En ces temps d’enseignement distanciel et/ou hybride, comment mieux structurer les connaissances, les activités, les apprentissages ? Des réalisations diverses de professeur.es de lettres, réalisées par exemple avec Genial.ly, ouvrent des pistes : plans de semaine de travail par Claire Tastet au lycée Vaucanson à Tours, étude de L’Odyssée par Christelle Lacroix au collège La Malassise à Longuenesse, écriture au long cours par Laïla Methnani au collège Jean Lachenal à Faverges, séquences sur Ulysse ou les dessins de presse par Marie L’Arvor au collège Jean Mermoz à Angers, approches de mises en scène de L’Ecole des Femmes ou de mythes antiques par Claire Berest au lycée de l’Iroise à Brest… Les intérêts sont nombreux : centraliser, organiser, planifier le travail à réaliser, valoriser le projet par une présentation soignée et multimédia, favoriser une démarche d’exploration et d’interaction, expliciter les consignes et clarifier les procédures, mutualiser les productions. Eclairages …
Claire Tastet : Des plans de travail hebdomadaires
Pourquoi avoir conçu un tel dispositif ?
S’il ne fait aucun doute que le numérique simplifie grandement la continuité pédagogique, force est de constater qu’il amène aussi son lot de difficultés et un questionnement nécessaire chez l’enseignant. En effet, face à des ruptures d’équité en termes d’accès au numérique (matériel et connexion), face à la multiplication des interfaces à laquelle l’élève se trouve confronté, il m’a semblé utile de réfléchir aux stratégies d’autonomisation de l’élève. Pendant ces semaines de distanciation scolaire, je me suis demandé comment transmettre des contenus bien entendu mais aussi et surtout comment faciliter cette transmission en balisant le chemin des apprentissages pour la classe de français.
C’est en tâtonnant et grâce aux observations de mes élèves (de seconde, essentiellement) que j’ai finalement pu établir un protocole (encore en perpétuelle évolution). A l’issue de la première semaine de classe à la maison, voici les observations que j’ai pu recueillir : le travail arrive au compte-goutte en suivant l’emploi du temps habituel (via Pronote), il faut se connecter plusieurs fois par jour, les fiches de travail à lire découragent parfois quand elles sont longues, les vidéos mettent du temps à se charger, il est parfois difficile d’accéder au cours en ligne ou de s’y repérer, on a du mal à organiser notre semaine.
Contrairement à une idée reçue, l’accès au numérique peut fragiliser des élèves n’ayant pas développé ces compétences et certains élèves se trouvent démunis face à une arborescence qu’ils jugent complexe ou face à des interfaces qui ne cessent de changer en fonction des professeurs, ne permettant pas l’installation d’une routine nécessaire à l’apprentissage.
Comment structurez-vous le travail à distance des élèves ?
Pour remédier à ces difficultés, la stratégie suivante s’est installée progressivement :
– Un plan de travail est proposé chaque lundi.
– Il donne la charge de travail et évalue le temps nécessaire à celle-ci (matérialisé par le sablier)
– Il propose une organisation du travail sur la semaine (matérialisée sous forme d’étapes numérotées)
– Il prévoit les échéances et permet de réserver des créneaux numériques courts en cas de matériel partagé (une de mes élèves partage l’ordinateur familial avec les 4 autres membres de sa famille dont une mère en télétravail ; elle récupère les documents sur son téléphone)
– En cas de problème de connexion, il permet de récupérer le travail rapidement en un clic (fiche hébergée sur le cloud du lycée)
– Enfin ce travail en autonomie permet de préparer l’heure de classe virtuelle qui permet d’échanger sur le travail réalisé. Un compte-rendu de cette heure est envoyé aux élèves ne pouvant rejoindre la classe virtuelle.
Quel bilan en tirez-vous après quelques semaines de « continuité pédagogique » ?
Je peux désormais dresser le bilan de ces plans de travail après 4 semaines d’utilisation. L’autonomie des élèves s’en est trouvée incontestablement renforcée. Plusieurs critères me permettent de l’affirmer :
– leurs témoignages tout d’abord : la plupart se disent satisfaits et ne proposent plus d’aménagement à cette organisation.
