L’enseignement hybride est un nouveau défi des enseignant.es : comment en particulier recréer du lien entre les élèves revenu.es en classe et les élèves toujours en télétravail ? Professeure de français au collège Honoré de Balzac à Azay-Le-Rideau, Elodie Lahaye propose une voie originale en 5ème : les élèves en présentiel ont coopéré pour créer une application à destination des élèves encore en distanciel. Intitulée « Piégé.e au moyen-âge », l’appli se présente comme un « livre dont vous êtes le héros » : un récit interactif qui va permettre de réviser les notions orthographiques abordées durant l’année. De quoi aussi, sous une forme ludique, recréer du lien entre les élèves et les savoirs ? Et même du lien entre les savoirs eux-mêmes ?
Comment est né le projet ?
Un jour une de mes élèves m’a apporté un « livre dont vous êtes le héros », trouvé chez elle : « Le labyrinthe d’errare » de Dominique Grandpierre. L’objectif est de libérer l’enchanteur Grévisse en résolvant des énigmes orthographiques. J’ai alors eu l’idée de faire construire la même chose aux élèves, mais le confinement est arrivé…
Vous avez mené le projet avec des élèves présents en classe et d’autres à distance : pouvez-vous nous éclairer sur les conditions de travail à ce projet dans le contexte actuel ?
Dans mon collège, le choix a été fait de proposer de la remédiation le mercredi aux élèves de retour en présentiel. J’ai donc mené ce projet avec un groupe de huit élèves de 5ème volontaires et pour qui la maîtrise des compétences est fragile. J’ai alors décidé de centrer cette remédiation sur un projet qui permettrait de reprendre les différentes compétences d’écriture et d’étude de la langue travaillées depuis le début de l’année. C’était ainsi une manière de réactiver les notions abordées en proposant des séances différentes de celles menées avec le reste du groupe classe présent. Nous avons disposé de cinq heures afin de réaliser le projet. En raison du protocole sanitaire, les élèves n’ont pas eu accès aux ordinateurs. J’ai donc vidéoprojeté le document de travail que nous avons complété au fur et à mesure de l’avancée de leur histoire. Le groupe présent a ainsi soumis ses idées et choix aux autres afin de savoir si cela était cohérent, compréhensible.
Les 5èmes présents ont créé pour les élèves en distanciel « une histoire dont vous êtes le héros » : quels vous semblent les enjeux et les difficultés d’une telle coopération à distance ?
L’enjeu d’une telle coopération est de permettre à la classe de rester un groupe unique soudé par les mêmes objectifs : créer un contenu cohérent et réinvestir des notions qu’ils ont tous étudiés au cours de l’année. La difficulté majeure est de conserver l’implication de ceux qui sont à distance qui ont eu le rôle de testeur ici et non de créateur. Quelques élèves en distanciel se sont approprié l’idée et se sont lancés dans l’écriture d’une histoire du même type pour leurs camarades en présentiel. Nous avons hâte de découvrir leur histoire.
A travers cette histoire, il s’agit de réviser les notions orthographiques abordées dans l’année : quelles ont été les modalités de travail, d’écriture narrative, de choix orthographiques … ?
Depuis le début de l’année, un rituel orthographique est en place dans la classe. Tous les mardis, les élèves font une courte dictée qui permet de revoir ou bien d’aborder de nouvelles notions. Après chaque séance, nous établissons les règles que nous consignons. Les élèves ont donc repris leurs fiches de cours. Nous avons listé les différents points abordés puis les élèves ont sélectionné les éléments qui leur paraissaient les plus pertinents à faire figurer dans l’histoire.
Ils ont choisi l’univers médiéval suite à nos activités menées sur ce thème et à une lecture audio par épisode que j’avais faite pendant le confinement : « Destination l’an mil » de Johan Heliot. Dans cette nouvelle, le personnage a la possibilité de partir en voyage dans le temps et se retrouve en plein Moyen Age. Cette histoire les a donc inspirés pour créer leur propre univers.
Lors de la première heure, nous avons donc fixé les grandes lignes de l’histoire puis chaque élève en autonomie a proposé sa première énigme. Nous avons comparé leurs propositions puis choisi celles qui convenaient le mieux. Lors des séances suivantes, nous avons avancé tous ensemble. Ils se sont mis d’accord sur l’ordre des règles à évoquer. Et les discussions portaient sur la formulation des énigmes, sur le choix du vocabulaire. Ils ont ainsi réinvesti ce que nous avons fait toute l’année : chercher des synonymes, faire des phrases bien construites…afin de se faire comprendre par les autres.
Vous avez utilisé l’application « glideapp » : de quoi s’agit-il ? en pratique comment l’avez-vous utilisée pour y faire exister l’histoire ?
Glide est un site permettant de créer facilement une application mobile à partir d’un tableur en ligne (Google Sheet). Il faut avoir un compte Gmail puis se connecter sur le site. J’ai eu l’idée suite à la lecture d’un tutoriel publié par le collectif S’cape de détourner la notion d’application pour en faire une histoire dont vous êtes le héros. En classe avec les élèves, nous avons complété au fur et à mesure le document avec les énigmes puis les choix qui donnaient ensuite accès à de nouvelles étapes. Nous avons aussi sélectionné des images sur le site Pixabay qui propose des illustrations libres de droit, ce qui m’a permis de revenir sur cette notion avec les élèves. Au fur et à mesure que l’on complète les étapes du tableur, les modifications apparaissent sur le site et les élèves ont pu ainsi voir « en direct » l’avancée de leur travail. Ce qui provoque un sentiment de satisfaction immédiate.
Quels vous semblent les intérêts de travailler ainsi avec une application mobile pour smartphone plutôt qu’avec un support scolaire habituel ?
Avec le confinement, je me suis aperçue que les élèves utilisaient principalement leur smartphone ou leur tablette afin d’avoir accès au contenu des cours. Ils ont ainsi pris conscience que ces objets n’étaient pas que synonymes de loisirs, mais pouvaient aussi servir de support pédagogique. Ce type de support est bien connu des élèves et cela a favorisé leur implication. Nous disposions également de peu de temps : le choix d’un support numérique de création simple d’utilisation s’est donc imposé.
Au final, quel bilan dressez-vous de ce travail : pour les élèves présents ? pour les élèves à distance ? pour vous-même ?
Pour les élèves présents comme pour les élèves distants, ce travail a permis de montrer que tout ce qui a été fait sur l’année est en lien. Ils ont ainsi pu réinvestir les notions déjà vues et ont compris comment les associer et se les approprier pour créer un support nouveau. Ce projet a aussi permis de remettre la coopération au sein du groupe classe suite à une longue période en autonomie et de reconstruire un climat de confiance. En effet, les modifications structurelles liées au protocole sanitaire ont bien évidemment eu une incidence sur la posture de l’élève comme celle de l’enseignant. Par ce projet, nous avons peu à peu retrouvé « nos marques » et pris conscience de l’importance de travailler ensemble pour avancer et progresser.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut