« Bonjour, Nous sommes les élèves de 6ème A du collège Îles de Loire. Nous allons écrire ensemble un récit. Ce récit devra commencer dans un océan. La première contrainte que nous vous offrons est la suivante : le mot sous-marin doit apparaître dans le début de l’histoire. Vous devez écrire au maximum 70 mots » Tel est le premier message adressé par les 6èmes de Nathalie Ranc à Saint-Sébastien sur Loire aux CM2 de l’école Jean de La Fontaine. Et le début d’une belle aventure : celle de l’écriture partagée, au fil des contraintes et des interactions, pendant plusieurs semaines. La collaboration cycle 3 favorise ici le plaisir de créer, et même de policer les écrits intermédiaires : un projet inspirant pour une rentrée où il s’agit de réapprendre à vivre et travailler ensemble ?
Dans quel contexte avez-vous mis en œuvre ce projet ?
L’écriture collaborative est née lors d’une réunion de cycle 3 liaison 6ème – CM2 en juin 2018. A l’origine du projet, l’envie de collaborer avec une enseignante de premier cycle que j’appréciais beaucoup. Cette dernière avait déploré à plusieurs reprises qu’elle ne réussissait à faire écrire ses élèves qu’en toute petite quantité. Elle n’était pas du tout contente du résultat auquel elle arrivait. Personnellement, j’adore faire écrire mes élèves mais je renâcle à corriger les copies de façon intégrale surtout quand elles débordent de la page. J’ai décidé au cours de ma carrière de dédramatiser et de créer un tampon encreur qui me permet de mettre en marge de la copie que telle partie par exemple ne sera pas corrigée. Cela me permet de me concentrer sur une partie essentielle et de mettre en place une progression. Depuis plusieurs années, mes élèves travaillent l’orthographe sous forme de dictée négociée et de phrase du jour. Donc, tout devient une occasion pour « formaliser » la langue Je lui ai donc proposé de travailler en commun deux axes : l’invention et la maîtrise de la langue. Nous avons décidé de réaliser ce projet d’écriture en nous fixant un objectif : nous écririons « moins » mais « mieux ».
Les élèves sont donc entrés dans un projet d’écriture collaborative « à contraintes » : en quoi consistaient ces contraintes ?
Les contraintes étaient multiples : tout d’abord, un nombre imposé de mots, ce qui entraînait un travail rigoureux de réécriture et d’épuration du texte tout en le conservant aussi efficace que possible, cela a été également un lieu (« l’océan »), un mot obligatoire (« sous-marin »), puis la présence d’une description, de verbes et d’adjectifs qualificatifs, puis de nouveau un mot obligatoire détonnant (« éléphant rose »), un élément perturbateur, une phrase qui commence par « soudain », ensuite, un mot qui n’existe pas et un dialogue. Enfin, il a fallu ne pas utiliser le nom du sous-marin (une gageure), ne pas dépasser 8 adjectifs qualificatifs (également une sacrée contrainte), parler un peu plus d’un personnage particulier, insérer une onomatopée et réussir à sauver le sous-marin qui avait été avalé par le monstre (pas facile quand on n’a le droit qu’à un certain nombre de mots).
Comment avez-vous mis en œuvre interactions et collaborations ?
Nous avons travaillé à l’intérieur de la classe par îlots (les groupes étaient libres). Chaque groupe fournissait un premier travail d’idées ou d’écriture puis tout était mis en commun par le biais du tableau ou de photographies des travaux. Tout était négocié et soumis au vote (le texte rédigé mais aussi, les contraintes à envoyer aux autres élèves).
En ce qui concerne les allers-retours entre les deux classes, ils ont été réalisés par le biais de vidéos explicatives, de petits mots, de lettres explicatives argumentées, de petits cadeaux et à la fin à des jeux collectifs.
Pour nous, les collègues, nous avons beaucoup correspondu par SMS afin de nous notifier nos avancées et les réactions de nos élèves (nous avons beaucoup ri).
Quel regard portez-vous sur le double travail des élèves de création et de réflexion ?
