Depuis la reprise, beaucoup d’enseignant.es doivent s’occuper à la fois, alternativement ou simultanément, d’élèves revenus en classe et d’élèves restés à la maison. Après le défi de l’enseignement à distance, comment relever le défi d’un enseignement hybride ? Peut-on articuler les modes d’apprentissage en présentiel et en distanciel ? A Saint-Omer, en classe ou hors la classe, 120 élèves de 3ème équipés de tablettes numériques travaillent ainsi à la réalisation d’un magazine collectif sur le roman « Effroyables jardins » : une revue de presse éclatée dans le temps pour percevoir l’évolution de la perception et de la mémoire des événements racontés. Christelle Lacroix, professeure de français, nous explique comment des élèves présents et absents parviennent dans ce contexte à coopérer pour reconstituer une communauté d’apprentissage. Jusqu’à développer particulièrement leurs « qualités organisationnelle, communicative et d’écoute » ?
Quelle organisation a été adoptée dans votre établissement pour concilier le retour des élèves et le protocole sanitaire ?
Dans notre collège, nous travaillons avec maximum 15 élèves par classe. Les élèves sont répartis en 2 groupes, A et B, puisque 75% des élèves ont fait le choix de revenir. Tous les niveaux de la sixième à la première ont repris depuis le 8 juin sur ce mode de fonctionnement.
Vous aviez lancé à distance un travail en 3ème : de quoi s’agissait-il ?
Nous avions démarré, encore confinés, un projet d’expression collaboratif sur les 4 classes de troisième du niveau, avec ma collègue Virginie Paresys. Les élèves s’étaient constitués en groupes de 3 ou 4, pour réaliser des reportages publiables aux différentes époques abordées dans l’œuvre Effroyables Jardins de Michel Quint. Et aboutir à une revue de presse de 36 reportages de nos 120 élèves. Dans ce projet, chaque élève est l’auteur d’un article personnel dont la finalité est d’être intégré dans un reportage et il doit donc faire lien avec les articles des autres auteurs du même reportage. L’objectif disciplinaire de ce projet est de réinvestir la compréhension de l’œuvre et de mener par l’écriture journalistique une réflexion sur les problématiques de l’œuvre (nécessité de transmettre la mémoire de génération en génération, le manichéisme en temps de guerre, l’intérêt de l’engagement…).
Comment tentez-vous de mener ce projet dans le cadre d’un enseignement désormais « hybride » : comment conciliez-vous présentiel et distanciel ?
De retour à l’école, le 8 juin, nous avons fait le choix d’inviter les élèves en distanciel à assister à chaque séance en classe en utilisant une application de classe virtuelle (Zoom). Cela nous permet d’alterner tâches personnelles dispensées collectivement et travaux de groupes pour réaliser les comités de rédaction entre les membres d’un même reportage tout en respectant la distanciation sociale.
Quelles sont les tâches confiées aux élèves ?
Concernant les tâches personnelles animées en grand groupe, sous la forme d’un cours dialogué, l’enseignante lance la visio et anime la séance avec l’ensemble de la classe en alternant les projections de travaux d’élèves en présence et à distance. (Avec la tablette, chacun peut projeter à l’écran pour tous).
Concernant les tâches collaboratives, les élèves rédacteurs en chef organisent eux mêmes les réunions en conviant leurs collaborateurs par lien (et le professeur, en déposant le lien dans un fichier collaboratif Pages) et les travaux de groupe ont lieu à la fois en présence et à distance tout en respectant le protocole sanitaire : ils mettent les écouteurs, partagent leurs productions, les commentent, utilisent le tchat, l’audio également pour faire de la littérature ensemble.
Pour rendre la démarche la plus efficace possible, nous avons réalisé un carnet d’écriture, permettant une planification des tâches et guidant pas à pas les élèves dans les consignes, les objectifs, l’accès aux ressources nécessaires pour les différentes étapes du projet (un genially).
Quel bilan provisoire tirez-vous de ce dispositif ?
