Comment un enseignant prépare-t-il un nouveau programme dans les conditions actuelles ? Nicolas Cohen, enseignant de SVT au lycée Fragonard de L’Isle-Adam (95), entame sa 20ème rentrée scolaire après « un travail colossal » effectué cet été. L’enseignant, qui s’inquiète de l’intérêt des élèves pour les SVT en 2nde, a opté pour la plateforme Éléa qui permet « de créer et de partager des parcours complets en ligne ». La progression de ses lycéens pourra être suivie individuellement notamment en cas de travail à distance. Nicolas Cohen définit sa démarche comme « un enseignement hybride dont le contenu est modifiable en temps réel ». L’enseignant nous confie aussi ses outils numériques favoris utilisés en classe.
Comment avez-vous préparé cette année scolaire ?
Tout d’abord, après avoir pris connaissance du programme de terminale, en particulier celui de spécialité de SVT, il fallait attendre de savoir comment cela s’organiserait dans notre lycée car, et on peut le déplorer parfois, il y a désormais la fameuse « autonomie des établissements » avec de nombreuses variables d’ajustement. Il se trouve que nous avons eu de la chance au lycée Fragonard de pouvoir envisager deux heures de cours et quatre heures de travaux pratiques sur les six heures qu’offre l’enseignement de spécialité. Nous disposerons alors de deux séances de TP de deux heures chacune par semaine et, selon ma programmation, cela porte à 46 ou 47 le nombre de séances avant les épreuves de fin d’année.
J’ai commencé à travailler le programme à la mi-juin 2020. Il m’aura fallu plus de deux mois pour préparer ces activités mais je sais que je n’aurai plus que quelques ajustements à faire pour les adapter à du distanciel le cas échéant car, j’y reviendrai, j’ai conçu mes séances à venir d’une façon un peu particulière. Il va de soi que ce travail ne m’aura pas vraiment permis de profiter des vacances avec mes enfants et ma famille, je travaillais littéralement de 9h du matin jusqu’à 3h du matin suivant presque sans interruption, donc pas question de faire du paddle ou de me prélasser sur une plage en ce qui me concerne. Je ne voyais pas le temps passer tellement j’étais absorbé par ce travail colossal ; lorsque je me mettais à travailler le matin, je savais que quand je lèverais les yeux de mon écran il serait déjà tard dans la soirée ou bien tôt le lendemain. Je m’accordais très peu de pauses.
Comment avez-vous conçu vos séances de terminale ?
C’est avant tout en voyant la difficulté que j’avais, pourtant après 20 ans d’enseignement, à intéresser les élèves d’une classe de Seconde qui dans l’ensemble ne voyaient pas l’utilité des SVT ou n’avaient pas le bagage scientifique nécessaire pour comprendre des nouveaux programmes pas toujours simples, que j’ai voulu tenter l’idée d’un parcours guidé, donc linéaire malheureusement, ce que je m’étais juré d’éviter.
C’était clairement un aveu d’échec et un retour en arrière pour moi car je voyais dans la tâche complexe, dans le travail de groupe et le travail collaboratif pour les élèves les seules pratiques prometteuses permettant non seulement d’aiguiser leur esprit critique, de travailler la démarche scientifique mais aussi de leur donner une réelle égalité de chances dans le travail en classe mais aussi hors de classe. C’est alors que j’ai opté pour la plateforme Éléa.
La plateforme Éléa est une plateforme de type LMS (Learning Management System) qui donne la possibilité de créer et de partager des parcours complets en ligne. Elle est basée sur l’architecture de Moodle qui est une plateforme libre datant du début des années 2000 pour sa première version.
J’avais fait un parcours entier sur l’Immunologie en Terminale S pour l’ancien programme (programme de 2012), il peut encore être utilisé dorénavant en Première spécialité mais il reste assez complexe : il vous place dans la peau d’une cellule-souche pluripotente de la moelle osseuse et, selon vos choix, vous devenez une catégorie particulière de cellule et vous pouvez même risquer de tuer l’organisme en faisant les mauvais choix. Rien à voir avec un jeu, je ne suis pas particulièrement friand de ludicisation. C’est plutôt un « parcours dont vous êtes le héros ». Il n’a pas été retenu pour l’Éléathèque mais cela ne m’empêchait pas de l’utiliser avec mes élèves.
