Organiser la reprise des cours tout en respectant le protocole sanitaire demande de la technique. Le faire en suivant les priorités du ministre et en les adaptant aux enseignants et locaux disponibles est un art. Mais à quelle qualité les chefs d’établissement doivent-ils faire appel quand le premier ministre et le ministre de l’Education nationale donnent des consignes opposées ? C’est ce qui découle des propos de l’un et de l’autre le 2 juin.
Faire revenir tous les élèves un peu ou…
A l’occasion du déconfinement des collèges de l’ex zone rouge et des lycées de la zone verte, Edouard Philippe et Jean Michel Blanquer se sont exprimés sur le retour des élèves le 2 juin. Edouard Philippe l’a fait à l’Assemblée nationale en réponse à la question d’un député de la majorité. Jean Michel Blanquer l’a fait dans une émission radio de grande audience sur RMC. Et visiblement les deux ministres devraient ajuster leurs violons.
« Tous les élèves ont vocation à revenir », dit JM Blanquer. « J’aimerais que ce soit le cas. Ce qui est difficile c’est d’avoir tous les élèves ensemble car le protocole nous oblige à avoir les élèves par roulement ». La limite de 15 élèves par salle et la nécessité de nettoyer les salles, multiplie les groupes d’élèves puis les salles de classe. En fait les établissements doivent ajuster le nombre d’élèves admis au nombre de salles nettoyables tout en sachant qu’il faudra 4 ou 6 salles pour une classe.
On comprend que dans ces conditions la seule façon d’augmenter le nombre d’élèves de retour dans l’établissement c’est de faire un roulement. C’est ce qu’ont entrepris par exemple les collèges. Alors que jusque là ils n’acceptaient que les 6èmes et les 5èmes, ils envisagent de prendre des 4èmes et 3èmes mais à la place des 6èmes et 5èmes.
« Les 4èmes et 3èmes de la zone orange vont pouvoir rentrer », dit JM Blanquer. « Il faut qu’ils rentrent dans un temps proche. On demande aux principaux de pouvoir accueillir les décrocheurs quand c’est possible. On doit faire revenir les enfants au maximum ».
En multipliant ainsi les groupes appelés à venir au collège ou au lycée, les chefs d’établissement prennent le risque de les convoquer rarement. Certains élèves ne vont plus aller au collège qu’une ou deux demi journées par semaine pour que d’autres puissent y être.
JM Blanquer n’hésite pas à aller jusqu’au retour une heure ou deux seulement. Dans les lycées de zone orange par exemple, le ministre dit que les élèves vont être convoqués pour des entretiens individuels avec leur professeur, un « bilan de compétences et des conseils pour l’orientation ».
Si la communication du ministre est respectée, l’intérêt pédagogique final pour l’élève risque d’être mince, surtout si cela se fait aux dépens de l’enseignement à distance.
Faire redémarrer l’économie ?
Edouard Philippe part d’un autre angle de vue. Il affiche maintenant clairement l’intérêt économique de la réouverture des écoles et établissements.
En réponse à un député, le 2 juin , il dit pourquoi le retour en classe est important. « De tous les défis laissés par la crise sanitaire, la bombe à retardement pédagogique n’est pas la moins dangereuse. L’absence de lien d’un grand nombre d’élèves avec l’école aura un cout humain, intellectuel et social. »
Mais E Philippe introduit une problématique nouvelle dans cette question du retour. « Il faut s’interroger sur le caractère pratique pour les parents. Proposer des demi journées à l’école ou même des journées c’est placer les parents et les employeurs dans des situations impossibles à gérer ».
Le premier ministre passe aux recommandations. « Il me parait qu’on peut prendre en compte cette nécessité qui est d’intérêt général pour faire en sorte que l’accueil des enfants réponde à cette logique ».
E Philippe ne cache pas que le retour à l’école répond aussi à une nécessité économique évidente mais dont son ministre évite de parler. On comprend bien que cette nécessité « d’intérêt général » est prioritaire dans son esprit. L’affirmer de la sorte c’est aussi reconnaitre que le ministère de l’éducation nationale n’est pas capable de répondre à cette nécessité.
Désobéissance obligatoire
Pour les deux ministres, il n’est pas question d’alléger le protocole sanitaire pour le moment. Tous deux espèrent pouvoir le faire en septembre « pour permettre le retour d’un plus grand nombre d’élèves ».
Là où ça devient délicat pour les chefs d’établissement et les directeurs d’école c’est que le premier ministre et le ministre de l’éducation nationale poursuivent deux objectifs différents. JM Blanquer a annoncé que les familles qui le souhaitent pourraient envoyer leur enfant à l’école. Il a promis de les accueillir même quelques jours seulement. Edouard Philippe veut que les salariés soient libérés de la garde d’enfants ce qui suppose que ceux ci soient à l’école en semaine. En l’absence d’allègement du protocole, directeurs d’école et chefs d’établissement doivent choisir entre convoquer peu d’élèves mais des semaines entières pour appliquer la consigne de l’un ou beaucoup d’élèves un jour ou deux pour respecter l’autre. Dans tous les cas il faut désobéir…
François Jarraud