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Patrick Picard
Les textes ci-dessous sont des notes de conférence. Ils n’ont pas été relus par leurs auteurs.
« La grammaire, unicité ou multiplicité ? »
Bernard Combettes, Professeur de linguistique française à l’Université Nancy II, auteur de manuels : De la phrase au texte, Delagrave
Le sens du mot grammaire ? Tentons d’éclaircir les redoutables ambiguïtés du terme…
« D’ailleurs, le ministre ne mettait pas tout à fait le même sens que celui que je vais y mettre…«
- La « grammaire » peut être entendue comme un système de régularités, présent dans toute langue. Mais quand on dit « enseignement de la grammaire », ce n’est pourtant pas « enseignement de la langue »
- Le terme grammaire peut aussi signifier la description de ce système linguistique…
- – … ou se limiter à la description spécifique de la morphosyntaxe (excluant le lexique et la conjugaison, par exemple…)
- Il peut aussi référer à l’ouvrage qui permet d’enseigner ce système (on achète une grammaire, on n’achète pas un algèbre)
- … ou encore au moment pédagogique où, en classe, on enseigne la grammaire.
Le mot « grammatica » aurait pu être traduit par grammatique, comme mathématique, linguistique, phonétique). Il a été basculé en français en « grammaire » (cf annuaire, syllabaire, dictionnaire) qui renvoie à un recueil, un manuel… De « science », on passe à « recueil ».
On pourrait dire grammatique pour dire le système, et grammaireS pour parler des analyses sur la langue. Il y n’y a pas UNE grammaire du français, mais plusieurs, évidemment. Il faudrait aussi parler de la grammaire du locuteur, celle que chacun d’entre nous possède et qui est différente d’un individu à l’autre. Sans locuteur, il n’y aurait pas de langue… C’est à partir de ces locuteurs vivants que s’élaborent des compromis qu’on appelle « grammaire ».
Evidemment, on voit immédiatement les problèmes de didactique redoutables que cela va poser : quelle langue enseigner ? de quelle description a-t-il besoin ? Je ne prends pas parti pour savoir s’il faut faire des cours de grammaire. Mais je constate que nombre de pays (anglo-saxons) n’en font pas l’enseignement explicite. Cependant, l’enseignant a évidemment besoin d’une vue claire du système de la langue, pour les évaluations des élèves, les programmations qu’il a à faire. » Pour que les enfants ne fassent pas trop de grammaire, il faut que l’enseignant en fasse beaucoup « . L’enseignant doit se poser des questions sans nécessairement les poser aux élèves : pourquoi la diversité ? Pourquoi plusieurs description possibles d’une langue ? Quelles normes, quelles références les plus pertinentes pour l’enseignement du français langue maternelle (on pourrait dire autre chose pour le FLE) ? Quelle que soit la décision pédagogique qu’on prend sur l’enseignement, on a besoin que l’enseignant maîtrise le système de description…
Repères historiques
En prenant le sens » description » du mot grammaire, il ne faudrait pas penser que la grammaire se réduise au plaisir de la science. Elle a des objectifs, pas toujours dits explicitement… Nous vivons sur une tradition d’une grammaire qui n’a été faite ni pour l’enseignement ni pour décrire la langue. On a un outil qui n’est pas adapté à ce qu’on veut en faire…
Grecs et latins ont commencé à décrire la langue, mais l’Inde avait commencé à faire de la linguistique dès 600 av JC. Par opposition à notre tradition grecque et latine, elle avait été créée à partir du besoin de comprendre et sauvegarder des écrits religieux anciens dont on n’arrivait plus à retrouver le sens au fil de l’évolution de la langue. Ils vont faire des descriptions phonétiques du sanskrit remarquables.
La « grammatiké » des Grecs fait au contraire partie de la philosophie. Ils voulaient savoir si le langage était naturel, ou au contraire une convention sociale fabriquée par les sociétés humaines : l’élaboration du masculin, féminin ou neutre vient de là. Pas étonnant que la morphologie ou la phonologie ne les ait pas intéressés… Leur grammaire cherchait à démontrer quelque chose, au delà de son objet visible…
Quelle idée du langage a-t-on ?
