Existe-il un paradis éducatif ? La Finlande a longtemps tenu cette place. Mais c’est le Canada que met en valeur un nouveau numéro de la revue Administration & Education. Chercher un modèle étranger c’est toujours une façon de dire quelque chose de son propre pays. La revue le fait par les angles choisis pour présenter le système éducatif canadien. Principalement la « gouvernance », c’est à dire la gestion du système. Et, en lien avec la gouvernance, l’évaluation, entendez le pilotage par les résultats. Ainsi se dessine un paradis du New Public Management susceptible de raffermir des projets franco-français. D’autant que la revue fait l’impasse sur les critiques internes portées sur les Ecoles canadiennes.
Le miroir canadien
C’est difficile de ne pas avoir de la sympathie pour les Canadiens. D’autant qu’on connait en France surtout les Québécois. Cette Nouvelle France nous est chère. Ses chanteurs sont populaires. Et nous-mêmes, au Café pédagogique, nous avons été séduits par des particularité du système éducatif québécois. Ainsi nous avons vanté l’enseignement des langues au Québec qui nous a paru d’autant plus judicieux que nous avons peut-être perdu un peu de vue la particularité de la place des langues dans le système éducatif du Québec et du Canada. La langue fonde en fait l’identité des systèmes éducatifs. Et plus globalement la confrontation anglais – français est centrale dans l’histoire du pays. Nous avons apprécié aussi la façon dont est prise en compte l’école inclusive. Ou encore l’éducation interculturelle, un axe éducatif dont on voit bien qu’il manque ici. Ou encore la façon dont le Conseil supérieur de l’éducation de Québec peut étudier l’Ecole en toute liberté et être respecté par le pouvoir politique.
Un modèle de gouvernance
Mais ce n’est pas tout cela que vous trouverez dans Administration & Education. Dans son éditorial, Michelle Sellier explique que ce numéro vise à « ne pas nous laisser enfermé dans nos certitudes ». C’est un bel objectif. Mais les choix éditoriaux faits par la revue nous donne à penser qu’au contraire le numéro affiche surtout des certitudes et des attentes françaises.
La revue a choisi de ne traiter que deux points (mais de façon approfondie) : la gouvernance des systèmes éducatifs canadiens et les modes d’évaluation. Cela nous vaut une série d’articles sur l’histoire (avec l’excellent Claude Lessard) et le fonctionnement des différents systèmes éducatif canadiens. Il y en a au moins un par province mais parfois plusieurs tenant compte des identités linguistiques.
La gouvernance c’est aussi la gestion des établissements. Ainsi une consultante parle du changement en éducation à travers l’exemple québécois en présentant une tactique en 6 étapes et 4 leviers qui doit faire rêver certains ici. Sont présentées aussi la tentative de créer des « communautés d’apprentissage professionnel » (CAP). Les auteurs, universitaires, soulignent que ce projet ne fonctionne pas bien. Sous l’étiquette de la CAP,les enseignants voient « une collégialité contrainte axée sur la conformité aux normes de performances. Les CAP tentent d’imposer des changements et même de nouvelles conduites chez les enseignants.
Un autre exemple de réforme sur la gouvernance a été les tentatives de créer des « ordres professionnels enseignants ». Ces ordres se sont heurtés à la résistance des syndicats qui y ont vu des instruments de mise au pas des enseignants. Aujourd’hui une province a gardé son ordre. Au Québec et en Colombie britannique ils ont disparu ou n’ont jamais réussi à s’implanter.
Le pilotage par les résultats
L’autre partie de la revue analyse l’évaluation au Canada. Car le pays a intégré les méthodes du New Public Management au point qu’il semble l’étendard du pilotage par les résultats. L’article sur la gouvernance par les résultats est confié à un professeur de gestion et un professeur de l’ENA québécoise. Autant dire que le dogme n’est pas mis en doute. Mais les auteurs constatent « qu’il n’y a pas eu d’évaluation formelle de ses impacts sur les résultats des élèves ». Mais il y aurait eu des résultats positifs « là où les commissions scolaires se sont fortement engagées dans la gouvernance par les résultats »… La GPR nécessite « de nouvelles attitudes , capacités et compétences de la part des gestionnaires et des enseignants », reconnaissent-ils. Cela suppose « une prise en charge vigoureuse par les dirigeants » et que ceux-ci « gardent l’initiative le temps qu’il faut ».
Questions canadiennes ou françaises ?
Voilà notre paradis qui se lézarde. Le Québec ne manque pas d’universitaires qui ont un regard plus critique sur les écoles canadiennes mais ils n’ont pas été invités à participer à ce numéro. Ils auraient pu rappeler que la Fédération (québécoise ) autonome de l’enseignement a pu démontrer que les notes des élèves sont gonflées pour atteindre les objectifs dans la moitié des établissements. Que le « Renouveau pédagogique » n’a pas amélioré l’Ecole mais qu’au contraire les résultats ont baissé et les inégalités augmenter. Ou encore, sous la plume de C Maroy, professeur à l’Université de Montréal, que les résultats du nouveau management public restent à démontrer. Présentant le Canada comme le paradis de la gestion démocratique car communautaire de l’Ecole, la revue oublie aussi de dire que la loi 40 au Québec vient de mettre un terme à l’élection des commissions scolaires et que le système québécois entre pour la première fois sur le chemin du centralisme.
Alors qu’en France s’installe une nouvelle école, davantage confiée aux collectivités locales et totalement émiettée par la crise sanitaire, alors que J M Blanquer veut installer un « nouveau métier enseignant » après avoir mis en place des systèmes d’évaluation des résultats des élèves qui vont permettre d’évaluer les enseignants, on voit bien que les questions de la gouvernance et de l’évaluation ne sont pas que canadiennes. La revue a tenté de valoriser un « modèle » proche des objectifs du ministre. C’est peut-être pourquoi elle a oublié d’accueillir des sociologues de l’éducation qui auraient eu un regard qui manque.
François Jarraud
Administration & Education, n°165, Spécial Canada
Sur l’enseignement des langues
C Maroy sur le New Public Management