S’il est un défi pour les enseignants cette année, avec celui de durer, c’est de diminuer les écarts scolaires entre les élèves qui sont aussi des écarts sociaux. Or, malgré la prise de conscience des inégalités sociales à l’école et la mobilisation de nombreux enseignants, l’Ecole continue à reproduire les inégalités sociales. Comment comprendre cela ? Sébastien Goudeau, maître de conférences à l’Université Paris Descartes, aborde cette question sous un angle original, celui de la psychologie sociale. Un angle qui l’amène à remettre en question les explications données traditionnellement à la construction des inégalités et à proposer aux enseignants des situations pédagogiques à même de diminuer les écarts.
« Comprendre la façon dont l’école reproduit les inégalités sociales nécessite de prendre en compte le fait que les situations scolaires (p. ex. situations d’évaluation, de comparaison etc.) ne sont pas en apesanteur sociale. Au delà de leur caractère « immédiat », elles sont organisées par des valeurs, des institutions et des pratiques historiquement et culturellement situées ». L’ouvrage de Sébastien Goudeau remet en question les explications traditionnelles des inégalités.
Dans un système méritocratique, celles ci sont présentées comme relevant d’un déficit chez les élèves faibles. Ils réussiraient moins bien car ils ne possèderaient pas les qualités nécessaires. Et pour certains ce déficit serait génétique.
Sébastien Goudeau détruit ces mythes méritocratiques. Il montre que l’origine des inégalités scolaires tient au système scolaire. Et par exemple aux situations scolaires que les enseignants mettent en place « naturellement » mais qui sont porteuses d’une imagerie sociale désastreuse.
Ce petit livre apporte un éclairage nouveau à un sujet déjà bien balisé. Il donne aussi des clés aux enseignants pour lutter plus efficacement contre les inégalités. Sébastien Goudeau en donnent quelques unes dans cet entretien.
Pour nombre de personnes les inégalités scolaires sont héréditaires ou liées à un déficit héréditaires. Vous rejetez ces deux théories. Pourquoi ?
J’ai été professeur des écoles pendant 6 ans et, à cette époque, j’ai commencé par lire beaucoup de travaux sur cette question. On s’aperçoit qu’ils sont en majorité soutenus par ces théories déficitaires qui au premier abord apparaissent opposées. La théorie génétique fait un grand retour en ce moment. Celle du handicap socio-culturel reste très présente. Les deux théories semblent opposées. Mais au final, elles arrivent à la même conclusion : les inégalités sont une histoire de capacité et de motivation.
Or des travaux permettent de critiquer fortement cette vision. Les spécialistes des neurosciences ont démontré la plasticité cérébrale et nous disent que tous les enfants ont l’équipement cérébral nécessaire pour entrer dans les apprentissages et mener leur scolarité. Même Dehaene, qui ne peut pas être taxé de sociologue, le dit. Des travaux de psychologie sociale montrent comment certaines situations peuvent influencer les performances. Or si les inégalités scolaires dépendaient des capacités ou de la motivation , la situation ne devrait pas avoir d’impact.
Le système éducatif a t-il un rôle à jouer dans la construction des inégalités scolaires ?
Je ne l’écarte pas. Ce qui se passe dans une salle de classe est conditionné par l’organisation du système éducatif. Par exemple on constate le rôle des stéréotypes qui ne s’arrêtent pas à l’entrée de la salle de classe. Quand on dit que l’école reproduit les inégalités sociales ont fait porter aux enseignants une responsabilité qui appartient en fait au système éducatif.
Comment les inégalités se construisent-elles dans la salle de classe ?
Je consacre trois chapitres du livre à l’expliquer. Il y a pas exemple le rôle que joue la croyance dans le mérite individuel. Par exemple quand on est un jeune élève et qu’on se retrouve dans une classe où les élèves font tous la même tâche, l’élève qui a du mal ne peut l’expliquer que pas un déficit en capacité ou en motivation. Un exemple concret c’est l’enfant en CP qui se retrouve mis en comparaison avec d’autres enfants qui ont déjà appris à lire à la maison. Quelle autre explication peut-il mobiliser que l’intelligence ? Il pense que s’il n’y arrive pas c’est parce qu’il est moins intelligent.