Même quand la grammaire devient autonome, il y a des présupposés sur la nature et les fonctions du langage. Et ça n’est pas toujours dit. Si vous avez derrière la tête l’idée que le langage sert à communiquer, vous n’aurez pas la même grammaire que si vous avez dans la tête que le langage est un instrument de pouvoir…
L’exemple des catégories de la grammaire traditionnelle
Prenons l’exemple de la notion de « phrase » : le mot est du XVIe siècle, et veut dire « locution » (mots qui vont ensemble). Au milieu du XVIIIe, elle prend le sens et la forme que nous connaissons (majuscule, sujet, verbe, complément, point) alors qu’avant on travaillait avec les concepts de « propositions » et de « période » à vocation plutôt oratoire. Ce que nous appelons phrase est relativement culturel. Les unités « naturelles » sont la proposition, mise en situation dans un texte, en plusieurs « périodes » :
« En arrivant, j’ai rencontré Paul. » est la structure classique. Mais « En arrivant, la porte était fermée » ne peut être qu’inscrit dans un texte (qu’est-ce qu’il y a avant…) dans lequel le scripteur écrit en fonction de ce qu’il a produit avant… Au XVIIIème, on pouvait typographier « Nous avions longtemps voyagé : en arrivant : la porte était fermée« , ce qui nous choquerait aujourd’hui.
C’est sans doute pour enseigner l’orthographe qu’on a inventé les phrases, pour arriver à limiter le territoire d’investigation. Mais la phrase, pour l’enfant, n’est pas naturelle. Vous le savez bien avec la difficulté des élèves à ponctuer… C’est comme le découpage en syllabe ; c’est ça qui est naturel, pas le phonème…
Les dégâts de la logique et de la philosophie de Port Royal…
Au XVIIe, on imagine que les valeurs sont universelles : ce qui est bon pour le latin et le grec est bon pour le Français… Tant qu’on parle philo ou logique, ça va, mais quand on parle linguistique, ça se gâte… C’est de cette mauvaise adaptation de la grammaire latine que vient souvent la difficulté. Ainsi, en conjugaison : on nomme présent, passé composé, futur, imparfait, futur antérieur, plus-que-parfait des temps qui sont reliés ensemble par une variation symétrique totalement invisible aux élèves… Pour une fois que c’est régulier, pourquoi ne dit-on pas futur composé ou présent composé ? C’est parce qu’il y a eu des couches successives de mots qui ont provoqué des désordres dans la lisibilité.
De même, pour les adjectifs, pourquoi est-on passé à » déterminant » ? L’adjectif possessif vient du latin (meus, le mien) fonctionne comme un adjectif. Il a fallu attendre le XXe siécle pour qu’on s’aperçoive qu’il n’y a aucun point commun entre MON et PETIT.
Quel type de grammaire ? Pourquoi la grammaire ?
Faute de vouloir le pourquoi, on n’a toujours pas fait le choix : grammaire pour communiquer, grammaire pour écrire, grammaire pour raisonner sur la langue… On met la grammaire en avant, mais on ne sait toujours pas de quoi on parle…
– Dans les années 70, on parlait déjà de grammaire pour l’expression, fonctionnelle, qui explique la langue en référence aux situations de communication, au contexte. Mais il faut articuler grammaire et fonctionnement cognitif. Je pense que c’est là que les IO ont le plus de retard avec ce que sait la recherche. Comment apprendre à écrire sans tenir compte des catégories cognitives que nous avons élaborées en recherche linguistique ?
– Il faudrait aussi une grammaire qui puisse rendre compte des variations, en ne se limitant pas à la renvoyer aux marges de » ce qui n’est pas réglé « . Si on prend la position inverse (ce qui est fondamental, ce n’est pas la régularité, c’est la variation) on peut travailler différemment. Nous avons une vue trop rigide des catégories.
Apprendre l’orthographe du français
Michel Fayol, Professeur de psychologie, Université Blaise Pascal, Clermont-Ferrand, membre de l’ONL
En français, c’est surtout quand on aborde la production d’écrit qu’on a besoin de parler d’orthographe.
On orthographie :
- à partir de la connaissance que nous avons du système orthographique : pour écrire le pseudo-mot /fantrovin/, vous aurez de nombreux choix (pour le /en/, le /in/), vous aurez besoin du contexte. La base ManuLex (http://unpc.univ-lyon2.fr/~lete/manulex/Manulex.htm) montre qu’il faut beaucoup de chances pour avoir la bonne transcription d’un /in/.
- à partir de la mise en mémoire que nous avons faite des formes orthographiques, à partir d’un lexique (mots fréquents) A partir de connaissances partielles d’une mot (contexte sémantique, forme orthographie)
On fait à la fois référence à notre mémoire et à notre capacité de recomposer de l’information. Le mot /tank/ va pouvoir être écrit tank ou tanque, selon sa consistance.