– ils viennent en classe virtuelle avec des questions précises et la participation s’en trouvent accrue. Les classes virtuelles sont plus interactives, le nombre d’élèves à prendre la parole a augmenté.
– les travaux retournés sont beaucoup plus nombreux.
Les élèves pouvant accéder au document Genially semblent plus à l’aise dans la planification que ceux qui téléchargent uniquement la totalité de la fiche (faute d’une connexion nécessaire).
Un bémol, le parcours est vécu, je ne sais pas pourquoi, comme un parcours personnalisé, individualisé. Du coup, les élèves attendent un retour systématique sur les travaux envoyés et rechignent à utiliser le forum de la classe au profit de mails personnels malgré mes recommandations réitérées. »
Claire Tastet dans Le Café pédagogique
Christelle Lacroix : Etudier à distance L’Odyssée d’Homère
Dans quel contexte avez-vous conçu ce travail sur L’Odyssée ?
« L’Odyssée est une œuvre complexe, mais qui touche sensiblement l’imaginaire des sixièmes. Après avoir étudié les origines de la guerre de Troie et défini l’épopée antique, je souhaitais présenter « l’espace, le temps et les personnages » dans l’œuvre avant d’aborder les textes.
Pouvez-vous nous présenter le support du travail donné aux élèves ?
Pour faire travailler les élèves, je cherchais un support qui leur permette de découvrir les notions, tout en étant actifs, avec une vision globale du sujet. J’ai donc donné un pdf aux élèves (qui disposent tous d’une tablette personnelle) avec les consignes de travail et un lien inséré vers le Genially interactif.
J’ai divisé la page « menu » en 3 onglets, l’un permettant d’accéder à l’espace, l’autre au temps et le troisième aux personnages, et donc de travailler en trois étapes.
A chaque notion, l’utilisation d’images pour transmettre les notions (une carte du périple d’Ulysse, une frise chronologique, des visuels représentant les personnages que j’ai récupérés du Twittconte sur le cyclope écrit une année antérieure) sont utilisées comme support d’apprentissage.
A cela j’ai intégré pour chaque notion, une vidéo (réalisée avec Exlain EDU) explicative et une activité interactive à réaliser directement sur le genially en déplaçant les étiquettes pour reformuler l’explication entendue en vidéo.
Avec quelles consignes ?
Voici quelques exemples de consignes données aux élèves pour étaler le travail. Consigne du Lundi 4 mai : « Après avoir lu le texte ci-dessus, rendez-vous page d’accueil du genially, cliquez sur « le temps », écoutez la video, faites l’activité, auto-corrigez-vous et faites une capture d’écran que vous insérez ici ». Consigne du mercredi 6 mai : « Rendez-vous page d’accueil du genially, cliquez sur « le temps », écoutez la video, faites l’activité, auto-corrigezvous et faites une capture d’écran que vous insérez ici ». Consigne du jeudi 7 mai : « Rendez-vous page d’accueil du genially, cliquez sur « les personnages », écoutez la vidéo, faites les 3 activités, auto-corrigez-vous et faites trois captures d’écran que vous insérez page suivante. Indiquez ici le nom de chaque personnage sous leur étiquette. »
L’activité terminée, l’élève s’autocorrige avec le bouton « correction », fait sa capture d’écran et l’insère dans son pdf personnel qu’il me restitue pour que je puisse suivre son travail.
Quel bilan tirez-vous du dispositif ?
A l’évaluation de compréhension qui a suivi, je me suis aperçue que les notions étaient parfaitement comprises : le cadre étant posé, nous pouvions entrer dans le détail des textes. L’intérêt de pouvoir intégrer du texte, du visuel, de l’audio, de la manipulation des notions dans le même support, est, je trouve particulièrement intéressant dans la mesure où toutes les intelligences sont mobilisées et facilitent l’apprentissage. »
Christelle Lacroix dans Le Café pédagogique
Laïla Methnani : Odyssée d’une écriture collective au long cours
Dans quel contexte s’inscrit ce travail d’écriture ?
Le projet « Télémaque sur les traces d’Ulysse » en 6ème s’inscrit dans une séquence sur « Ulysse et l’Odyssée ». Les élèves ont lu la réécriture du mythe de Martine Laffont au préalable.
