Observer et admirer la nature, un premier pas pour la respecter ? Frédéric Labaune, professeur de SVT au lycée Jean-Marc Boivin de Chevigny Saint-Sauveur, (21) pratique l’art de la photographie avec talent. Son projet Macro Micro World regorge de ressources utilisables en classe. Insectes, pollens, vaisseau de sève ou lame mince de roches, les clichés de l’enseignant passionné impressionnent dès le premier regard. Adepte de la technique du stacking, il contribue aussi depuis des années à banque de schémas de SVT de l’académie de Dijon. Il préconise de « laisser du temps à l’observation » et regrette « la virtualisation de la nature avec des programmes » qu’il qualifie « de plus en plus hors-sol ».
Que trouve t-on dans le projet Macro Micro World ?
Je pratique la photo depuis une quarantaine d’années. Pratiquement jamais de portrait, de scènes de rue mais toujours des images de nature : des paysages (world) ; de l’animalier (manque de temps pour bien faire les choses), de la macrophotographie (des fleurs, des insectes… plus souvent un témoignage qu’une photo artistique). Avec l’avènement de la photographie numérique, les possibilités de montrer les choses se sont accrues. La diffusion est facilitée, les coûts de production ont diminué et il est très facile de multiplier les clichés pour arriver à un résultat montrable. On peut aussi ajouter les capacités quasi-infinies d’éditions des images.
Il y a une dizaine d’années, j’ai chiné sur ebay le même microscope que celui que nous avions à l’ENS de Lyon et c’est avec cette madeleine de Proust que j’ai cherché à faire des photos pour illustrer mes cours.
Pour en tirer la quintessence, je me suis inscrit sur le forum « le naturaliste » et je suis tombé sur des cracks dans de nombreux domaines, des bricoleurs fous et emportés par leur enthousiasme. J’ai essayé de me mettre au diapason. Nous dirons que c’est la genèse de ce projet « Macro Micro World ». J’ai énormément posté dans ce forum. On m’a poussé à écrire un livre sur ce que je pratiquais. Cette écriture – « La macrophotographie au-delà du rapport 1 » (Biotope Editions) s’est accompagnée de billets dans un blog, justement nommé « Macro Micro World »
On y trouve des images, de la microscopie, de la macrophotographie, quelques tutoriels sur de la mise en place de matériel ou certaines techniques, quelques comptes rendus de voyages. Ca reste un blog assez technique mais j’espère que les gens qui le lisent arrivent à en tirer des informations utiles. Ce blog va avoir six ans, il cumule 140.000 lectures de billets.
Quelle place accordez-vous à la photographie dans vos cours ? Apprenez-vous les techniques de photographies à vos lycéens ?
Je suis naturaliste depuis tout gamin et ça ne m’a jamais lâché. J’ai toujours voulu montrer ce qui me plaisait dans la nature. Dès lors, ça ne peut passer que par l’image… Vous vous doutez bien que mes diaporamas de cours contiennent pas mal de mes productions.
Je ne raconte pas ma vie à mes élèves et donc si certains finissent par savoir que je suis l’auteur de ces photos, je ne m’étale pas dessus. Je connais les tenants et les aboutissants de l’image que je projette, ça me donne aussi de l’assurance sur ce que je raconte. Idem, je n’ai aucun problème pour expliquer le fonctionnement d’un microscope, d’une loupe binoculaire… je peux même en réparer.
Le projet Macro Micro World s’est accompagné d’achat d’une quantité colossale de matériel, au meilleur prix, avec pas mal de démontages, bricolages, d’essais, de déconvenues et aussi de bonnes surprises.
Par contre, je n’ai quasiment jamais rencontré d’élève qui voulait aller plus loin. C’est une denrée rare et après deux années à essayer de lancer un club sciences dans mon lycée, j’ai abandonné car il n’y avait pas d’élèves. Pourtant, j’avais annoncé des choses qui me paraissaient sympathiques : « voir l’invisible » avec l’utilisation du microscope mais aussi des propositions de sorties en fac, l’idée de faire des analyses…
Qu’est-ce qu’une « image propre » pour vous ?
Je dirais une image montrable, avec un aspect technique : une bonne exposition, les bonnes couleurs, une netteté et un contraste suffisants. Il faut que l’image soit lisible et donc il faut éviter des éléments parasites, des arrière-plans plus visibles que le sujet. Ensuite, si elle peut avoir un effet « waouh » en plus, c’est bien aussi.
En quoi consiste le stacking ?