Reste la question des accords. A côté des algorithmes et des règles, les adultes vont aussi chercher la récupération en mémoire de formes associées dans leur mémoire (le facteur a des lettres, il les timbres). On a donc toujours deux voies : le calcul ou la récupération, et toutes les voies mixtes entre les deux. La question est donc « comment les enfants vont-ils s’approprier ces règles ?«
Quand on prend des enfants en CP-CE1, on observe qu’ils sont déjà très avancés sur tout l’éventail des possibilités. Ce qui va changer avec l’âge, c’est la répartition entre ces différentes possibilités.
- la voie sous-lexicale : à partir de sa connaissance en correspondance grapho-phono, l’enfant transcrit des syllabes qui, si elles ne sont pas orthographiquement correctes, respectent un minimum la phonologie, par la construction progressive du principe alphabétique. La connaissance du son et du nom des lettres, la conscience phonologique y contribuent donc, et facilitent la production, phonologiquement juste, mais orthographiquement erronée (cado, fam…)
- l’apprentissage des régularités : au-delà des relations phonographiques, s’établit aussi une nouvelle compétence, du fait de la fréquentation de la lecture/écriture. L’enfant va accéder aux régularités entre les suites de graphèmes et les suites de phonèmes. Si on demande de choisir l’écriture « correcte » entre deux pseudo-mots, on va plutôt choisir bummor plutôt que buumor, bummor plutôt que bumorr, bukkor plutôt que bukoor, selon que ce type de lettres-doubles existe ou pas dans la langue écrite. Or, dès la fin du CP, les enfants ont déjà acquis des régularités (consonnes doublées) en traitant des unités plus larges que la consonne. Pour transcrire /o/, ils ne vont pas inventer n’importe comment, mais suivre les connaissances (vitafo, mais vitareau) dès les petites classes. Des règles, assorties d’exception, peuvent donner lieu à de l’enseignement explicite
- le lexique orthographique est le domaine dans lequel on a peu d’enseignements issus de la recherche. On sait que les mots nouveaux qui entrent en mémoire se mettent en contact avec ceux déjà là, entraînant des concurrences de règles. On peut savoir mieux orthographier « ainsi » au CM1 qu’au CM2.
La morphologie… (accords de genre et nombre, par exemple…) Les enfants les comprennent, mais ne les utilisent pas en situation de production. Quand on leur demande de choisir entre 3 formes, ils ne se trompent pas. Mais quand ils écrivent sous la dictée, c’est beaucoup plus difficile. Donc, ce n’est pas seulement un problème de connaissance, mais aussi un problème d’attention à sélectionner.
Pour la morphologie dérivationnelle se pose en terme de compétition entre les régularités et les règles : pour reprendre l’exemple ci-dessus, un enfant à qui on aura expliqué les règles de construction de renard/renardeau aura tendance à écrire, pour nommer le petit du /vitaf/, le vitafeau, alors qu’il écrirait vitafo si le pseudo-mot est dicté hors de tout contexte. Une autre hypothèse concernant les difficultés à produire une orthographe juste, alors qu’il connaissent les règles, est qu’ils consacrent sans doute beaucoup d’énergie à graphier, et que cela leur demande une grande capacité attentionnelle, qui comme chacun le sait n’est pas infinie…
L’orthographe française est-elle une exception ?
Jean-Pierre Jaffré, Chargé de recherche au LEAPLE CNRS, Université Paris Descartes
L’orthographe française est-elle une « bonne » orthographe ? Pendant longtemps, on a pensé qu’une bonne orthographe devait être transparente : ce qui s’écrit, comme ce qui se dit, dans une relation biunivoque). Cela allait de pair avec une certaine méfiance historique des linguistes pour l’écrit, nombre d’entre eux préférant les oreilles aux yeux.
Mais progressivement, dans les années 80, on a construit d’autres points de vue, plus équilibrés : l’orthographe doit à la fois aider le lecteur et le scripteur expert, mais aussi ceux qui apprennent à lire et écrire. On construit une relation étroite entre la langue et l’écriture, trace de la langue. Une double articulation se construit entre le lexique et la grammaire (lexèmes et morphèmes outils), qui combinent la relation à l’oral (phono) et le sens (sémiographie), chacune des dimensions cherchant à être aussi efficace, économique et transparente que possible.
