C’est le premier avis du comité d’éthique pour les données d’éducation et le premier signal de son action. Le projet initial de ce comité a pu sembler important au vu des enjeux évidents liés au développement du numérique en éducation. Avec cet avis (« Enjeux d’éthique des usages des données numériques d’éducation dans le contexte de la pandémie ») on pouvait s’attendre à un apport significatif et important compte tenu du contexte. Malheureusement la lecture du document ne répond pas aux attentes pour plusieurs raisons à commencer par la délimitation de la notion d’éthique par rapport aux notions de lois, règlement, label, codes de bonnes conduites et autres chartes de comportement et autres recommandations…
De quoi parle t-on ?
Rappelons ici la mission de ce comité telle qu’elle est présentée sur le site du ministère : d’émettre des avis et recommandations sur l’opportunité de l’utilisation des données d’éducation collectées et traitées dans – et hors – le cadre scolaire Elle aura aussi pour mission d’éclairer la décision politique en la matière.
En fait, en termes d’éthique, on ne voit pas vraiment ce dont il s’agit dans cet avis et c’est fort décevant. La plus grande partie du document consiste à rappeler les règles en place dans trois domaines : la notion de données d’éducation, la notion de souveraineté numérique et enfin l’égalité d’accès au numérique. On s’attendait à une prise de recul argumentée, on a peine à trouver des sources approfondies permettant l’analyse et un travail de recul suffisant pour poser les questions d’éthiques (éthique de la parole, éthique de la responsabilité, éthique du développement personnel et collectif, éthique de la gouvernance etc.…).
Dans ce travail on repère que seules deux personnes ont été auditionnées (messieurs Benhamou et Taddei), quant aux enquêtes qui tentent d’ancrer les quelques observations de terrain, on y retrouve mélangées des données issues d’enquêtes dont la fiabilité est relative. On est étonné d’ailleurs que celle qui aurait été la plus significative (même si elle n’est que déclarative) n’est pas sourcée et encore moins accessible (page 16 du rapport enquête effectuée par les rectorats, est-ce l’enquête Profetic ? Etic ?.) On est étonné aussi de noter que la seule enquête menée pendant le confinement soit celle effectuée par l’association Synlab.
Des recommandations qui n’apportent rien
Cet avis qui finalement n’apporte aucun regard spécifique pour la période de pandémie, ne fait que rappeler des choses existantes et connues bien qu’utiles, voire nécessaires et indispensables. Il s’aventure parfois sur des terres incertaines comme l’allusion à la gratuité, puis au logiciel libre (p.11) et enfin au système marchand pour lequel il est écrit : « Enfin, si l’éducation n’est pas en soi une marchandise, comme les biens éducatifs se répandent et se multiplient, ils s’inscrivent dans des mécanismes de marché. » Ce constat vient accompagner l’idée sur la souveraineté numérique dont on comprend qu’il s’agit de la question de la filière EdTech française et de son existence en regard des grands groupes internationaux.
Une petite phrase mérite un regard : « L’absence actuelle d’outils développés au niveau Français ou Européen ayant les mêmes robustesses (e.g. passage à l’échelle) et fonctionnalités (en termes d’ergonomie ou en termes d’analyse des données) que certains outils étrangers qui peuvent ne pas respecter le RGPD, ainsi que le manque d’interopérabilité des outils, peuvent générer un risque pour la protection des données. » Phrase énigmatique susceptible d’interprétations multiples qui montre aussi une certaine prudence des auteurs. Bref parmi les membres du comité, certains travaillent dans ces entreprises, on peut aisément en détecter les traces et recommandations en particulier à propos d’un label qu’il conviendrait de créer : « Proposer un label (ou une certification) ouvert à tous les acteurs des EdTech remplissant un certain nombre de critères qui garantissent le respect de la vie privée des acteurs de la communauté éducative. » (p.22).
Les 23 recommandations faites par ce comité n’apportent rien de nouveau aux questions que l’on pose depuis plusieurs années. Même si le rappel du cadre en place est toujours une bonne chose, on ne voit pas comment cet avis pourrait être utile et utilisé par les décideurs. Qu’il faille former, équiper et respecter les lois sur les données (pourtant mises en place depuis janvier 1978 avec la création de la CNIL) est une évidence. Que les enseignants (et la plupart de la population) soient peu informés en matière de droit français, européen et international est malheureusement évident pour ceux qui côtoient régulièrement la population scolaire et universitaire.
Enfin on s’étonne que la Direction du Numérique pour l’Education, pas plus que le Délégué à la Protection des Données ou l’Administrateur Ministériel des Données n’aient apporté leurs analyses à ce comité, surtout que l’on sait que ces structures sont (parfois) au cœur des remontées d’information venues des académies et des établissements.
Cet avis est à situer dans une politique de communication qui vise d’abord à agiter des dangers afin de provoquer une réaction de peur. Malheureusement, faire peur n’a jamais été éducatif (cf. la sécurité routière) et a peu d’efficacité. On s’interroge sur la nécessité d’un tel avis si ce n’est qu’il signale que le comité est actif, malgré le changement de présidence (Mme Haigneré a laissé sa place à Madame Sonnac).
Bruno Devauchelle