Moment émouvant : professeurs et élèves se retrouvent tous à l’école et au collège ce 22 juin. Mais ce moment attendu est gâché par les publications tardives des textes gouvernementaux. Le protocole sanitaire n’est publié que le 17 juin. Et le décret rendant possible son application ne sort que le jour de la réouverture ! La réouverture sera moins complète que ce qui a été annoncé. La fatigue et la colère des personnels de direction semble à son comble.
Accueillir les élèves
C’est un moment important que vivent les élèves et les professeurs le 22 juin avec le retour en classe d’une partie nettement plus importante des élèves. Les professeurs auront à choeur de renouer le contact avec les élèves, de laisser les jeunes parler de ce qu’ils ont vécu, d’observer dans quel état ils reviennent. Il faudra ensuite tirer les leçons du confinement, voir ce qui a été acquis, consolidé ou entretenu. C’est tout un travail de finesse qui est à faire avec l’objectif de réduire les inégalités qui se sont creusées pendant plus de trois mois.
» A partir du 22 juin, tous les élèves sont scolarisés dans les écoles maternelles, élémentaires et les collèges, pour tous les niveaux. Leur présence est obligatoire pendant le temps scolaire, la présence des professeurs étant elle-même obligatoire sur leur temps d’enseignement sous réserve de contre-indications médicales. Lorsque l’enfant ne peut être pris en charge dans sa salle de classe, un accueil est assuré, soit par les équipes éducatives, soit dans le cadre du dispositif « 2S2C » », annonce la FAQ publiée par le ministère.
Suite à la décision présidentielle du 14 juin, toutes les écoles et collèges sont sensés recevoir tous les élèves. C’est différent dans les lycées généraux et technologiques sui n’accueillent au mieux qu’un niveau. Les lycées professionnels devraient recevoir davantage d ‘élèves, s’ils y arrivent. La FAQ ministérielle précise par exemple qu’il est possible de mettre plusieurs élèves sur une machine à moins d’un mètre à condition qu’ils portent un masque.
Un protocole très allégé
Vivement promue par le ministre , dès le 15 juin, la réouverture des écoles et collège est présentée aux parents comme totale , complète et obligatoire. « Dans la nouvelle étape les enfants ont vocation à avoir cours tous les jours », explique le ministre le 15 juin sur Europe 1. Du coup, les cours à distance s’arrêtent sauf exception locale.
Pour arriver à ce résultat, le protocole officiel publié le 17 juin a considérablement allégé les consignes. « Dans les écoles élémentaires et les collèges, le principe est la distanciation physique d’au moins un mètre lorsqu’elle est matériellement possible, dans les espaces clos (dont la salle de classe), entre l’enseignant et les élèves ainsi qu’entre les élèves quand ils sont côte à côte ou face à face. Elle ne s’applique pas dans les espaces extérieurs entre élèves d’une même classe ou d’un même groupe, y compris pour les activités sportives. Si la configuration des salles de classe (surface, mobilier, etc.) ne permet absolument pas de respecter la distanciation physique d’au moins un mètre, alors l’espace est organisé de manière à maintenir la plus grande distance possible entre les élèves les élèves de plus de 11 ans doivent porter le masque de protection dans la classe ».
Autrement dit le protocole fixe une règle de distanciation pour ensuite l’annuler. De fait il est impossible de faire entrer une classe normale dans une salle de classe ordinaire en respectant la règle du mètre de distance. En invitant à lever la règle de distanciation, le protocole ministériel semble avoir résolu le problème. Enseignants et élèves seront astreints théoriquement au port du masque. Du moins au collège et à l’école (à l’école pas de masque avant 11 ans). En lycée la règle de distanciation est maintenue strictement. Mais les lycées ne font revenir qu’une partie des élèves.
Pourquoi tous les élèves ne seront pas là
A coup sur davantage d’élèves vont revenir dans les écoles et établissements le 22 juin. Mais surement pas 100%.
