Quel bilan au bout d’une semaine de reprise ? Laaldja Mahamdi est directrice de l’école élémentaire Simon Bolivar dans le 19ème arrondissement Parisien. Patricia Lartot est quant à elle directrice de l’école (Rep+) Jules Verne à Mantes-la-Jolie. Toutes deux font un premier bilan. L’école de Laaldja, même si elle n’est pas classée éducation prioritaire accueille un public assez mixte, allant de familles CSP+ à d’autres vivant en foyer d’urgence. Le confinement, dans son école, a donc été vécu très différemment par les élèves. Dans l’école de Patricia, le public est plus homogène. L’école située en plein centre de l’immense quartier du Val Fourré, la plus grande ZEP de France, accueille des élèves vivant bien souvent dans des conditions précaires. Ses élèves sont ceux que le Président et le Ministre de l’éducation visaient lorsqu’ils ont décidé de rouvrir les écoles, ou tout du moins disaient vouloir viser.
A Simon Bolivar, ce sont 37 élèves sur les 280 que compte habituellement l’école qui sont de retour à l’école. À Jules Verne, ce sont 48 sur les 210 habituels. « Seulement 16% des CP et CE1 sont de retour », explique Patricia. Un absentéisme qui ne s’arrête pas à son école. « Sur les 10 écoles que compte le Val Fourré, seulement 180 élèves sont retournés en classe, c’est significatif de l’absentéisme autorisé ». Ses 48 élèves sont accueillis quotidiennement, avec un roulement de la présence des enseignants afin que chacun puisse continuer à assurer l’enseignement en distanciel pour la grande majorité des enfants restés chez eux. Tout comme dans l’école de Laaldja.
Des enfants contents d’être à l’école
Du côté du moral des élèves, pour les directrices, ils vont plutôt bien. « Malgré toutes les mesures imposées, ils sont contents d’être là. C’est un semblant de vie normal pour eux » explique Patricia. Pour Laadja, « dans l’ensemble les enfants qui sont revenus semblent aller plutôt bien mais nous avons déjà des inquiétudes concernant le comportement de certains. Je pense à un enfant en particulier qui ne communique pas du tout avec les autres enfants, qui reste seul, bien isolé des autres. C’est un peu un dilemme pour nous car nous demandons aux enfants de garder leurs distances les uns par rapport aux autres et nous nous inquiétons d’une distanciation qui nous semble excessive. Nous sommes inquiets aussi pour ceux qui ne sont pas encore de retour et qui vivent des conditions de confinement très difficiles ». Des inquiétudes partagées par Patricia et ses collègues. « Alors que le gouvernement disait vouloir faire revenir les élèves les plus éloignés de l’école, c’est précisément ceux-là qui ne reviennent pas ». Selon elle, c’est la conséquence de la gestion de la crise au niveau national, qui relève de l’improvisation. « Avec cette histoire de volontariat des familles, on envoie un signal fort comme quoi le problème sanitaire est grave mais en même temps on dit qu’il faut retourner à l’école. Alors la peur prédomine sur la confiance. D’ailleurs chez nous, certains parents qui sont prioritaires pour l’accueil de leur enfant ne les renvoient pas en classe ».
Des enseignants inquiets
Du côté enseignants, les directrices ont aussi la lourde tâche de rassurer. Et ce n’est pas simple. Des questions, ils en ont plein, mais malgré toutes les réunions qu’elles ont, elles n’ont pas plus d’éléments à leur communiquer. « Comment concilier le protocole sanitaire avec un accueil de tous les élèves ou d’une partie ? Quelle serait l’organisation la plus efficiente pour tous les élèves ? Comment organiser un enseignement à mi-temps pour les élèves ? Comment vont se débrouiller les parents ? Et puis que ferons nous en cas de COVID dans l’école ? C’est un peu la question de comment faire entrer un rond dans un carré ! Donc ce sont des collègues inquiets pour leurs élèves que je retrouve. Inquiets et un peu perdus. Car le peu de cadrage sur la reprise laisse autant de possibilités d’organisation que d’école ou même d’enseignants » explique Laaldja.
Malgré le plaisir de se retrouver, Patricia note aussi que ce « faux rythme » est pesant pour les collègues. « En présentiel, ils prennent des groupes de besoins, de différents niveaux mais ils doivent continuer avec tous ceux, l’immense majorité, qui sont restés chez eux. On a la sensation d’être dans du saupoudrage. On est obligé de se cantonner aux fondamentaux. Bref, l’année scolaire s’est arrêtée le 13 mars… ».
Dans l’équipe de Laaldja, les enseignants ont aussi constaté les limites de l’enseignement à distance. « On a des classes virtuelles où des parents derrière l’ordinateur soufflent les réponses en pensant ne pas être entendus, des enfants qui se lèvent et partent en pleine classe virtuelle, des enfants qui pleurent, des enfants qui mangent… Qui profite vraiment de ces temps de classes virtuelles ? A qui profite vraiment l’enseignement à distance ? Pas nos élèves les plus en difficulté, c’est sûr ».
Davantage d’élèves dès juin
Lors de sa dernière réunion de directeurs, on a demandé à Laaldja d’élargir l’accueil en mettant la priorité sur les CP, CM2 et élèves en difficulté pour le 2 juin, soit environ 120 élèves. Un challenge ambitieux, lorsque l’on sait que seuls 10 enseignants sur les 12 sont en situation de reprendre, mais aussi lorsqu’on connaît les locaux. « C’est un vrai casse-tête, il faut réussir à faire au mieux en combinant présences des enseignants, volontariat des parents mais aussi avec le périscolaire. On a sept animateurs et ils ne doivent prendre que 8 élèves par groupe. Quid du nettoyage aussi, on a deux agents, sur les quatre habituels. Comment appliquer les nettoyages prévus au protocole ? ». Pourtant, ses collègues et elle savent que certains élèves doivent revenir à l’école, qu’ils en ont besoin. « Notre but est le retour à l’école des élèves en grande difficulté scolaire et en précarité sociale que nous n’accueillons pas encore ». En attendant, ils maintiennent le lien par le biais du téléphone ou des classes virtuelles.
Une situation loin d’être satisfaisante
Pour Patricia, même si le retour à l’école est nécessaire, la situation actuelle est loin d’être satisfaisante, et elle veut le faire savoir. « Le ministre a beaucoup communiqué sur la réouverture des écoles, via la presse et les média, sans jamais interroger les enseignants. Le protocole sanitaire impose toute une série de mesures excessives qui non seulement sont parfois impossibles à suivre mais surtout contre productives. Nous recevons beaucoup d’informations contradictoires, tantôt rassurants, tantôt anxiogènes. Dans un temps restreint, on nous a imposé une reprise conditionnée au strict respect d’un protocole sanitaire drastique pour un résultat qui montre bien que ce retour prématuré, dans la précipitation n’a pas eu l’effet attendu. Nous subissons beaucoup de pressions. Il aurait mieux valu que nous puissions sereinement nous réunir pour avoir une véritable réflexion collective sur la rentrée de septembre qui n’échappera pas à la prise en compte de cette pandémie qui ne sera pas encore réglée… Nous retiendrons cependant le mépris affiché pour notre travail et le manque total de prise ne compte du professionnalisme des acteurs de terrain ».
Les enseignants font au mieux, comme toujours. Ils s’organisent dans toute cette désorganisation. La situation crée des tensions dans les équipes, Laaldja et Patricia le reconnaissent, mais les enseignants restent des professionnels qui ont envie d’accueillir leurs élèves mais dans des conditions sanitaires maximales. Aujourd’hui, les relations avec les familles restent sereines, pourtant quand chacun devra retourner travailler, les directeurs auront aussi la lourde tâche d’expliquer comment ils organisent cette « nouvelle école » et comment ils priorisent l’accueil de certains élèves par rapport à d’autres.
Lilia Ben Hamouda