Faire réaliser par les élèves la même tâche crée cette comparaison ?
C’est aussi parce qu’il y a la croyance dans le mérite individuel. Si les élèves font la même tâche mais qu’on reconnait explicitement que les enfants arrivent avec des niveaux de familiarité avec l’école différents , réussir moins bien est moins menaçant. On peut expliquer aux élèves qu’ils ont été plus ou moins bien entrainés à l’arrivée dans l’école.
Les évaluations nationales renforcent-elles ce sentiment d’incapacité ?
C’est une question complexe. Les travaux de recherche montrent que les formes d’évaluation perçues comme standardisées et objectives ont tendance à créer des écarts de performance liées à l’origine sociale. Ils montrent que quand on donne le même travail en retirant la pression évaluative les écarts entre les élèves se réduisent.
C’est aussi le cas quand on explique aux élèves l’objectif des évaluations. C’est là que le rôle des enseignants est important. Ils peuvent réduire les écarts de performance liées à l’origine sociale s’ils présentent ces évaluations comme des outils au service de la progression de tos.
Au contraire, plus on est dans un cadre compétitif , plus on augmente les écarts et on favorise les élèves favorisés. Les élèves qui ne sont pas habitués à ce contexte compétitif doivent gérer la tâche et aussi le sentiment de menace qui l’accompagne.
Quels conseils peut-on donner aux enseignants pour lutter contre les inégalités ?
Le livre cite plusieurs travaux qui donnent des pistes. Un premier exemple serait de changer de regard sur la difficulté. Quand on considère la difficulté non plus comme un révélateur d’un manque de capacités mais comme une étape dans l’apprentissage on voit que les élèves performent mieux. Encore une fois : le sentiment de menace est couteux en ressources. Amener l’élève à considérer la difficulté comme quelque chose de normal permet de se sentir moins menacé et de consacrer plus de ressources à la tâche.
Une autre piste c’est de tenter de déconstruire les stéréotypes sociaux de genre. Cela passe par les méthodes pédagogiques mais aussi par le langage utilisé par l’enseignant. Le rôle des parents est très important aussi sur ce point.
D’une façon générale plus un contexte est compétitif plus cela favorise la répétition des inégalités de genre. Parcoursup, par exemple, accentue clairement les inégalités. Les pays du nord de l’Europe qui sont mieux classés en terme de résultats dans les études internationales sont moins orientés vers la compétition.
Pourquoi les vieilles explications, comme la génétique, reviennent-elles à la mode ? Pourquoi le système éducatif s’accorde t-il si facilement avec les inégalités ?
Les vieilles explications sont en adéquation avec nos croyances culturelles, celles qui correspondent à un type d’homme : l’individu indépendant, autonome, responsable et dont le comportement est perçu comme la conséquence de son individualité. La recherche montre que dans des sociétés plus interdépendantes, comme celles d’Asie, l’individu est plus vu dans sa relation aux autres. Et d’une façon générale, des travaux ont montré que notre système cognitif privilégie les explications relevant de causes internes par rapport aux causes externes. Quand un individu doit expliquer un comportement il fait appel davantage à des causes individuelles.
D’où l’importance de ne pas oublier les travaux de psychologie sociale. Ils permettent de comprendre que quand on dit que l’Ecole reproduit les inégalités sociales ce ne sont pas les enseignants qui sont responsables mais l’Ecole dans ses rapports avec les parents et les enfants. Sur le terrain les enseignants sont très investis dans la lutte contre les inégalités.
Propos recueillis par François Jarraud
Sébastien Goudeau, Comment l’école reproduit-elle les inégalités ? Égalité des chances, réussite, psychologie sociale, UGA , PUG, ISBN 9782706146367