D’abord parce que ces règles inquiètent les parents. Un récent sondage montre que la majorité des parents dont les enfants n’étaient pas encore rentrés ne les remettront pas à l’école ou au collège. L’assouplissement des règles alors que le virus circule et connait une recrudescence inquiète. Au point que Sibeth N’Diaye, le 21 juin, a appelé les parents à « avoir confiance dans l’institution de l’Education nationale ». « Tout est fait pour que leurs enfants soient accueillis en sécurité » dit-elle sur FRance 3.
Malheureusement le protocole ne respecte pas le décret sur le déconfinement publié le 15 juin. Le décret n’est modifié que le 22 juin ! Jusque là le décret du 15 juin dit que « dans les écoles élémentaires et les collèges, l’observation d’une distanciation physique d’au moins un mètre s’applique uniquement dans les salles de classe et tous les espaces clos, entre l’enseignant et les élèves ainsi qu’entre chaque élève lorsqu’ils sont côte à côte ou qu’ils se font face ». On appréciera la formule « au moins » un mètre. Le protocole publié le 17 juin ne respecte pas la légalité sur la distanciation. Les directions ont été mises devant un choix entre respecter la loi ou les consignes ministérielles.
D’autre part le protocole maintient des consignes de nettoyage quotidien. Toutes les écoles et les établissements ne seront pas à même de nettoyer tous les locaux tous les jours alors que les autres services, comme la cantine doivent reprendre. Il seront donc obligés de fermer des salles.
Des personnels de direction à bout
C’est ce contexte qui explique les vives réactions des syndicats de personnels de direction. » Les contraintes liées aux précautions sanitaires ne permettent pas, dans beaucoup de lieux d’appliquer le « en même temps » présidentiel : en même temps l’accueil de tous les élèves et le maintien de consignes sanitaires porteuses de sens et rassurantes. Ce sont bien ces dernières qui doivent prévaloir dans le contexte actuel », déclare le Snupden Fsu. » il est par exemple assez compliqué d’imaginer que la nouvelle norme d’un mètre de distance latérale entre les élèves dans les salles de classe soit compatible partout avec l’accueil de classes entières », écrit le Snpden Unsa.
Les chefs d’établissement du privé apprécient peu, eux aussi, la communication ministérielle. » Nous ne supportons plus d’apprendre vos directives ministérielles par voie de presse, suivies de recommandations sanitaires à mettre en place du jour pour le lendemain, surtout lorsque ces dernières varient et prêtent à interprétation », écrit Vivien Joby, président du Snceel dans une lettre au ministre du 18 juin. « Cette manière d’opérer nous place dans une situation intenable vis-à-vis des familles. Comment assurer la sérénité nécessaire aux communautés éducatives, lorsqu’on met en tension ses acteurs par des annonces qui ne peuvent être suivies d’effets ? Non, il n’est clairement pas possible d’accueillir tous les enfants en classe, tous les jours, à l’école primaire. Le protocole en vigueur ne le permet pas. Pourtant, les parents ont entendu une promesse et attendent qu’elle soit tenue, afin de pouvoir rejoindre durablement leurs emplois. Non, les cours en présentiel au collège et au lycée ne pourront se tenir dans des conditions acceptables, jusque début juillet. Trop d’enseignants sont convoqués pour des jurys, à partir de la 3ème semaine de juin, soit 15 jours seulement après la rentrée des grands collégiens et des lycéens ».
A cela s’ajoutent d’autres éléments. Un exemple en est donné par les consignes de réouverture du collège Jean Lartaut de Jarnac en Charente. Le collège ouvre complètement toutes les classes de la 6ème à la 3ème avec port du masque obligatoire toute la journée. Mais la cantine ne peut pas accueillir plus de 35 élèves par service, avec désinfection entre services. Tous les demi pensionnaires ne pourront en profiter. Les transports scolaires sont obligés de respecter les règles de distanciation et ne pourront pas non plus prendre tous les élèves.Pour toutes ces raisons le collège « ouvert à tous » ne pourra pas accueillir tous les élèves.
La promesse faite aux parents ne pourra pas être tenue. Toute la communication ministérielle semble désigner les professeurs et les directions comme responsables d’un état de fait qui résulte des décisions contradictoires, parfois illégales, du ministère. Après le bac 2019 et l’invention de notes, professeurs et directions ont à gérer des problèmes éthiques, comme si la situation n’était pas assez difficile.
François Jarraud