Le confinement a mis à mal l’école, les enseignants ont dû se réinventer afin de ne pas rompre le lien avec leurs élèves. Selon les territoires mais aussi les publics, ce travail a été plus ou moins laborieux. Gabrielle Kouassi, enseignante d’un dispositif ULIS TFC (troubles des fonctions cognitives ou mentales) au collège REP+ Paul Éluard de Garges-lès-Gonesse (95), raconte son expérience.
Gabrielle, 25 ans et professeure des école, enseigne dans l’ULIS du collège Paul Éluard depuis deux ans. Ses élèves, tous reconnus porteur de handicap, rencontrent des difficultés de compréhension, certains des dysorthographies sévères mais aussi des dyscalculies. Son groupe regroupe treize élèves de la sixième à la troisième. « Cette année, c’est plus coriace que l’an passé, car j’ai 3 nouveaux élèves qui ont de grandes difficultés, et qui demandent des adaptations importantes. Mais par contre, les élèves qui étaient en grande difficulté l’an dernier sont devenus plus autonomes en lecture ! Cela me permet donc de consacrer plus de temps aux nouveaux arrivants ».
Déculpabiliser les élèves face à leurs difficultés
COVID19, confinement, école à la maison, tout s’est accéléré très vite, alors lorsque le président a annoncé que les écoles et établissements fermaient, Gabrielle a eu du mal à se projeter. Comment faire classe à distance avec ses élèves qui rencontrent tant de difficultés ? Comment faire pour des élèves non-lecteurs qui ne comprennent les consignes qu’à l’oral ? Comment faire quand certains élèves ne peuvent utiliser les plateformes ENT puisque la lecture n’est pas acquise ? Comment envoyer un mail ? « Après un premier moment d’incertitude, le confinement a été synonyme pour moi de : Réaction, adaptation et créativité. Toutes ces questions m’ont tournée en bourrique, et je n’ai vu qu’une solution : envoyer du travail minutieusement adapté, décortiqué et guidé. Ensuite, j’appelais les élèves plusieurs fois par semaine pour m’assurer qu’ils aient bien compris le travail, les rassurer aussi car certains avaient pleinement conscience que travailler à la maison était beaucoup plus compliqué pour eux. Certains exercices qu’ils pouvaient faire en classe avec mon aide ou celle de l’AESH étaient devenus complexes seuls. Il était important de les faire déculpabiliser, en verbalisant leurs états d’esprit et en insistant bien sur le fait qu’il soit normal d’éprouver des difficultés à travailler seul, dans un environnement pas forcément propice au travail ». Maintenir le lien et rassurer ses élèves telles étaient les objectifs premiers de Gabrielle. « Je leur ai envoyé des petites cartes individuelles, dans lesquelles je prenais de leur nouvelle et leur souhaitais courage pour ce confinement qui était aussi difficile pour eux, que pour nous adultes ».
Ni ordinateur ni connexion internet
Côté familles, on est en droit d’imaginer que l’accompagnement scolaire était encore plus problématique que pour le reste des élèves, mais pour Gabrielle, nulle différence. « Je n’ai pas ressenti une détresse particulière de la part des parents quant au handicap de leur enfant. Leurs difficultés était la même que des parents à enfant “ordinaire” : comment faire classe à son enfant lorsque l’on doit travailler ? Comment expliquer les consignes etc. D’ailleurs, je tiens à saluer les parents qui devaient gérer leur foyer, leur travail, et la classe à domicile ! Je pense que certains ont découvert l’ampleur du travail d’un enseignant ». Comble de la difficulté, aucun de ses élèves n’avaient accès ni à un internet, ni à un ordinateur. Alors toutes ses séances de travail, Gabrielle les envoyait aux cheffes de son établissement qui les mettaient sous pli et les faisaient parvenir aux élèves (soit par courrier, soir lors d’un « drive » avec les parents). « J’ai de la chance, car l’équipe du collège est très à l’écoute et surtout très réactive. Ils ont tout fait pour ne laisser aucun élève au bord du chemin, et l’on sait que dans le quartier où nous exerçons, ce n’était pas gagné ! »
Plus aucun suivi extérieur
Du côté des soins, tout s’est arrêté, ce qui n’est pas sans conséquences pour les élèves. « Certains sont suivis par des psychologues ou psychiatres, par des hôpitaux de jour, par des équithérapeutes, par des orthophonistes ou encore par des ergothérapeutes … A cause du confinement, tous ces soins ont été suspendus. J’ai néanmoins été en contact régulier avec les psychologues et éducateurs de mes élèves, qui essayaient tant bien que mal de garder un lien ».
Depuis le 2 juin, Gabrielle accueille 5 à 6 élèves tous les matins. L’après-midi, c’est du distanciel. « Je me concentre surtout sur les notions qui n’ont pas été comprises. Les élèves doivent porter un masque et se laver les mains quasiment toutes les heures. C’était dur au début, mais c’est devenu une habitude. L’AESH n’a pas repris, je suis donc seule avec les élèves mais ça va ». Quant à la reprise du 22 juin, Gabrielle est mitigée. « Cette reprise est utile pour essayer tant bien que mal de clôturer cette année scolaire si particulière. Mais en même temps tout ce travail de mise en œuvre du protocole, on en fait quoi ? Ça tombe à l’eau ? Les fléchages, les affichages, les masques, le gel, le temps passé pour tenter tant bien que mal d’appliquer les directives du ministère ? Toutes les inquiétudes sanitaires sont levées ? »
Autant de questions que se posent des centaines de milliers de ses collègues qui attendent que le ministre dévoile son protocole qui permettrait selon lui de recevoir tous les élèves en garantissant leur sécurité ainsi que celle des équipes pédagogiques, un défi qui ne semble des plus simples à relever…
Lilia Ben Hamouda