Finalement c’est le 22 juin que la proposition de loi Rilhac sur les directeurs d’école sera étudiée par l’Assemblée nationale. Pour un texte déposé le 12 mai, c’est une accélération record. Soutenue par tout le groupe LREM, la proposition de loi bénéficie aussi de l’appui du ministre de l’Education nationale, par ailleurs engagé dans une concertation sociale sur le métier de directeur. Si le texte contient quelques avancées matérielles pour des directeurs d’école qui en ont bien besoin, s’il abandonne l’idée de confier les écoles aux principaux de collèges ou de créer un corps de directeurs d’école, la proposition de loi veut créer des emplois fonctionnels de directeurs d’école. C’est une autre façon d’installer une hiérarchie dans les écoles.
Troisième tentative
On croyait la question du statut des directeurs d’école enterrée après le double échec de l’amendement Rilhac à la loi Blanquer (celui sur les EPSF) et de la consultation lancée début 2020 par le ministère suite au suicide de C Renon. Cette consultation a conclu que les professeurs des écoles ne veulent pas de directeurs ayant un statut de supérieur hiérarchique. On croyait aussi qu’avec la crise sanitaire doublée d’une crise économique, il y avait plus urgent que faire une loi sur le statut des directeurs d’école.
Mais visiblement la majorité n’a pas digéré ce double échec. Le ministre non plus. Elle avance, avec la proposition Rilhac, un nouveau texte qui tente un compromis sur la forme sans rien lâcher au fond.
Des directeurs sur emplois fonctionnels
La proposition de loi Rilhac n’envisage plus de changer le statut des directeurs d’école. Ils resteraient des professeurs des écoles. Mais ils seraient nommés par les Dasen sur des emplois fonctionnels. Selon l’article 2 de la proposition de loi, « le directeur d’école maternelle, primaire et élémentaire dispose d’un emploi fonctionnel… Il est nommé par l’inspecteur d’académie, directeur des services départementaux de l’éducation nationale, sur une liste d’aptitude établie dans des conditions fixées par décret. Ne peuvent être inscrits sur cette liste d’aptitude que les enseignants ayant suivi une formation à la fonction de directeur d’école et justifiant de cinq années d’exercice dans des fonctions de professeur des écoles ou de directeur d’école ».
Les emplois fonctionnels sont des postes à responsabilités sur lesquels les personnels sont nommés pour une durée déterminée. C’est différent d’uen certification comme celle d’un PEMF.
Mais une sorte de supérieur hiérarchique
Si le directeur n’appartient pas à un corps de personnels de direction, la proposition de loi en fait une sorte de supérieur hiérarchique. Le directeur » entérine les décisions qui y sont prises (dans le conseil d’école) et les met en œuvre. Il organise les débats sur les principales questions de la vie scolaire. Il est délégataire de l’autorité académique pour le bon fonctionnement de l’école dont il a la direction », dit l’article 1 de la proposition de loi. Il s’inscrit bien dans une chaine hiérarchique. C’est cette logique d’une chaine allant du Dasen, qui nomme, au coeur de l’école que veut instaurer la proposition de loi.
Le texte veut installer un management similaire à celui du 2d degré dans les écoles. C’est la même idée qui existait dans l’amendement Rilhac des EPSF dans la loi Blanquer. Pour la majorité l’idée, héritée des pères fondateurs de l’Ecole, d’une gestion des écoles par les conseils d’école n’est pas fonctionnelle. Ils veulent un responsable hiérarchique dans l’école capable de trancher les débats et de faire descendre dans l’école les décisions du centre.
Des avantages matériels
En échange le texte apporte des avantages matériels. Les articles 5 et 6 allègent les tâches des directeurs en ne les obligeant pas à organiser les élections des représentants des parents d’élèves en cas de liste unique et de rédiger le PPMS. Il sera fait par des spécialistes de l’académie. La proposition de loi n’envisage pas de remettre les aides administratifs des écoles que le gouvernement a supprimé et qui sont demandés par la dernière consultation.
Surtout le texte, dans l’article 4, envisage de décharger totalement les directeurs d’écoles de 8 classes et plus. L’exposé de la loi (mais pas la loi) avance aussi l’idée d’une hausse de l’indemnité de direction qui passerait à 150€ brut par mois de 1 à 3 classes, 220€ de 4 à 9 classes, 270€ de 10 à 13 classes et 300€ à partir de 14 classes.
Accélération
Normalement ce texte aurait du arriver en débat tardivement. La surprise c’est que son étude est avancée au 17 juin en commission et au 22 juin en séance avec fin des travaux le 23 juin. Tout est fait pour que la loi soit promulguée pour la rentrée. C’est peut-être aussi cette accélération qui explique la publication par le Sénat d’un rapport sur les directions d’école qui semble assez proche de la proposition de loi et qui sera présenté le 9 juin.
Snuipp et Cgt hostiles au projet
L’échéance très proche de la loi alors qu’un groupe de travail se tient au ministère provoque les réactions syndicales. « Ce qui est sorti par la porte revient par la fenêtre », nous dit Francette Popineau, secrétaire générale du Snuipp Fsu, premier syndicat du 1er degré. « Au plein coeur du dialogue social s’invite une loi et donc elle devient l’objet dela discussion. Or personne n’a réclamé d’emploi fonctionnel, c’est à dire une mission ponctuelle qui, sous couvert d’autonomie, fabrique des petits chefs solides intermédiaires des inspections ». F Popineau regrette aussi le manque d’intérêt pour les écoles de moins de 8 classes qui sont les plus nombreuses. « Ce ministère n’apprend rien sur comment conduire une concertation et veut passer en force ».
La Cgt manifeste aussi son opposition. Elle dénonce « ce qui serait un grand pas vers un statut de direction » et la façon dont le texte est utilisé pour couper court au dialogue social sur les directions d’école. La CGT dénonce aussi le calendrier : « où est l’urgence pour qu’une telle discussion soit abordée alors que les personnels sont en pleine tempête et n’ont pas la disponibilité d’échanger sur le sujet ? » La Cgt y voit une « provocation ministérielle ». JM Blanquer n’avait pas digéré son échec lors du vote de la loi Blanquer. Il pense probablement à l’occasion de l’état d’urgence sanitaire pouvoir faire passer cette loi cet été.
François Jarraud
Analyse du texte par Snuipp 93
Le rapport au Sénat (dévoilé le 9 juin)