Je suis convaincue que ce travail venait conforter le travail régulier de mise en place des connaissances et des compétences en expression (orales ou écrites). Les élèves ont pris conscience qu’on ne peut pas « tout » écrire, que des choix drastiques sont nécessaires, qu’il est important de choisir les bons mots ou les bonnes reprises pour faire comprendre leurs idées. Il me semble que la plupart ont vraiment compris ce que permettait la phrase complexe. Ils sont aussi appris à négocier, à gérer leur frustration quand leurs bonnes idées n’étaient pas retenues. Ils ont appris à convaincre quand ils n’y arrivaient pas, il fallait trouver des solutions. Ils ont aussi appris à « entendre » ce que l’autre groupe avait à leur dire.
Qu’apporte spécifiquement la collaboration CM / 6ème ?
Cette collaboration a permis de mettre en commun nos pratiques. Pour nous, cela permettait de faire le lien également sur les connaissances de nos élèves, les compétences attendues et réelles, ce que nous considérions par niveau comme important, ce qui l’était moins. Nous avons donc accordé nos exigences en amont et en aval, nous avons appris à mieux connaître la façon dont chaque niveau travaillait.
Au final, sur quoi le travail a-t-il débouché ?
Le travail a débouché sur une plaquette individuelle du conte rédigé à plusieurs mains pour chaque élève ainsi que sur une rencontre. Toutes les explications des erreurs ont été collées au fur et à mesure dans le cahier.
Comment les élèves ont-ils perçu cette collaboration ?
Voici quelques-unes de leurs appréciations sur le travail mené… « J’ai aimé quand on recevait le texte des Cm2 car j’avais envie de connaître la suite de notre histoire » (Damien). « J’ai aimé « l’imagination » et « corriger et créer » (Baptiste). « J’ai bien aimé créer des phrases pour l’histoire, créer des dessins. J’ai beaucoup apprécié de travailler en groupe, faire des mises en commun » (Angelo). « J’ai aimé écrire des textes avec des contraintes et aussi écrire les contraintes. J’ai aussi bien aimé les travaux de groupe et quand on réunissait nos idées pour faire un grand texte qu’on raccourcissait en enlevant des mots. J’ai aussi aimé fabriquer des petits marque-pages sur le thème d’Otika pour les offrir aux Cm2 » (Milla). « J’ai beaucoup aimé notre coopération avec les Cm2. J’ai aimé quand on a corrigé leurs erreurs et eux les nôtres » (Youssef). « Ce que j’ai aimé, c’est d’écrire cette histoire. C’est vraiment bien car ça développe l’imagination et c’est une technique pour travailler son vocabulaire. Écrire cette historie avec les CM2 a été un gros défi car nous avions des consignes à respecter, mais c’était aussi un grand plaisir de le faire ensemble » (Pauline). « J’ai bien aimé travailler en groupe avec les Cm2 car nous avons partagé nos savoirs ainsi que nos méthodes et techniques pour mieux apprendre. Ce travail de groupe nous a appris à nous mettre d’accord sur certaines choses et à nous entraider. J’ai beaucoup apprécié les moments où l’on corrigeait les autres. Ça nous a aussi appris à travailler par correspondance et j’ai adoré. Je pense que travailler dans ces conditions peut être bien compliqué, mais nous avons affronté toutes les épreuves et nous sommes maintenant unis avec les CM2 » (Nyla).
S’il fallait donner des conseils à des collègues intéressé.es par de semblables collaborations cycle 3 autour de l’écriture ?
Le premier conseil serait de travailler avec une personne qu’on apprécie et qui comprend les enjeux du projet. L’erreur serait de croire que c’est le texte final qui est important. Or, pour ce travail, c’est la verbalisation de ce que nous étions en train d’écrire et de corriger et pour quelles raisons nous le faisions qui était l’objectif principal (métacognition) ainsi que les compétences d’oral et d’argumentation. Ces traces étaient dans le cahier de l’élève, c’est sur ces dernières qu’ils ont construit leur savoir et leur savoir-faire. Il me semble également important de laisser la main aux élèves en ce qui concerne une partie des contraintes même les plus farfelues afin de les enrôler et de les intégrer à part entière sans leur « mentir », tout en gardant une marge de manœuvre et en conservant une ligne directrice (par exemple sur les objectifs intermédiaires). Nous avions décidé de toujours garder au moins une contrainte enseignante dans les cinq contraintes proposées à chaque étape. Ce projet a été mené à bien avec une seule idée de départ. La suite n’a été qu’une série d’adaptations (dont le décès de cette enseignante au mois d’avril) et la reprise par une enseignante remplaçante qui s’est totalement engagée dans le projet sans l’avoir choisi.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut