Si une discipline est particulièrement impactée par le protocole sanitaire c’est bien l’enseignement des langues vivantes. Pour apprendre une langue il faut la pratiquer à l’écrit et à l’oral. Et le port du masque coté professeur comme coté élève n’arrange rien. Mais bien d’autres points du protocole viennent compliquer la tâche du professeur. Pour autant, remarquent les enseignants, les fondamentaux n’ont pas bougés : comment mobiliser et faire réussir tous les élèves…
Fatigue vocale
« J’ai dit aux élèves : « j’apprends à enseigner de cette manière. Vous allez apprendre vous aussi de cette manière. Le plus important c’est que vous soyez bien ». Professeur d’anglais au collège Lubet Barbon de Saint-Pierre du Mont dans les Landes, Howard Bennett sait que toute rentrée apporte son lot d’incertitude. Mais cette année il est servi avec un protocole sanitaire qui impose le port du masque aux élèves et au professeur et de nombreuses consignes qui viennent perturber les habitudes.
La première journée de classe apporte déjà de la fatigue vocale. « Je fais du théâtre donc je sais placer ma voix. Mais au bout de 4 heures de cours j’ai déjà senti que ma voix se fatigue ». C’est évidemment aussi le cas dans les autres disciplines. Mais en langues vivantes, l’échange oral doit être bien audible pour travailler la prononciation. « On entend mal les élèves et ils risquent de manquer de confiance en eux quand il s’agira de parler en anglais ». Au collège , voir la bouche du professeur pour améliorer sa prononciation est « agréable et plus humain », estime H Bennett mais pas nécessaire.
Comment travailler l’oral ?
En espagnol, Valentina Castillo Munoz, professeure d’espagnol au lycée Emile Roux de Confolens (16), estime aussi que le port du masque va rendre plus difficile l’apprentissage de la prononciation surtout au collège. « Au début les élèves regardent la bouche du professeur ».
Comment faire pour travailler l’oral dans ces conditions ? H Bennett veut miser sur le numérique. « J’ai demandé à mes élèves combien ont un smartphone : c’est 25 sur 26. Je peux leur demander d’écouter des textes et de s’enregistrer à la maison pour travailler l’expression orale et le vocabulaire ». On peut ainsi préparer des dialogues où les élèves jouent des rôles en classe. Le département des Landes équipe les élèves de 4ème et 3ème d’ordinateurs portables ce qui va aussi aider.
Gérer sa classe
Parce qu’un autre problème des professeurs de langues c’est souvent d’avoir perdu leur salle, puisqu’il est recommandé que les élèves ne bougent pas. Ce n’est pas le cas partout. Mais c’est celui de H. Bennett qui prévoit de se déplacer avec ses enceintes Bluetooth personnelles pour aller de salle en salle. V Castillo Munoz a gardé sa salle mais se demande comment elle va gérer le matériel. « Il faut tout désinfecter avant de partager un objet avec un élève. Même la distribution de polycopiés va être plus difficile ». Le partage de dictionnaire, par exemple, est remis à des jours meilleurs. H Bennett a plastifié les documents les plus utilisés pour pouvoir les nettoyer rapidement.
La situation complique aussi la gestion de la classe. « On voit mieux les élèves qui bavardent car ile ne peuvent plus chuchoter », dit H Bennett. « Mais on a plus de mal à savoir qui intervient » car l’expression du visage est absente. Il faut aussi apprendre à décrypter les regards, seule partie visible du visage. Montre t-il de l’exaspération, de la fatigue, du contentement ? Ces interactions non verbales sont altérées.
Les fondamentaux sont toujours là
« C’est une catastrophe », explique Marie-Alice Médioni, responsable du secteur langues au GFEN, un mouvement pédagogique. « Dans notre culture on a besoin de voir l’expression de l’autre. Le masque crée une séparation qui rend difficile la relation pédagogique ».
Il y a t-il une pédagogie particulière pour cette rentrée ? « Le problème le plus important ça va être que les élèves travaillent. Ce n’est pas nouveau et le masque ne doit pas nous détourner de l’objectif de réussite des élèves », dit H Bennett. « Les grands soucis c’est aussi la pauvreté des parents, le chômage.. »
« Il va falloir sécuriser les élèves pour les engager dans des projets. Comment apprendre après cette catastrophe ? Comment retrouver le courage d’enseigner ? », dit MA Medioni, organisatrice de l’université d’été du Gfen pour les langues qui s’est tenue fin août. L’université d’été a traité ces questions. « Le plus important ce sera de rassurer les élèves sur les « lacunes ». Il sont souffert du manque d’école. On ne va pas les décourager en leur parlant de leurs lacunes ». Au contraire, pour remobiliser les élèves, il faut leur proposer des situations qui leur permettent de voir ce qu’ils savent.
L’université d’été a travaillé sur les « gestes d’étude » : comment travailler la compréhension, travailler le droit à l’erreur, apprendre à identifier et construire un point de vue, à demander conseil ».
Le plaisir revient même s’il y a encore de la joie à moissonner. « Comme professeur de langue, dit H Bennett, mon oxygène c’est des voyages scolaires dans des pays anglophones.et je ne suis pas sur que cela pourra avoir lieu cette année. Mon autre source de plaisir c’est l’atelier théâtre. Mais vais je avoir le droit de réunir des élèves de plusieurs troisièmes ? Et pourront-ils jouer sans respecter la distanciation ? ».
« On a souffert pendant le confinement. Maintenant on va avoir une vraie interaction avec les élèves », se réjouit-il. « Le contact humain avec les élèves m’a beaucoup manqué. Enseigner à distance ce n’est pas la même chose. L’affect n’est pas là ».
François Jarraud