Le projet aurait pu être mené jusqu’au bout à distance, mais il fonctionne également en « enseignement hybride », parce que le biais numérique ne pose aucune limite. Il aurait fonctionné également avec tous les élèves en présence. Une différence quand même est à noter : les qualités organisationnelle, communicative et d’écoute de l’autre sont particulièrement développées sur ce type de projet dans ce contexte si particulier. Et ces compétences transversales, complétant largement les compétences disciplinaires, serviront nos élèves pour toute la suite de leur cursus et au-delà.
A la lumière de votre expérience, peut-on mener la même pédagogie en présentiel / en distanciel / de façon hybride ?
Complètement ! La pédagogie de projet collaboratif fonctionne très bien en présentiel, mais elle fonctionne très bien à distance également car elle place l’élève au cœur de ses apprentissages, le responsabilise, l’incite à communiquer, à travailler pour soi mais aussi pour et avec les autres. Elle n’est pas unilatérale, ni magistrale. Les apprentissages prennent sens parce qu’ils impliquent tous les élèves, qui n’aiment pas l’isolement. Pas un ne peut faire le travail à la place de l’autre.
Le carnet d’écriture qu’on a créé pour l’occasion permet de s’adapter à toutes les situations pédagogiques. Il a été réalisé pour le distanciel. En effet, devant l’incertitude de la situation, on l’avait planifié ainsi avec les outils numériques qui permettaient sa réalisation. Mais on l’aurait probablement créé de la même façon pour les cours exclusivement en présentiel.
Au moment où on nous a annoncé la reprise, l’adaptation s’est faite naturellement : on faisait avant le confinement, par habitude, cours en présence, on a appris, pendant le confinement, par nécessité, à faire cours à distance (avec chez nous, des temps de formation interne pour les enseignants), faire les deux en même temps, ce n’était plus qu’une question de logistique. Le pédagogique était déjà en place : l’hybridation ne pouvait que fonctionner.
Toujours à la lumière de votre expérience, quelles vous semblent les conditions, matérielles ou pédagogiques, pour que l’enseignement hybride fonctionne ?
L’enseignement hybride fonctionne, les élèves répondent présents au projet d’expression parce qu’il n’y a pas de frein technologique dans notre collège. On a entendu beaucoup de choses sur la nocivité des écrans cette année…. Pour notre part, on en avait déjà la conviction, mais on a très vite eu confirmation pendant le confinement que la tablette numérique comme outil de travail scolaire, permet tout simplement de travailler et d’apprendre, avec facilité, sans épuisement devant la difficulté à attendre la disponibilité d’un PC à la maison par exemple ou que l’imprimante veuille bien se mettre en marche. En classe ou à la maison, il a sa pertinence. De même que c’est le rôle de l’école d’apprendre aux enfants à lire, écrire, parler avec des livres et cahiers, c’est également le rôle de l’école (plus que jamais) à lire, écrire, chercher, communiquer, avec un écran sous les yeux, avec méthode et rigueur, c’est à cette condition, il me semble, que nous formerons des citoyens éclairés pour demain.
La mutualisation des productions à distance ou en présence, consultables en tous lieux et à tous moments par tous, apprend à nos élèves à travailler ensemble, à faire société déjà en classe qu’elle soit réelle ou virtuelle. Il arrive fréquemment depuis le retour à l’école qu’un élève qui fait école à la maison prenne la main sur l’écran général de la classe par l’application de classe virtuelle et la recopie vidéo de la classe réelle. C’est quelque chose de très simple en manipulation mais qu’on n’avait jamais fait avant et qui va modifier, c’est certain, des choses à l’avenir. Faire classe virtuelle, réelle, et mutuelle en même temps, c’est possible quand les outils numériques sont dans les mains de chacun. C’est certainement pour cela que l’enseignement hybride fonctionne. Il faut faire confiance à l’envie d’apprendre de nos jeunes et surtout leur donner les moyens d’y arriver.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut