« C’est une histoire orale. Mais c’est aussi une histoire publique, collaborative où plusieurs personnes écrivent l’histoire en commun ». Professeur d’histoire-géographie au lycée Schweitzer du Raincy (93), Sébastian Jung a lancé le projet pédagogique Ruptures fin avril. Aujourd’hui 70 enseignants et leurs élèves participent à ce recueil de témoignages sur les ruptures vécues par les Français. Un bel exemple d’histoire collaborative que Sébastian Jung nous présente.
Comment est né le projet ?
Durant les vacances de printemps je me suis demandé comment j’allais terminer l’année avec mes élèves. Comment continuer à faire de l’histoire-géographie à distance ? Ca devenait compliqué avec les élèves. J’ai eu l’idée d’abandonner les cours en vidéoconférence et les documents pdf à imprimer pour amener les élèves à devenir leurs propres historiens. J’en ai parlé à des collègues, comme S Kuhn et C Ingrao. Et on est parti. Aujourd’hui 70 enseignants de 14 académies participent au projet. Cela va de l’école au lycée et lycée professionnel en passant par le collège. Près de 400 élèves sont actifs dans le projet.
Les élèves apprennent quoi ?
Plusieurs historiens ont accepté de mettre en ligne des capsules vidéo où ils expliquent aux élèves comment on récolte des témoignages, comment on les analyse ou encore comment on fait parler un objet. Les élèves les regardent. Ils apprennent à poser des questions dans un cadre fixé. Ils apprennent à rendre les témoignages compréhensibles à tout le monde, à les analyser. Ils apprennent aussi les limites juridiques de l’enquête orale. La dernière étape c’est la conceptualisation du thème des entretiens : les ruptures dans une vie.
Quelques exemples de ces témoignages recueillis ?
Ils concernent des pays différents : France mais aussi Algérie, Indonésie, Sri Lanka etc. Les élèves ont interrogé des policiers, des chefs d’entreprise, des taxis, des chômeurs. Cela va d’enfants à des personnes âgées qui parlent de l’exode de 1940.
Faire des entretiens oraux est ce de l’histoire ? Et si oui quelle histoire ?
L’idée première du projet c’est de créer des liens alors qu’on était en plain confinement. Mais ces entretiens sont bien des exercices d’historiens. L’entretien est semi directif : on laisse parler la personne et elles livrent ce qu’elles souhaitent dire. Cette parole devient un document que l’élève doit situer comme le fait un historien.
On s’inspire par exemple de ce qu’a fait Peschanski sur la mémoire des attentats de 2015. C’est une histoire scientifique par les méthodes mises en oeuvre. Mais c’est aussi une histoire collaborative : ce sont plusieurs personnes qui écrivent l’histoire en commun.
C’est de l’histoire ou de l’éducation à la citoyenneté ?
Ce sont les deux comme souvent en histoire géographie. L’histoire a aussi une visée citoyenne.
Cela a t-il permis de remobiliser les élèves ?
J e n’ai pas retrouver les élèves perdus de vue. Par contre ceux qui étaient là en avril sont toujours là alors que les conseils de classe sont tous faits. Ils continuent à m’envoyer des témoignages.
Vous avez appris quoi avec ce projet ?
J’ai appris que les élèves sont capables de beaucoup de choses et qu’ils ont beaucoup d’idées. Ils ont posé des questions tout à fait inattendues et très pertinentes. On a eu de vrais échanges qu’on n’aurait jamais eu en cours normalement.
Propos recueillis par François Jarraud