En macrophotographie et pire, en microscopie, la profondeur de champ est un écueil quand on veut montrer certaines choses. Ca peut être pratique pour isoler le sujet, mais en règle générale, la profondeur de champ est trop faible. Le conseil que l’on donne alors et c’est une manie que l’on va retrouver chez des élèves studieux qui appliquent les règles édictées par leur professeur de SVT, c’est de fermer le diaphragme. Je pourrais rentrer dans les détails et expliquer en quoi cette pratique est néfaste, mais tant qu’on en reste à des observations basiques avec des microscopes basiques, à l’œil (qui compense beaucoup de choses), ça passe. Mais si on a l’intention de faire des images « propres », ça n’ira pas. Fermer le diaphragme, c’est non seulement se priver de lumière (ça se compense en augmentant le temps d’exposition), mais c’est surtout perdre de la résolution. Une image propre, en macro- ou microphotographie est avant tout une image qui fourmille de détails. Pour cela, il ne faut pas trop entamer le pouvoir séparateur du système optique utilisé et il ne faut donc pas trop fermer le diaphragme.
Le numérique offre la possibilité d’augmenter la profondeur de champ. Pour cela, on réalise une pile d’images – ça ne coûte pas plus cher – en décalant légèrement la mise au point entre chaque cliché. Un logiciel se charge ensuite d’assembler les zones nettes de chaque photo.
J’ai déjà présenté des images qui ont demandé des piles (stack) de plus de 500 photos, avec des déplacements de l’ordre du micromètre entre chaque prise de vue. Par ailleurs, nous cherchons à imposer le néologisme « Zédification » (le Z, c’est la profondeur) en France à la place de « focus-stacking ».
Quelles sont vos contributions dans la riche banque de schémas de l’académie de Dijon ?
Ma contribution à la banque de schémas de Dijon est une longue histoire. Toujours dans cette idée de montrer, d’expliquer, j’ai créé des schémas en infographie dès mes débuts. Ces schémas ont été dessinés avec Adobe Illustrator et ils me servent comme bilan de mes cours. J’ai appris à feu Alain Gallien à dessiner avec Word. Il a alors rempli la banque de schémas créée à son instigation. J’ai donc proposé mes schémas pour « enrichir » cette banque… mais ça ne s’est pas forcément fait sans friction.
Certains schémas ont été téléchargés des milliers de fois. C’est toujours plaisant de se dire qu’un travail (des dizaines d’heures parfois) a pu servir à d’autres.
Comment percevez-vous l’évolution du métier d’enseignant de SVT ? Le côté naturaliste est-il toujours perçu par les élèves ?
Je ne suis pas optimiste sur le futur de notre matière. Une impression d’avoir mangé notre pain blanc et que désormais, nous serons cantonnés à la virtualisation de la nature avec des programmes qui de toute façon sont de plus en plus hors-sol.
Je suis aussi choqué de voir que les horaires de TP et des limites de dédoublement ne soient plus fléchés. En terminale de spécialité, l’année prochaine, dans certains lycées, il y aura quatre heures de TP par semaine alors que dans d’autres, ça ne sera qu’une heure trente… Dans mon lycée, on s’oriente vers des groupes de 20 à 24 élèves, tout le temps… mais nous n’avons que deux salles de TP. Et puis tous les ans, tout ceci sera remis en cause. C’est hallucinant.
Clairement, d’un lycée à un autre, nous ne ferons pas le même métier. Pour le côté naturaliste, là encore, le compte n’y est pas… n’y est plus. Je suis d’une génération où déjà les candidats « naturalistes » aux concours étaient rares. De ma promo, nous n’étions qu’une poignée à sacrifier une nuit pour aller au brame du cerf ou passer du temps dans une association de préservation de la nature (ornithologie pour moi).
Mais de toute façon, les programmes ne permettent pas vraiment d’en parler. Les enjeux planétaires sont souvent aseptisés : des études de documents, de l’internet mais du terrain, point. Ca n’est pas non plus facile à organiser. C’est ainsi, le numérique prend de plus en plus de place. On virtualise les expériences et on s’en contente. Gain de temps, reproductibilité, pas de matériel à sortir, laver, ranger. Finalement, on se retrouve avec des élèves blasés mais incapables de manipuler correctement (bien sûr, il ne faut pas généraliser, on a encore des jeunes qui font bien, heureusement).
Des idées pour continuer à émerveiller les élèves ?
Changer les programmes et laisser du temps à l’observation. Pour ma part, j’essaye encore d’améliorer la qualité de mes images, peut-être que je devrais en dire un peu plus sur mes pratiques.
Je reste convaincu que montrer les merveilles de notre environnement (je ne parle pas que de l’aspect esthétique – je ne suis pas un artiste – mais aussi des adaptations qui sont derrière… je me régale quand je fais des conférences présentant mon « travail ») est le meilleur moyen d’accéder à une prise de conscience de la crise actuelle.
Entretien par Julien Cabioch
Son site d’histologie végétale
Dans le Café