outils numériques donnent instantanément un feedback sur les compétences des élèves. Le corps enseignant éclate entre quelques professeurs qualifiés qui créent des contenus éducatifs et des employés, voire des robots, chargés d’encadrer les élèves. C’est le scénario de la prolétarisation des enseignants qui se bornent à appliquer les consignes.
Un second scénario imagine un système éducatif où de nouveaux acteurs informels interagissent avec l’école. On a ainsi un mélange d’enseignement à domicile, de tutorat, d’enseignement en ligne et d’enseignement communautaire local. D’autres types de diplômes apparaissent. Des entreprises éducatives se développent avec des services en ligne.
Un troisième scénario imagine un éclatement du système éducatif au profit d’acteurs locaux et donc une grande hétérogénéité de l’offre éducative. Enfin un dernier scénario envisage la mort de l’école et la fin de la différence entre éducation formelle et informelle. La digitalisation permet d’apprendre partout et tout le temps. Il n’y a plus de professeurs mais des entreprises vendant des produits éducatifs.
Evidemment ces scénarios restent ce qu’ils sont : des productions sorties de la réflexion des experts de l’OCDE. Mais finalement tous impliquent un changement très profond du métier enseignant et la fin de son statut.
Regards convergents
En juin 2020, la Revue de Sèvres avait aussi imaginé le futur de l’Ecole en réunissant des experts venus du monde entier. Ainsi le québécois C Lessard imagine que l’Ecole reste présente mais prise dans un marché éducatif qui émerge, entrainant la montée de la ségrégation scolaire. Mark Bray estime que le développement du numérique va profondément modifier l’enseignement. D’une part elle est capable de relever des informations sur les élèves, leur compréhension par exemple par la reconnaissance faciale. Partout se développent les cours de soutien privé. En conclusion de l’ouvrage, JM de Ketele imagine le futur de l’école dans une mise en réseau d’acteurs formels et informels.
Vues de l’esprit ? Peut-être. Mais nous voyons les transformations s’installer sous nos yeux. Ce mélange de formel et d’informel on le retrouve avec le développement du 2S2C confié aux collectivités locales pour compléter et surtout remplacer les enseignements locaux. JM Blanquer a assuré que le 2S2C est « l’avenir de l’Ecole », une école qui ne serait pas contenue dans ses murs, qui se limiterait aux fondamentaux, le reste revenant à des acteurs informels.
A cette évolution systémique JM Blanquer ajoute la réforme du travail enseignant, annoncée avec la réforme des retraites. Du rapport Brisson à celui de Cap 22, il y a des constantes : assouplir le statut, revenir sur les règles de l’avancement grâce à la disparition des commissions paritaires, annualisation du temps de service, prolétarisation en marche du métier etc.
La crise sanitaire semble raffermir le besoin d’école mais , en même temps, l’affaiblit et crée les conditions d’émergence d’un marché scolaire parallèle et le développement des acteurs informels. Elle semble davantage agir comme un accélérateur de ces mutations que comme un frein. Si rien n’est sur, on voit la convergence des analyses pour transformer en profondeur l’Ecole. Une transformation dont nous serons les témoins.
François Jarraud