La rentrée hors l’école, n’est pas encore d’actualité ; tout pousse à la préparation du protocole à respecter dans la mise en œuvre des gestes barrières à l’école, dans la classe, pour éviter la contagion de la Covid19. A l’école maternelle, quel masque devraient porter les enseignants ? Les parents peuvent-ils rentrer dans l’école « comme avant »? Comment les enseignants vont-ils organiser la circulation dans la classe ? Et les chefs d’établissement et directeurs, la circulation dans l’école ? Dans toutes ces questions, l’avis des élèves n’est pas sollicité ! Et pourtant !
L’avis des élèves sur la situation actuelle
Les élèves ont un avis fortement éclairé sur la situation. En effet, dans la poursuite de sa réflexion sur la place du bonheur dans l’enseignement scolaire, le laboratoire BONHEURS s’est donné les moyens de recueillir leur avis. Une recherche-action intitulée Djeuns’ContreCovid , soutenue par l’AUF, en partenariat avec des universités brésilienne, québécoise, burkinabé et l’association ARDéCo se déroule depuis le début du confinement en France. Cette action permet d’échanger avec des jeunes de différents pays. Ils sont écoutés, ils racontent leur vécu de cette situation et comment ils continuent, avec leurs enseignants, mais pas seulement, « l’école » dans des formes particulières compte tenu des mesures sanitaires en vigueur dans leur pays. Nous avons été surpris de la maturité de certaines réponses à nos questions et des propositions des élèves. Il en ressort, quel que soit l’âge une saisissante compréhension de la situation ; un suivi important des informations sur les média et une réflexion sur leur place et leur rôle dans cette situation de crise.
Que disent les jeunes sur la pandémie, le confinement ou l’école à la maison ?
Pendant ces entretiens qui ont concerné des jeunes de 6 à 20 ans, sans reproduire entièrement leurs propos, nous voulons signaler d’emblée trois points qui nous paraissent importants pour la rentrée et qui correspondent, dans des formes spécifiques à chaque pays, à des tendances générales.
Tout d’abord, ce qui nous a frappée, c’est la grande solidarité entre les jeunes, indépendamment des dispositifs mis en place par les enseignants. En effet, en France, des lycéens d’une classe de seconde ont créé une plateforme sur laquelle ils partageaient des informations, même celles venant de l’établissement, consignes administratives et devoirs ; il y avait des espaces de partage et de discussion pour s’expliquer mutuellement les exercices à faire. Toute la classe était connectée et une seule de leurs professeurs invitée ; ceci a été confirmé par l’enseignante. Au Burkina Faso, les jeunes de troisième ont fait un groupe, téléphonique au départ, puis avec des réunions physiques, dans le respect des mesures ont-ils précisé, pour préparer le brevet. Au Québec, au Brésil comme en France, ce sont des groupes sur les réseaux sociaux qui existaient avant le confinement qui ont été utilisés pour garder le contact, partager les devoirs, les informations et s’expliquer les notions. Tout ceci nous pousse à dire que les décrocheurs ne sont pas toujours ceux auxquels on pense !
Un autre point concerne la conscience aigüe de leur place d’enfant dans la société. Comme responsable de la propagation de la pandémie, c’est ce que beaucoup ont retenu, mais aussi comme acteur pour que les choses aillent mieux, en restant éloignés de leur grands parents, même si cela pouvait leur coûter. D’autres collégiens ont également trouvé un intérêt dans le confinement par apport à l’environnement et s’interrogent, sur les moyens à développer pour permettre à la « planète de se reposer ». Ils nous ont parlé de manière très « politique » pour certains, s’interrogeant sur le comportement de ceux qui ne respectent pas les recommandations ; éclairée, en expliquant leur compréhension de la diffusion de la Covid19 ; et surtout ils nous ont montré leur grande inventivité, pour s’adapter à la situation. Ils ont ainsi développé des valeurs humaines en rationalisant ces questions.
Le troisième point concerne le plaisir d’apprendre malgré tout. Une petite de CE1 qui avait des difficultés à retenir ses tables de multiplication et avait bénéficié d’une aide spécifique de son maître (30mn de soutien en visioconférence une fois par semaine) a eu l’idée de faire un jeu (inspiré du jeu de l’oie) pour mémoriser les résultats. Elle nous a montré fièrement son invention. La mère a confirmé qu’il y avait eu des progrès en mathématique, mais elle ne savait pas comment, le jeu pour elle n’avait pas d’importance. Pour nous, il dit tout !
Bien-être, créativité, inventivité ….
Oui, le jeu de l’oie pour apprendre les tables de Luna (le prénom choisie par l’élève) nous dit tout, des conditions dans lesquelles les jeunes ont appris. En effet, ils ont appris pendant cette période ! Ils ont appris à communiquer pour faire des projets et des exercices en utilisant le numérique ceci a entrainé une nouvelle maîtrise des outils informatiques, certains nous ont envoyé les vidéo qu’ils ont créées. D’autres, en créant et animant les plateformes, groupes sur les réseaux sociaux, exercices et jeux pour apprendre ont développé des compétences de communication et d’organisation. Tous les jeunes ont un avis sur l’importance du lien social, exprimé clairement par les lycéens, plébiscitant les efforts faits par leurs enseignants pour « garder le contact » ; décrit à travers les exemples de collaboration pour aider ceux qui ne parvenaient à avoir les informations envoyées via internet par les enseignants, parmi les collégiens ; en soulignant le plaisir partagé de pouvoir « jouer » avec leurs frères et sœurs ou leurs parents plus que d’habitude, pour tous, ou au contraire, que cela leur manquait. Il est indiscutable que les jeunes qui reviennent en classe à la rentrée ont appris des choses qui ont à voir avec celles que l’on enseigne à l’école, mais ils ne s’en rendent pas encore compte : développement de l’autonomie, de l’esprit critique, de la lecture, des valeurs de partage et de solidarité, mais aussi des savoirs académiques. C’est la charge du professeur que de les aider à identifier ces savoirs.
Ecoutez les élèves à la rentrée !
Il ressort de ce premier bilan intermédiaire l’importance d’écouter ce que les élèves ont à dire de ce qu’ils ont vécu durant cette période avant de chercher systématiquement à « combler des manques ». Nous avons compris que ces jeunes, quel que soit leur âge et leur niveau scolaire ont vécu plus ou moins heureusement cette période. Mais ils ont tous cherché à la vivre du mieux possible en conservant ce qui est le propre de l’enfant, le plaisir d’apprendre, malgré l’adversité. Nous pourrions parler de toutes ces inventions humoristiques qu’ils ont partagées avec nous. Ce serait de notre point de vue une erreur de ne pas leur donner l’opportunité de s’exprimer sur ce vécu, avec l’obligation pour les adultes de l’école (professeurs, CPE, ou autres) de les « écouter » ; c’est-à-dire de chercher à comprendre au-delà des mots, la transformation, l’apprentissage réalisé pendant cette période. Une écoute active qui cherche à comprendre, qui demande l’attention à « ce » qui peut avoir entraîné de la joie, de bonheur chez ces élèves, malgré les conditions. Prendre le temps « d’écouter » les jeunes avant toute démarche imposée d’enseignement est notre plaidoyer. C’est presqu’un incontournable pour cette rentrée.
Line Numa-Bocage
Directrice adjointe du laboratoire BONHEURS