Un des avantages à utiliser une plateforme proposée par l’académie c’est qu’elle offre un accès sécurisé en authentifiant chaque utilisateur via une connexion à l’ENT des établissements. Ainsi on peut suivre le travail de nos élèves et uniquement de nos élèves car ils ont un identifiant unique et cela respecte leur protection individuelle sur le Net dans le cadre du RGPD.
Il se trouve que les parcours de type Moodle sont parfaitement adaptées pour le distanciel et c’est ce qui m’a convaincu de poursuivre dans cette voie Je n’ai alors plus eu qu’à modifier légèrement les parcours déjà prêts car, les activités pratiques n’étaient plus possibles telles quelles. J’ai également dû continuer à créer de nouveaux parcours, notamment pour mes élèves de Terminale S et de spécialité qui devaient être prêts pour les éventuelles épreuves de fin d’année et pour leurs études supérieures. Et c’est sur ce modèle de TP que je me suis basé pour concevoir mes activités de Terminale spécialité du programme à venir.
Quels sont les objectifs ? Pour quelle démarche ?
Pour les nouveaux programmes de Terminale, je m’étais fixé comme principal objectif de pouvoir réagir vite à tout imprévu vis-à-vis de la crise que nous traversons depuis mars 2020. Une fois que j’avais compris comment préparer des cours permettant de réagir assez rapidement à un éventuel nouveau confinement et de basculer dans le distanciel du jour au lendemain, la question du support pour mes activités de Terminale spécialité ne se posait plus, c’était devenu évident pour moi qu’il fallait que je prépare mes TP sur Éléa. Voilà donc comment je pense avoir trouvé une pratique qui me correspond car elle permet un enseignement hybride dont le contenu est modifiable en temps réel et grâce auquel on peut suivre la progression de chaque élève individuellement.
J’ai voulu continuer sur ma lancée cet été pour préparer un parcours pour chaque activité de travaux pratiques pour le nouveau programme, excessivement dense, de Terminale spécialité SVT. Cette démarche, je l’espère, permettra aux élèves de travailler tout aussi efficacement en classe, comme hors-classe. Les mois de mars à juin 2020 ont été un test grandeur nature et m’ont vraiment convaincu, surtout après les retours positifs des élèves. Il y a eu assez peu de décrocheurs et je pouvais suivre leur progression ainsi que leurs résultats aux quiz (y-compris leur nombre d’essais aux différentes questions) qu’il fallait réussir à 80 % pour passer à la suite.
Donc pour résumer, on improvise, on s’adapte, parfois grâce aux formations, parfois par nos propres moyens en autodidacte, mais on y arrive en tant qu’enseignant car on possède une grande conscience professionnelle. Je tiens d’ailleurs sincèrement à remercier mes IPR de SVT qui m’ont toujours soutenu et qui s’investissent pour promouvoir l’expérimentation pédagogique, l’innovation, la créativité. Malgré tout, dans l’ensemble ce n’est pas l’attente d’une reconnaissance du public qui nous fait avancer car sinon on ne ferait plus grand-chose mais la volonté de bien faire son travail. Il arrive néanmoins que l’absence de reconnaissance de la part de notre institution puisse être démotivante pour certains, tout comme le gel du point d’indice, les avancements à l’ancienneté, les effets d’annonce, l’absence de revalorisation des salaires et je comprends parfaitement ce ras-le-bol généralisé, d’autant que je n’espère plus d’autre avancement que l’ancienneté malgré un rendez-vous de carrière dans le cadre du PPCR qui s’était très bien passé… Nous avons tous fini l’année scolaire 2019-2020 épuisés tant moralement que physiquement.
Quel regard portez-vous sur ce nouveau programme ?
Je trouve le programme de spécialité de SVT très intéressant, très riche. Nous travaillerons pendant 6h par semaine avec les élèves qui auront choisi cet enseignement. Nous allons enfin réellement faire de la science à un niveau encore jamais atteint depuis que j’enseigne. Certains pourraient penser que c’est équivalent à ce que les élèves qui prenaient la spécialité avaient en nombre d’heures avant cette réforme mais il y a une grosse différence ici : c’est le même groupe d’élèves qui suit le même enseignement pendant 6h chaque semaine. Malgré tout, même si je trouve ce programme intéressant, il est, à mon avis, comme je l’ai déjà dit précédemment, excessivement dense, bien trop ambitieux, à tel point que je sens que nombre d’entre nous auront du mal à le terminer sans passer plus rapidement (trop rapidement) sur certains points.
