Alors que les enseignants regagnent leur école ou leur établissement, cette rentrée est sans précédent. Certes le plaisir de retrouver ses élèves et une mission chérie par la très grande majorité d’entre eux, est toujours là. Pourtant la rentrée se fait dans l’angoisse. Angoisse par rapport au risque sanitaire bien sûr. Mais aussi inquiétude devant une rentrée très mal préparée. Sourde colère pour une profession abreuvée de mépris et de mensonges. Jamais le sentiment d’abandon a été aussi fort.
Revu récemment par le gouvernement, le protocole sanitaire appliqué à la rentrée reste très insuffisant par rapport au risque.
Certes, il est préférable que les écoles rouvrent. Les avis scientifiques concordent sur le fait qu’il vaut mieux pour les enfants retourner à l’école plutôt que rester chez eux. Le confinement a bien montré les risques liés à la fermeture des écoles. Celle-ci a aggravé les inégalités sociales dans un système scolaire où elles sont fort présentes. Les enfants ont aussi souffert de l’isolement, voire ont connu des situations dramatiques.
Avec le seul souci de réouverture totale des écoles et établissements, le ministère a concocté un nouveau protocole sanitaire qui n’st pas à la hauteur du risque sanitaire existant début septembre. Publié fort tard par le ministère, il lève la plupart des remparts face à l’épidémie.
Certes, le risque de contamination par les enfants fait encore l’objet de débats scientifiques, notamment à propos de la charge virale qu’un enfant peut émettre. Mais plusieurs études établissent qu’il est fort chez les adolescents, collégiens et lycéens, et peut-être à peine moins fort chez les écoliers.
Devant la recrudescence de l’épidémie, le ministère a fait le choix de baisser la garde. Les masques rendus obligatoires pour les collégiens et lycéens ne sont pas pour autant fournis par l’Education nationale. Cela posera des problèmes aux élèves des familles les plus modestes. Quant aux enseignants ils ne recevront que des masques « slips » qui vont rapidement s’humidifier et dont on peut douter de l’efficacité après une seule heure de cours.
Les règles de distanciation et de non brassage des élèves sont abolies alors que d’autres pays misent sur elles. Les mesures de nettoyage sont réduites au minimum. Par exemple les surfaces les plus touchées par les élèves (poignées de porte) ne doivent être nettoyées qu’une fois par jour.
Certains points du protocole sont impossibles à respecter. Par exemple le nettoyage des mains au moins 4 fois par jour, à raison de 30 secondes par élèves, est impossible dans la majorité des écoles faute de points d’eau en nombre suffisant. C’est pourtant une mesure de base. Cela engagera la responsabilité des directeurs d’école et chefs d’établissement.
Deux jours avant la rentrée, le ministère a publié des « recommandations » qui , elles aussi, lui permettent de se défausser. Elles frolent parfois l’absurde. Ainsi les chorales s’exerce masquées dans le second degré et sans masque dans le premier alors que plusieurs études montrent qu’elles sont sources de contamination. La recommandation sur la cantine impose un réaménagement des services et des embauches, ce qui est impossible 48 heures avant leur ouverture. Là c’est la responsabilité de collectivités locales qui va être engagée.
Le pire c’est peut-être que le protocole va rendre impossible une réponse adaptée à l’épidémie. En n’imposant pas la limitation du brassage des élèves, le ministère rend impossible la recherche des cas contacts. Avec le brassage des élèves, il devient impossible de limiter les tests à la classe et de détecter rapidement les cas contacts. Face aux premiers cas avérés de Covid il faudra soit fermer l’établissement soit prendre le risque de la contamination. Le discours tenu actuellement par le ministère (test dans la classe, réponse appropriée en 48 heures) ne tient plus.
L’impréparation pédagogique pèse aussi sur les enseignants.
Le ministre a beau dire que « le protocole élaboré en juillet prévoit tous les types de situation ». En fait le protocole ne prévoit rien de pareil. Il y a bien un « plan de continuité pédagogique » délivré cet été. Mais il faudrait que les équipes éducatives puissent s’en emparer et le décliner localement. Mais rien n’est prévu en ce sens comme si la publication du document suffisait.
Enseignants et parents auraient probablement apprécié des aménagements pédagogiques après une année particulièrement difficile. Par exemple, laisser le temps d’accueillir les élèves et de recueillir leurs émotions. Et aussi donner de la marge sur les programmes scolaires pour qu’il puisse y avoir un lissage entre l’année dernière, terminée souvent le 12 mars, et la nouvelle année. A la place les enseignants et les élèves ont le maintien d’évaluations dont l’utilité est contestée et qui vont ajouter du stress et du découragement compte tenu du niveau des élèves à cette rentrée. Et de nouveaux programmes de l’école et du collège, dans plusieurs disciplines, qui viennent alourdir les programmes existants au lieu de les alléger. Les professeurs ont aussi de nouveaux guides, une nouvelle grammaire qui sont censés s’appliquer d’eux -mêmes.
L’impréparation matérielle complique singulièrement la rentrée.
L’été aurait pu être mis à contribution pour une autre politique. Le ministère aurait pu imposer aux collectivités locales l’installation durant l’été de points d’eau et de sanitaires en nombre suffisant quitte à faire appel à des équipements de fortune. Contrairement à ce qu’affirme le ministre c’est très rarement le cas. Le nettoyage des mains va de facto reposer sur les produits donnés par les familles.
Le ministère aurait pu aussi inciter les collectivités locales à trouver et aménager de nouveaux locaux provisoires pour réduire, aujourd’hui ou en cas d’aggravation de l’épidémie, les groupes élèves. Evidemment cela n’aurait fait sens qu’en recrutant de nouveaux enseignants à titre définitif ou provisoire. Peu de collectivités l’ont fait. Pour l’Etat, on sait que seulement 1248 postes sont créés dans le premier degré ce qui semble bien peu pour tenir les engagements présidentiels et réduire la taille des classes. Rien n’est prévu dans le second degré où, au contraire, le ministère supprime 2000 postes ETPT alors qu’il y aura 20 000 élèves supplémentaires à la rentrée.
On aurait pu penser que l’été aurait été mis à profit pour repenser l’équipement informatique des enseignants et des élèves. Le ministre agite une promesse de prime informatique en 2021. Mais l’été a été perdu pour donner les moyens matériels aux familles et aux enseignants de pouvoir travailler à distance ce qui passe par du matériel informatique mais aussi des accès Internet. Rien n’est prévu pour former les uns et les autres à la découverte des outils d’enseignement à distance ou à la pédagogie de et enseignement.
La défiance généralisée
Tous ces points alimentent la défiance envers l’institution scolaire. Défiance à venir des parents qui sont inquiets pour la sécurité de leur enfant et qui ne vont pas tarder à découvrir l’impréparation de la rentrée. Défiance des personnels qui sont en désaccord profond avec les orientations ministérielles, sont las des modifications de dernière minute et ne croient plus le discours officiel.
Après une année difficile où les enseignants ont porté seuls l’Ecole, ils n’ont récolté que du « prof bashing » sans que le ministre ne redresse les élucubrations médiatiques. La réforme des retraites plane toujours au dessus d’eux. Les promesses ministérielles de revalorisation ont perdu toute crédibilité.
Lors de cette rentrée, les enseignants savent qu’ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes et sur la relation qu’ils vont nouer avec leurs élèves et leurs parents. On mesure leur fois dans ce métier et leur sentiment d’abandon.
François Jarraud