Pourquoi scénariser ce travail ?
La scénarisation du travail à distance est réfléchie pour créer le « besoin du travail coopératif » chez les élèves et répondre aux difficultés des élèves en termes d’engagement et de motivation.
Quel contenu proposez-vous aux élèves ?
Chaque séance propose des consignes explicites, une progression pour l’élève dans la séance et des supports vidéos qui ont pour vocation de tutorer l’élève, de lui apporter des éléments de culture littéraire, de susciter son intérêt et sa curiosité. La séquence intègre un escape game réalisé par Manon Fouques, une roue de la lecture pour faire vivre un cercle de lecture en classe virtuelle.
Pourquoi un tel travail d’écriture ?
Le travail d’écriture vient questionner l’élève et le fait travailler sur la problématique de la séquence : « Dans quelle mesure Ulysse est-il un héros épique : des routes et des déroutes ? » L’élève est invité à se mettre dans la peau du narrateur Télémaque âgé de 11-12 ans : Télémaque doit tout faire pour retrouver Ulysse son père car les prétendants se pressent pour obtenir la main de Pénélope. Héros valeureux, homérique, Télémaque se lance sur la mer. A chaque chapitre, plusieurs chemins s’ouvrent à lui : lequel choisir ? Qui croire ?
La réécriture du mythe d’Ulysse vu par Télémaque permet aux élèves de réinvestir une lecture personnelle du mythe, de la partager et la confronter avec trois camarades de leurs choix. Le travail d’écriture se déroule sur un éditeur de textes collaboratifs, CRYPTPAD qui permet des copier-coller dans l’historique du brouillon ; très utile donc en cas d’erreurs de manipulation. Les notions de langue travaillées dans la séquence « Ulysse et l’Odyssée » sont réinvesties dans la production écrite : la phrase complexe, les expansions du nom, les comparaisons et métaphores.
Comment les élèves se sont-ils approprié le projet ?
Le récit écrit dans la lignée du livre « dont vous êtes le héros » a très vite rencontré l’adhésion des élèves. En classe virtuelle, ils ont échangé, réfléchi au chapitre qu’ils voulaient réécrire, constitué leur groupe. Du temps leur a été donné pour s’inscrire en ligne sur un document commun et lire les trois premiers chapitres du livre. La classe poursuit un travail entamé avec une autre classe de 6ème l’an dernier, ce qui joue aussi favorablement sur la motivation et l’engouement de chacun.
Comment les élèves mènent-ils le travail d’écriture ?
A l’issue d’un week end, chaque groupe a reçu via le fil de discussion de la classe le lien « CRYPTPAD » de son chapitre. Le travail se déroule ces jours-ci. J’interviens régulièrement dans leurs écrits : les élèves savent via notre fil de discussion quand je regarde leurs productions. Mes remarques et propositions permettent le travail du brouillon en jets d’écriture. Surtout, je peux adapter le suivi du brouillon en fonction du besoin des élèves. Je fixe des dates et des objectifs aux élèves pour que ce projet puisse s’adapter à la réalité : des élèves à distance, des élèves en classe qui sont pris dans un projet commun.
Le dispositif essaie de dépasser ce frein alors qu’en classe, les places sont fixes et que je n’ai pas le droit de permettre l’usage de la tablette. Mes élèves peuvent se tourner et travailler le brouillon à l’oral. Quand ils sont d’accord, ils écrivent chacun la phrase sur leur brouillon papier personnel. Les groupes en classe se font par proximité et pas par affinité. Une classe virtuelle hebdomadaire reste proposée à l’ensemble de la classe pour réguler : travailler des difficultés communes et partager des idées, des envies pour notre vaillant Télémaque.
Quel bilan provisoire ?
L’envie de partager « les routes et les déroutes » de Télémaque, dans une année extraordinaire, avec des élèves, qui comme Télémaque, se lancent avec entrain dans l’écriture nourrit : tout est mis en œuvre pour que notre livre voit le jour dans les semaines à venir. »
Laïla Methnani dans Le Café pédagogique
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Des exemples variés de productions enseignantes avec Genially