Nous allons être obligés de simplifier, cela me paraît évident, mais tout dépendra des populations d’élèves face à nous. Paradoxalement, nous n’aurons pas nécessairement tous les élèves qui voudront faire des études de biologie ou de géologie. Les élèves prendront, ou ne prendront pas, cette spécialité non pas par goût mais plutôt par choix stratégique en fonction du Baccalauréat ou des vœux à formuler sur Parcoursup. Donc il est difficile de prévoir comment se passera l’année.
En revanche, concernant l’Enseignement Scientifique de Terminale, je vais être davantage critique. Quelle idée de proposer un tel contenu en tronc commun ? Même si certaines notions pourront peut-être intéresser quelques élèves, la plupart risquent de trouver ce programme très rébarbatif. D’autant que, dans beaucoup de lycées, ces sciences expérimentales se feront en classe entière, sans paillasse, autonomie des établissements oblige. Il y avait bien d’autres sujets certainement plus utiles pour dispenser un enseignement permettant développer une culture générale et scientifique auprès de nos élèves.
Avec juste une heure par semaine, sans expérimentation et sans dédoublement en Enseignement scientifique, la matière perd tout son intérêt : physique-chimie et SVT sont des sciences expérimentales. Et pire encore, si on étudie attentivement les programmes, on a l’impression par moments de voir double. Pour quelle obscure raison y a-t-il autant de notions redondantes entre l’enseignement de spécialité et l’enseignement scientifique ? Je n’ai pas la réponse mais cela devient un vrai casse-tête pour choisir le contenu et la programmation étant donné que les élèves de spécialité suivront également l’enseignement de tronc commun.
Quels outils numériques utilisez-vous en classe ?
J’ai testé de nombreux outils numériques et j’en utilise encore beaucoup mais j’avoue que le « tout numérique » commence à me déplaire car on passe beaucoup plus de temps finalement aujourd’hui avec le numérique qu’hier sans. Or l’idée de départ était de nous faciliter la vie. Certes, il y a des avancées indéniables, des outils pédagogiques formidables mais on est sans cesse connecté et devant des écrans.
Je ne sais pas par où commencer tant il y a d’outils que j’utilise. Je pense qu’il est logique de parler avant tout des logiciels de Philippe Cosentino car, au-delà de la richesse des contenus proposés (Eduanat2, Mesurim2, Tectoglob3D, Edu’modèles, Viruscape…), il y a surtout la démarche du partage sans contrepartie qui est si rare de nos jours. Je pense également à l’énorme travail de Paul Pillot avec Libmol que j’utilise énormément. Bien évidemment dorénavant les plateformes d’enseignement à distance deviennent un outil numérique incontournable, d’autant qu’on peut tout à fait les utiliser en présentiel.
Au-delà des outils didactiques, nombreux en SVT, j’utilise aussi des outils pédagogiques comme Classroomscreen permettant de gérer le déroulement d’un cours ou des applications permettant de signaler aux élèves un niveau sonore trop élevé lors des phases de travail en groupe ou encore les applications de l’ENT de l’Île de France « monlycee.net ».
J’utilise aussi beaucoup Plickers, pour sa gratuité (malgré ce que certains ont cru il reste gratuit même si des fonctionnalités supplémentaires sont payantes) et sa facilité d’utilisation, sans que les élèves aient à sortir leurs smartphones pour participer. En plus on peut aisément partager ses quiz dorénavant.
Pour réaliser des sondages ou « feedbacks » auprès de mes élèves, en restant dans les outils gratuits, j’utilise Poll Everywhere ou Mentimeter qui offrent des possibilités similaires mais avec quelques variantes.
Enfin, parmi les outils gratuits, j’aime particulièrement le site Miro, anciennement Realtimeboard. L’utilisation du site est payante pour les entreprises mais gratuite pour les enseignants, il faut juste fournir une adresse mail professionnelle et une attestation. Ce site permet de créer des pages enrichies de contenus divers (un peu comme Padlet mais sans limitation) et surtout avec une navigation libre, de haut en bas, de droite à gauche, et d’avant en arrière : on peut vraiment naviguer dans la page.
Propos recueillis par Julien Cabioch
Dans le Café