Comment quitter le navire ? « A la rentrée 2017 près de 707 800 enseignants sont en poste au sein de l’Education nationale. La très grande majorité d’entre eux (96.1%) y sont toujours à la rentrée suivante », note la Depp dans une nouvelle Note. Autant dire que 4% des enseignants (27 300) ont trouvé une porte de sortie en une année, essentiellement la retraite (pour 13500 d’entre eux). 1417 ont démissionné de l’Education nationale, une proportion en forte hausse.
Hausse des postes non-enseignants
C’est sur cette mobilité enseignante que la note 20.16 de la Depp apporte un éclairage précieux. Elle détaille les 27 300 cas d’enseignants qui quittent la salle de classe entre la rentrée 2017 et celle de 2018. 6000 prennent un congé . 5000 bénéficient d’une sortie temporaire par détachement ou disponibilité. Et 16 000 d’une sortie définitive dont 1417 démissions. Il faut y ajouter les changements de corps pour 17 742 enseignants.
Plus de 3000 enseignants se sont tournés vers une activité non enseignante au sein de l’Education nationale en 2018. A noter que ces postes augmentent passant de 16 à 18 000 de 2017 à 2018. Des professeurs des écoles se tournent vers une mission d’animation pédagogique ou de direction avec décharge totale. Des enseignants du second degré prennent une direction d’établissement ou des fonctions administratives. Ces mouvements concernent principalement des enseignants expérimentés. Un nombre équivalent (3600) prennent une disponibilité. C’est le cas par exemple d’agrégés qui vont enseigner dans le supérieur.
Triplement des démissions en 4 ans
Enfin il y a les démissions. La Depp signale leur forte hausse. On est passé de 399 démissions en 2012-2013 à 1002 en 2015-2016 et maintenant 1417 en 2017-2018. Ces démissions touchent davantage les professeurs des écoles que les certifiés et la tendance à la hausse est plus forte chez les PE. « Les démissions sont beaucoup plus fréquentes chez les enseignants stagiaires », souligne la Depp. Ce sont 3% des stagiaires qui démissionnent contre 0.3% des titulaires ayant moins de 5 ans d’ancienneté et 0.1% pour ceux ayant plus de 5 ans. Avec les mises en disponibilité ce sont 6% des stagiaires de 2017 qui ne sont pas en poste à la rentrée 2018.
Un effet de la formation des enseignants ?
« Ce constat peut s’inscrire dans un phénomène plus global de mobilité professionnelle plus forte chez les jeunes travailleurs que chez les plus anciens », note la Depp. « Au sein de l’Éducation nationale, si le taux de démission reste plus élevé chez les enseignants stagiaires de 18-29 ans, il augmente également chez les stagiaires de 30 à 49 ans. La hausse des démissions serait donc surtout liée à l’entrée dans la profession. La réforme de la mastérisation et la création des ESPÉ en 2013 a pu avoir un impact. La seconde année de master est chargée pour les stagiaires qui doivent à la fois suivre la formation à l’ESPÉ et assumer une classe en responsabilité, tout en rédigeant leur mémoire de master ».
Une hausse à relativiser
Le Café pédagogique avait signalé la hausse de ces démissions dès 2016 après la publication d’un rapport sur sénateur Carle. Et nous leur avons donné la parole. Ainsi G Perret, expliquait » J’ai eu des classes difficiles à tenir, des parents d’élèves peu coopératifs, situation très déstabilisante psychologiquement. Certains se permettaient de venir faire la discipline dans les classes de mes collègues, d’autres voulaient interférer sur la pédagogie en indiquant à notre place comment enseigner les programmes aux élèves, etc. Je n’avais pas de soutien des parents pour mener des projets avec les élèves, peu de soutien de la part de la hiérarchie », en 2012. C Malaussena évoque ainsi ses dernières années d’enseignante dans le 1er degré : » Les dernières années, au niveau du primaire, vu toutes les réformes auxquelles on a été soumis sans qu’on en comprenne toujours le sens, vu le poids de plus en plus lourd qui a commencé à se faire sentir sur le plan purement administratif, j’ai commencé à ressentir la perte de sens dans mon travail, comme si le système m’obligeait à brider ma créativité et m’imposait de plus en plus de contraintes ».
Mais les taux français de démission restent bien en dessous de ceux qui existent dans le monde anglo-saxon, par exemple au Royaume-Uni. Une étude de la National Foundation for Educational Research (NFER) en 2016 montrait que 8% des enseignants y avaient démissionné en 2015 contre 6% en 2011. Remis à l’échelle de la France cela représenterait près de 68 000 enseignants chaque année !
Comment expliquer la hausse des démissions ?
L’étude anglaise est aussi éclairante par les motifs qu’elle donne à ces départs. Les professeurs s’en vont parce qu’ils ont trop de travail et, entre autre à cause de réformes jugées trop fréquentes. Ils partent aussi car ils ont trop de pression hiérarchique ou parce qu’ils sentent que leur métier se dévalorise. Ces raisons semblent un peu universelles car liées au nouveau management public qui s’installe dans tous les pays développés. Dans tous ces pays on attend davantage de diplomes et de controle des enseignants sans offrir en retour un salaire ou des conditions de travail satisfaisants.
Il faut donc se demander pourquoi les taux de départ ne sont pas aussi forts en France. Il y a à cela des raisons administratives. Le nombre de démissions dépend d’abord des autorisations de l’administration. Or, jusque là, elle préfère garder les enseignants. Ainsi le décret de 2014 qui a restreint l’accès à l’indemnité de départ volontaire à partir de 2014, a surement freiné la hausse du nombre de démissions.
Mais le principal frein reste le statut de fonctionnaire, statut qui n’existe pas pour les enseignants outre-Manche. Le statut protège de la montée du nouveau management public. En ce sens la montée des contractuels et la remise en cause du statut, avec les réformes incessantes et leurs injonctions, pourraient expliquer aussi la montée plus forte des démissions. Il sera intéressant de suivre l’impact de la loi de transformation de la fonction publique qui a introduit la rupture conventionnelle du contrat de travail.
F Jarraud