Alors que les « badges » annoncent une nouvelle politique de gestion des relations humaines dans l’Education nationale, la formation continue proclame aussi une sorte de révolution culturelle. Officiellement le « plan français » est un modèle de formation innovant basé sur la formation par les pairs. Pourtant ce plan, qui sera lancé dans le premier degré à la rentrée 2020, suscite déjà l’inquiétude de formateurs qui y voient à la fois un outil de mise au pas des professeurs des écoles et une charge de travail colossale pour eux-mêmes. Les 5 journées de formation obligatoires devraient avoir lieu durant les congés.
Une invention : la « constellation »
Annoncé dans une lettre aux recteurs du 5 mars, le Plan français est présenté par la direction de l’enseignement scolaire comme « une modalité de formation fondée sur les échanges entre pairs, sur un accompagnement dans la durée et sur un renouvellement partagé des gestes professionnels des professeurs des écoles et des formateurs ». Il devrait permettre la formation de tous les professeurs des écoles (PE) sur un rythme de 6 ans sur « des problématiques adaptées aux contextes locaux ». La Dgesco annonce la formation des conseillers pédagogiques (CPC) référents dès l’automne 2020.
Effectivement, le plan français change radicalement la formation continue. Il introduit un nouveau modèle de formation : la « constellation ». Le guide officiel du plan annonce « une nouvelle démarche de formation continue sur l’enseignement du français, qui intègre une analyse réflexive accompagnée : le travail au sein d’un groupe réduit de six à huit professeurs, animé par un formateur de proximité et installé au plus près des classes ». C’ets ce groupe qu’on appelle une constellation. « Avec le Plan français, tous les professeurs bénéficieront tous les six ans d’une formation intensive sur l’enseignement du français de dix demi-journées (5 jours) étalées sur une année scolaire et le travail engagé sera prolongé sur les autres années » continue le guide.
L’exemple des lesson studies
Le plan « fonde la formation sur le contexte local d’enseignement (les classes deviennent les lieux de formation) et articule l’exploitation des ressources théoriques et les déclinaisons dans la classe, permettant aux professeurs de prendre appui sur les résultats de la recherche pour trouver des réponses adaptées à leurs besoins et à ceux de leurs élèves ».
La constellation s’inspire du modèle des « lesson studies » asiatiques : des analyses de séquences réalisée en classe et analysée par le groupe. « La séance ou la séquence élaborée collectivement, avec une aide extérieure – ici celle du CPC-référent français –, est ensuite mise en oeuvre dans une classe par un ou plusieurs enseignants. Les autres enseignants du groupe observent cette mise en oeuvre, notamment pour apprécier l’efficacité des apprentissages des élèves. L’étape suivante consiste à discuter les observations afin de dégager ce qui a été appris et ce qui peut être amélioré », explique le guide. Ainsi chaque enseignant devra recevoir trois fois le CPC et le groupe d’enseignants dans sa classe.
Le modèle des lesson studies a été beaucoup mis en avant par l’OCDE depuis Pisa 2015. Au Japon des enseignants volontaires constituent des groupes qui conçoivent en commun une leçon. Un des membres du groupe la met en œuvre devant ses collègues. Après observation et analyse de la séance, les enseignants se réunissent à nouveau : celui qui a animée la séance s’exprime le premier, puis ses collègues présentent chacun à leur tour leurs propres analyses. Ce modèle s’avère efficace mais dans une société et un système éducatif totalement différent du notre.
Flicage des professeurs ?
En France, la « constellation » fait déjà réagir des CPC qui dénoncent « un flicage des collègues ». Chaque année 20% des PE vont devoir sur décision du Dasen recevoir ainsi dans leur classe obligatoirement un CPC et des collègues. Parce que dans le système français , les lesson studies sont impulsées d’en haut par les Dasen et les IEN, qui pilotent le plan au niveau local. Les CPC constituent les groupes en accord avec les IEN et les pilotent. Le seuil de la classe, qui traditionnellement en France n’est franchi qu’avec l’accord du professeur ou pour une inspection, va faire l’objet de ces visites renouvelées sans que le professeur puisse s’y opposer. L’enseignement du professeur sera exposé et mis en débat par le CPC et les collègues.
IL y a d’autres différences bien dans la culture de notre système éducatif. La bibliographie du Guide du plan français, qui va servir à la formation des CPC référents, s’appuis presque exclusivement sur les instructions officielles et les innombrables guides imaginés par le ministère et son conseil scientifique. « Il y a clairement la volonté de dire aux professeurs ce qu’ils doivent exécuter et non de les aider à construire », nous dit une CPC qui souligne que c’est une première.
Enfin l’ensemble du plan est piloté au niveau national par deux personnalités qui ne font pas l’unanimité. L’inspectrice générale Marie Mégard est la doyenne du primaire à l’Inspection générale. Mais elle a été imposée à ce poste par JM Blanquer en 2018 après un vote contraire des inspecteurs généraux. A l’origine c’est une professeure de maths nommée inspectrice générale par Xavier Darcos. L’autre pilote national est David Bauduin, ancien conseiller technique de Luc Chatel dont il écrivait les discours, et ancien secrétaire général du CSP. JM Blanquer l’a nommé inspecteur général en 2019.
Charge impossible pour les CPC
Des CPC soulignent aussi la lourdeur du dispositif pour eux. Le guide propose plusieurs modèles d’organisation du travail des CPC. Elles correspondent à 105 journées de travail annuelles soit à peu près un mi temps. Cela inquiète des CPC qui se demandent comment ils vont faire pour continuer le travail habituel, notamment toute la charge administrative. D’autant que l’année prochaine sera exceptionnelle. « On a vécu la pandémie et le ministère organise la rentrée comme si rien ne s’était passé », nous confie une CPC. Elle estime qu’à la rentrée son souci sera d’accompagner les professeurs qui rentrent avec des classes très hétérogènes du fait du confinement.
Une formation durant les congés ?
Un dernier point va toucher les professeurs des écoles. Comment sera financé le plan français ? « Le problème du temps de remplacement disponible peut trouver de nouvelles solutions dans la récente possibilité de rémunération de la formation offerte par le décret n°2019-935 du 6 septembre 2019 », écrit E. Geffray, le Dgesco. Ce décret pris en application de la loi Blanquer rend obligatoire la formation des enseignants durant leurs congés jusqu’à un maximum de 5 jours. 30 millions d’euros ont été inscrits au budget 2020 pour ces formations obligatoires. De quoi changer les congés de 50 000 professeurs des écoles…
François Jarraud