« Il est celui derrière qui l’herbe ne repoussera que par touffes éparses tandis que la facture sera salée. Seule une personnalité hors du commun pouvait à ce point bouleverser l’institution ». Journaliste éducation depuis 1998, Pascal Bouchard publie un livre qui, malgré le titre, n’est pas un pamphlet mais une analyse des idées pédagogiques de JM Blanquer et de son entourage, principalement le conseil scientifique. Sa thèse c’est que JM Blanquer a vraiment une pensée sur l’éducation et qu’il utilise des scientifiques pour les mettre en application. Cela nous vaut de très belles pages sur le conseil scientifique, ses conceptions pédagogiques et celles du ministre. On appréciera le décryptage argumenté d’un très bon connaisseur sur la lecture vue par JM Blanquer ou encore la démonstration de l’extraordinaire aptitude au mensonge du ministre. Mais du coup, la politique ministérielle est dépolitisée et désocialisée. C’est dommage si l’on pense que JM Blanquer est surtout porteur d’un projet politique.
Vous dites de JM Blanquer qu’il est « l’Attila des écoles ». N’est ce pas exagéré ? Car vous dites aussi qu’il « révèle la nature du système éducatif ». Il la révèle ou il la change ?
Il la révèle en la changeant. Au fur et à mesure qu’il réforme on voit les limites, les difficultés et les résistances auxquelles il se heurte. Les résistances reproduisent des schémas classiques d’opposition. Par exemple sur les méthodes de lecture, ce que l’autoritarisme de JM Blanquer révèle c’est que tout enseignant ayant 3 ans d’ancienneté a sa propre méthode. Il y autant de méthode que d’enseignant et ça marche plutôt pas mal.
« Attila » est sans doute exagéré. Mais, une fois qu’il sera parti, l’école aura du mal à retrouver des modèles de fonctionnement. Un exemple : la scolarisation à 3 ans était déjà réalisée avant la loi sur l’école de la confiance. Mais la loi impose l’obligation de financer les maternelles privées sous contrat ce qui représente, selon le SGEC, 50 millions. Le successeur de JM Blanquer pourra modifier les conditions de réalisation de l’obligation, assouplir les dispositions sur la sieste. Mais il ne pourra pas revenir sur les 50 millions.
Un autre exemple : la réforme des LP. Les professeurs des lycées professionnels sont tous des pédagos qui ont à coeur la réussite de leurs élèves. Normalement, le chef d’oeuvre et la co-intervention, deux points de la réforme Blanquer, auraient du être salués par les professeurs. Mais ça a été tellement mal fait que les enseignants sont remontés contre ces dispositifs. Il faudra 20 ans au successeur pour pouvoir reparler de pédagogie en LP. L’herbe aura du mal à repousser.
JM Blanquer a multiplié les réformes. Vous consacrez une bonne part du livre à ses pressions pour changer les méthodes de lecture. Pourquoi fait-il cela et que lui reprochez-vous ?
JM Blanquer comme toute une partie de la droite est convaincu des vertus de la méthode syllabique. Il a trouvé quelques psychologues du développement pour aller dans son sens et donner une argumentation scientifique à ce qui est purement idéologique. Le problème c’est que ces scientifiques sont sortis de leur domaine de compétences, multiplient les paralogismes et se plantent. Il est notable que les expérimentations anciennes, comme le programme Parler, ou nouvelles, comme Agir pour l’école ou encore les jeux de JC Ziegler, sont autant d’échecs.
La syllabique pure marche peut-être en Angleterre mais pas en France car le français n’est pas l’anglais et n’est pas, contrairement à ce que disent L Sprenger-CHarolles ou Franck Ramus, plus facile que l’anglais. C’est une langue dans laquelle il est plus difficile d’apprendre à lire. On a là la combinaison d’un entêtement idéologique et d’un dévoiement scientifique.
Comment expliquez-vous la réforme de la maternelle avec l’obligation d’instruction à 3 ans ?
Par l’incompétence. Je ne sais pas c’est la sienne ou celle d’E. Macron. Tous les gouvernements de droite et de gauche avaient envisagé cette réforme. Tous y ont renoncé à cause du coût du passage sous contrat des classes maternelles du privé. Apparemment JM Blanquer et E Macron n’avaient pas prévu ce « dommage collatéral ». Il y a aussi l’idée que plus on scolarise plus on transmet de connaissances mieux ça vaut. Les idées d’épanouissement, d’adhésion progressive des familles sont reléguées à l’arrière plan. Aucun des deux ne s’est non plus posé la question des conditions dans lesquelles ces enfants feraient la sieste. Ils sont à l’école pour apprendre pas pour dormir.
La réforme du collège menée par JM Blanquer en 2017 n’a pas été contestée. Est-ce une réussite ?
C’est plutôt une non-réforme, un détricotage de l’existant. Tous les efforts plus ou moins aboutis pour favoriser l’apprentissage des langues pour tous dès la 5ème, l’interdisciplinarité et la mixité sociale ont été annihilés au profit de l’élitisme et de la mise en concurrence des établissements. Mais cela sans choquer l’opinion publique et la majorité des enseignants.
Qu’est ce qui est derrière ces réformes ? Vous parlez d’illusions scientistes du conseil scientifique. Ce sont vraiment ces illusions qui portent le ministre ?
Non, son rapport à la science est curieux. La science est d’abord un alibi qui ne l’empêche pas de faire exactement le contraire de ce que dit la science, qu’il s’agisse des rythmes scolaires, des dédoublements de CP, des méthodes de lecture, de la sociologie des collèges et lycées. Il est d’ailleurs notable que le conseil scientifique n’a rien produit hormis un bêtisier des manuels de lecture, un plaidoyer pour les tests de CP et CE1 et d’étranges recommandations sur l’enseignement en temps de crise que S Dehaene semble avoir écrites tout seul.
Alors qui est vraiment JM Blanquer ?
Un très curieux personnage qui emporte facilement l’adhésion parce qu’il est très profondément convaincu de ce qu’il dit même quand il sait que c’est faux. Par exemple lors de sa 1ère conférence de presse il explique que les dédoublements sont justifiés par une étude de terrain incontestable de J Bressoux et L Lima montrant « un effet massif » des réductions des effectifs. Alors que Brassoux et Lima n’ont pas réalisé cette étude et que leur évaluation des résultats des CP à 10 sous Luc Ferry montrent un effet positif mais minime. Voilà deux mensonges dans la même phrase dès la 1ère conférence de presse.
C’est un menteur qui croit à ce qu’il dit ?
Il est dans la position de Saint Paul. Il n’est pas Jésus mais il est celui qui permet que la Vérité se répande et touche le plus grand nombre.
Vous dites que ses succès tiennent à ses certitudes et qu’il est « l’incarnation des terreurs u temps présent ». Que voulez vous dire ?
On est dans une époque où se mêlent terreur et espérance. L’école est toujours le lieu où toutes les peurs et tous les espoirs d’une société se reflètent. Lui les exacerbe en même temps qu’il prétend apporter une réponse aux peurs , principalement la baisse du niveau et la prise d’indépendance de la jeunesse. Un exemple en est donné par la méthode syllabique. B A font BA parce que c’est comme cela et non parce que l’élève a reconnu ces mêmes lettres dans bateau et banane.
Propos recueillis par F Jarraud
Pascal Bouchard, Jean-Michel Blanquer l’Attila des écoles, éditions du croquant, ISBN 9782365122696