Fin de série : dernières unités avant épuisement des stocks et arrêt de la production. Fin de séries au lycée : dernier bac général structuré en filières L, ES et S. Trop tôt sans doute pour dresser un bilan quantitatif de l’éclatement du lycée, mais les premiers échos des choix de spécialités en terminale sont inquiétants : il y aura sans doute encore moins d’élèves en spécialité « Humanités, Littérature et Philosophie » que dans les terminales L précédentes, la hiérarchisation et la spécialisation genrée des choix paraissent renforcées. Le nouveau lycée accordera-t-il moins de place et de considération aux « littéraires » ? Doit-on d’ores et déjà regretter la belle vitalité créative de la série L ? Pour rendre hommage à cette voie, si marquante et féconde pour des générations de lycéen.nes, en voici deux manifestations jusqu’en ces dernières semaines de délitement : des partages artistiques par les terminales L de Delphine Morand à Vitré, des bandes dessinées sur « La princesse de Montpensier » par les terminales L de Laurence Albert à Besançon… Ciao !
Delphine Morand : Partage des arts dans un magazine confiné
Chaque année, beaucoup d’établissements mettent en œuvre un rituel : les élèves volontaires sont invité.es à partager leurs passions et leurs talents. Peut-on faire vivre à distance un tel événement ? Peut-on retrouver une dynamique collective en période d’isolement forcé ? Paris tenus au lycée Bertrand d’Argentré à Vitré grâce aux terminales L qui ont pris en main le traditionnel événement « Les arts en mai ». Durant la période de confinement, les partages ont pris la forme d’une publication numérique et multimédia qui rassemble des propositions diverses : musicales, littéraires, chorégraphiques, graphiques, photographiques … Avec un bel appel à résister par la créativité à tous les enfermements. Eclairages de Delphine Morand, professeure de lettres…
« Depuis plusieurs années le lycée Bertrand d’Argentré célèbre la créativité des élèves et leurs engagements artistiques et culturels à travers un temps fort particulièrement fédérateur : « Les Arts en mai ». Durant une semaine, lycéennes et lycéens organisent des événements dédiés aux arts oscillant entre des formes improvisées, mais riches en émotions et belles surprises, et des rendez-vous longuement anticipés nécessitant l’investissement d’un collectif. Sur plusieurs mois, toutes les énergies et sensibilités convergent alors comme un souffle d’originalité et d’expression protéiforme offrant des performances vocales, musicales, plastiques, photographiques ou encore théâtrales. A cette occasion, tous les espaces sont investis, des extérieurs aux salles de classe, du self au hall de détente, du CDI aux couloirs de l’établissement. Les sens sont en éveil et les créations se répondent et se prolongent pour l’enchantement de tous.
Pour ne pas rompre avec ce rituel et affirmer avec force l’importance des arts dans la construction de soi et le partage des émotions, les élèves de terminale L ont souhaité mettre à l’honneur une ancienne passion artistique, explorer de nouvelles pratiques, découvrir des œuvres. Si le confinement a constitué une véritable épreuve, il a aussi permis de faire l’expérience du temps long propice aux belles rencontres. «
Laurence Albert : Dessine-moi La princesse de Montpensier
Comment relancer la motivation des terminales L lorsque les jeux sont faits, le retour au lycée impossible et les résultats du bac prévisibles ? Défi relevé au lycée Louis Pasteur à Besançon : en période de confinement, l’œuvre au programme « La Princesse de Montpensier » a cessé d’être un simple support d’exercices scolaires pour devenir un tremplin de créativité, « un tremplin vers le post-bac, un moyen d’échapper à la pesanteur du temps du confinement ». Durant ces semaines singulières, les élèves ont ainsi réalisé des planches de bandes dessinées inspirées du roman de Madame de Lafayette. Eclairages de Laurence Albert, professeure de lettres…
« 3 avril 2020, dans une France paralysée par le coronavirus, l’annonce du ministre de l’Education nationale bouleverse les élèves de Terminale : les épreuves du baccalauréat n’auront pas lieu, la formule « 100 % de contrôle continu » a été choisie ! Retour des vacances de Pâques : en « zone rouge », seuls les élèves susceptibles d’aller au rattrapage reviendront au lycée. Les calculatrices s’affolent et les résultats tombent : 32 élèves sur 35 ont leur bac ! Les esprits désormais ne sont plus qu’à Parcoursup, à l’organisation de la rentrée prochaine : financer ses études, trouver une colocation, chercher un job d’été. Début mai, tous ou presque ont déjà un pied dans l’après, difficile de garder les terminales assidus et motivés sur les deux œuvres au programme du BAC 2020 !
Quel sens donner alors aux heures de littérature jusque-là focalisées sur une épreuve écrite exigeante et ciblée (répondre en deux heures à deux questions sur une des œuvres au programme 2020 : Hernani de V. Hugo, pièce étudiée de septembre à janvier et La Princesse de Montpensier, nouvelle de Mme de Lafayette et son adaptation en 2010 par Bertrand Tavernier dont l’étude avait commencé fin janvier) ? Quid de l’étude des enjeux de la réécriture au XXème siècle d’une œuvre classique du XVIIème quand on n’échange plus que par pronote, par mails et par visioconférence ? Comment poursuivre notre étude tout en permettant aux élèves de construire des apprentissages en dehors de toute évaluation réelle … ces élèves qui pour la plupart ont des spécialités artistiques, destinés à des études d’histoire des arts, d’arts plastiques, de lettres, à des DN Made ou des écoles d’arts.
Et si La princesse de Montpensier au lieu de nous enliser dans des exercices de dissertation rendus obsolètes par le changement de cap du 3 avril devenait au contraire un tremplin vers le post-bac, un moyen d’échapper à la pesanteur du temps du confinement ?
L’idée germe, et dès sa proposition en classe virtuelle, elle est acceptée avec enthousiasme. Mais pas question de prendre à la légère ce travail. Il s’agit d’une sorte de « projet de fin d’étude » qui viendra clore le travail du semestre en réinvestissant les exercices sur le point de vue, la narration de la précieuse Mme de Lafayette et son adaptation dialoguée par Jean Cosmos, les personnages et leur interprétation, le cadre, le traitement du fond historique, les guerres de religion, la question de la bienséance, l’explicitation par un art visuel des non-dits de la langue classique etc. Le programme de travail, négocié en visioconférence se construit. Chaque rendez-vous hebdomadaire marquera une étape dans le projet..L’heure d’Accompagnement Personnalisé, elle, sera conservée pour les élèves qui risquent de passer l’oral de rattrapage.
Dès lors chacun se met au travail, avec ses capacités, son expérience, son style et surtout sa lecture. L’abandon du contrôle continu laisse la place pour travailler autrement, le temps de l’enfermement devient temps long nécessaire à une création, sereine et confiante, le temps de la solitude forcée devient celui du partage de compétences. Les échanges par mails, les essais, les corrections prolifèrent. Les élèves peuvent montrer ce qu’ils ont appris à faire dans un domaine, le graphisme, où l’enseignant de lettres est néophyte, et joue plus le rôle de gardien de l’œuvre, évitant les dérapages, les contre-sens, les anachronismes … rappelant aussi tel un éditeur les contraintes de dates. Ce projet de longue haleine, ponctué de rendez-vous réguliers matérialisant la progression du travail a transformé un temps de l’abandon de l’examen final en temps de création. Les élèves ont ainsi pu garder une trace tangible de cette année de littérature… et de cette page historique du confinement ! »
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Echos de la série L dans Le Café pédagogique
La série L, ce n’est pas que pour elles !