La « transparence phonographique » (biunivocité) est intéressante : plus c’est régulier, moins on a de problèmes à lire (japonais, finnois). Mais le problème, c’est qu’aucune orthographe au monde n’est biunivoque : à cause de son histoire, elle a du prendre en compte de nouveaux apports. (en Français, 130 graphèmes pour 30 phonèmes ; en anglais, 40 phonèmes pour 1000 graphies possibles). Les langues donnent donc aussi à voir les unités linguistiques, pour distinguer les homophones et coder la grammaire (morpho-phono-logie). Pour définir ce que peut être l’économie sémiographique, on peut détailler
- La morphophonographie : un phonème ne s’écrit pas de la même façon selon la manière dont la grammaire l’utilise (/é/ à la fin des mots en conjugaison, par exemple).
- L’iconicité (22′), c’est le S du pluriel, le e du féminin (mais qui est souvent la marque d’autre chose que le genre)
Pour évaluer si une langue a une « bonne » orthographe, on peut donc regarder à plusieurs niveaux :
- Plus la phonographie est transparente, plus ça paraît simple.
- Plus les morphogrammes sont stables, avec une » iconicité » maximale, mieux on va les mémoriser. A cet égard, on pourrait supprimer les marques qui empêchent d’avoir une mémorisation stable des règles de grammaire (les X de pluriel, homogénéiser les désinences verbales inutiles ou les anomalies (je veux, je conclus, je vends ; une brebis ; l’accord du participe passé…).
On pourrait ainsi encore à peu de frais améliorer une orthographe relativement efficace du point de vue du compromis qu’elle offre au lecteur, au scripteur, à l’apprenant débutant
» Vous ne pouvez pas douter de mon namitié sans m’ofancer furieus mans » écrivait une bourgeoise correspondante du XVIIe…
Difficultés de lecture et approche des phénomènes de langue et de discours : Jacques David, professeur à l’Iufm de Versailles
On a des travaux sur les troubles du langage ou la dyslexie, mais peu sur les difficultés des lecteurs « les plus faibles ».
Les évaluations 6e de 1997
En regardant les performances des 15% d’élèves les plus faibles :
- 4% des élèves en difficulté dans toutes les épreuves (garçons à 80%, redoublants, cf JAPD)
- 8% de lecteurs très lents, type SEGPA, qui perdent un temps important dans le décodage.
- Presque 3% d’élèves, surtout des filles, maîtrisant les savoirs de base, mais n’ayant pas encore optimisé les procédures de compréhension des textes.
A partir de cette typologie, on peut imaginer plusieurs propositions d’intervention didactique.
Les stratégies de lecture des élèves en SEGPA
Certains sont défaillants dans toutes les tâches de lecture, certains surcodent et s’empêchent ainsi d’accéder à la forme orale des mots, certains cherchent à deviner sans recourir au grapho-phono.
La majorité sait reconnaître les mots, mais le temps de traitement est tel qu’ils ne peuvent pas dégager assez de mémoire de travail pour accéder au sens du texte.
Certains ont peu de stratégies de compréhension face aux textes longs.
Remédier aux difficultés de lecture Il faut trouver des remédiations pour couvrir toutes les difficultés :
- Planifier la lecture (ouvrir un horizon d’attente)
- Organiser la relecture (silencieuse, orale, magistrale…), notamment pour ceux qui ont un temps de décodage long.
- Lever les contresens et assurer la compréhension.
- Etudier les problèmes linguistiques spécifiques en fonction des défaillances repérées (ateliers de lecture)
3 axes de travail :
- L’étude des faits de langue
- le lexique et ses composantes (chercher le contexte autour des mots)
- décomposer les mots, étudier les éléments morphologiques, les régularités…
- rechercher le sens (les sens en fonction du contexte), la polysémie, les expressions…
- En morphosyntaxe :
- repérer les marques grammaticales, les indices, construire les catégories, les nommer…
- construire les chaînes d’accords
- saisir les structures syntaxiques fréquentes et complexes (subordonnées, relatives enchâssées…)
- Dans le champ de la compréhension (macro-syntaxe) :
- la mise en relation des indices disparates, les inférences
- les connecteurs
- la ponctuation
- les chaînes de co-référence (Carabosse… la fée… elle … lui… sa…)
- mobiliser des connaissances externes au texte
- référer les textes à des contenus précis, à des connaissances littéraires, culturelles, médiatiques…
- référer à soi, à sa propre expérience…
- hiérarchiser, enchaîner, argumenter…
Conclusion :
Etudier les faits de langue ne suffit pas. Il faut poursuivre l’apprentissage du décodage, automatiser la reconnaissance de mots, associer les stratégies » descendantes » et » ascendantes « , faire de la production d’écrit, multiplier les expériences de lecture (beaucoup, souvent, régulièrement), transférer les habiletés dans les autres disciplines…
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Page publiée le 09-03-2006