Drôle d’école. Le 12 mai, c’est le grand test. Après deux mois d’enseignement à distance, des professeurs des écoles ont accueilli des élèves dans leur classe. Une journée pas comme les autres dans des écoles totalement réorganisées en fonction du protocole sanitaire. Des professeurs pas comme d’habitude, entre plaisir, envie de bien faire et multiples contraintes.
Moins d’enfants que prévu en Rep
Arrivée à 7h45 à l’école, Nathalie Lagouge, directrice de l’école de l’école élémentaire Rep Romain Rolland d’Evreux est fin prête. À 8h30, elle est à la porte pour accueillir le premier groupe d’élèves. L’accueil s’échelonnera jusqu’à 8H50. Les enfants sont heureux de retourner à l’école, les parents aussi, même si certains sont encore inquiets. « Ça a été un peu la douche froide pour les pauvres gamins. Ils commençaient à s’élancer dans la cour pour aller jouer avec leurs copains. J’ai tout de suite dû les arrêter et leur demander d’aller faire la queue pour se laver les mains ».
Très rapidement pourtant, ils prennent le pli et jouent le jeu. Nathalie est un peu déçue, sur les 40 enfants attendus, seulement 27 sont là. Le nombre limité d’élèves l’inquiète. « Nous sommes une des écoles qui a le plus petit pourcentage de familles volontaires pour un retour à l’école, alors que nos élèves sont ceux qui ont le plus besoin d’école puisque nous sommes en éducation prioritaire. Dans les quartiers plus favorisés, il y a beaucoup plus de fréquentation. Ici, ils semblent plus inquiets qu’ailleurs. Plus les familles sont précaires, plus elles ont peur ».
Cette journée, Nathalie l’aura passée tendue, toujours aux aguets. Elle vérifie fréquemment que les élèves ne se rapprochent pas trop, qu’ils se lavent les mains… « C’est épuisant, stressant et déprimant. Ce n’est absolument pas l’école comme on la connaît. Nous sommes tous tendus. Alors quand je me dis qu’au mieux ce sera jusqu’en juin et au pire, en septembre… ça m’effraie et ça me plombe le moral ».
Pourtant, Nathalie a ri, beaucoup, aujourd’hui. « Y a un petit CP qui est arrivé avec un masque de chantier, on voyait à peine ses yeux… La maîtresse a réussi à le convaincre de le retirer en classe, mais dès qu’il est retourné dans la cour, il l’a remis. Et je le voyais courir, le faire tomber et le ramasser pour le remettre sur le nez… Je n’ai pas pu m’empêcher de rire ».
Des enfants soulagés de retourner en classe
Floriane Derue est enseignante de CM1/CM2 dans l’école de Nathalie. Cette rentrée, elle l’a préparée avec ses collègues. Alors ce matin, quand les grilles de l’école se sont ouvertes et que les élèves ont pénétré dans l’enceinte de l’établissement, elle s’est sentie soulagée. Avec l’impression que c’est le début de la fin, que ces longues semaines de confinement sont derrière nous. Comme pour une grande majorité des enseignants, Floriane ne retrouve pas tous ses élèves, ses collègues et elle ayant fait le choix de brasser les classes pour faire des groupes de niveau. « J’ai un groupe de dix enfants, des CM2. Ils sont tous contents d’être rentrés et pour certains d’entre eux, cela faisait deux mois qu’ils n’étaient pas sortis de chez eux. Alors là ils se défoulent ».
La matinée est loin de ressembler à une matinée de classe ordinaire. Arrivés dans la cour, les élèves sont rassemblés, une file de fille, une file de garçon afin que tous passent se laver les mains aux sanitaires qui ne peuvent accueillir que deux personnes. Les marquages au sol effectués la veille par les enseignants et les enseignantes ont prouvé leur efficacité. Ensuite, il faut monter en classe, en file indienne et entrer dans la salle de classe. Là aussi, c’est tout un aménagement. Les élèves qui sont installés aux tables du fond de la classe sont entrés les premiers. Pour sortir, c’est l’inverse. «Ce n’était pas vraiment simple, alors j’ai attribué des numéros aux élèves afin que chacun sache où se positionner ». La matinée a été consacrée à une sensibilisation aux gestes barrières, mais aussi à permettre aux élèves de libérer leur parole, de discuter de la façon dont ils ont vécu ces dernières semaines. « La majorité d’entre eux était soulagée de revenir à l’école. Ils avaient envie d’autre chose que l’appartement et la famille mais surtout ils avaient envie de travailler ».
En maternelle, comment ne pas toucher les enfants ?
Katia Philippe est enseignante et directrice d’une école maternelle de trois classes à Puget-Théniers (06). Un tiers des familles a pris la décision de remettre les enfants à l’école. Sur les trois enseignantes que compte l’école, deux assurent l’enseignement en présentiel, la troisième en distanciel. « Comme nous avions beaucoup d’enfants, dont une majorité de PS, on a mis en place un emploi du temps, lundi et mardi pour les PS/GS et PS/MS moyens les jeudis et vendredis ».
L’accueil des enfants a été préparée avec la communauté de commune et la mairie qui ont géré toute la partie matérielle du protocole. Mardi, ce sont 16 enfants sur les 82 que compte l’école qui ont découvert ébahis et surpris leur « nouvelle » école : marquages au sol, salle de classe à la décoration épurée avec très peu de tables. « Mais petit à petit, au fil de la journée, ils ont pris leur marque ».
L’après-midi, pendant que les petits sont à la sieste, Katia en profite pour discuter avec les « grands » de ce qu’ils ont ressenti pendant le confinement. « L’une des élèves eux m’a dit qu’au début cela avait été dur, mais que sa maman lui avait expliqué qu’il y avait un méchant microbe. Elle m’a dit que je lui avais manqué aussi, qu’elle avait eu envie de me voir. Je lui ai répondu que maintenant, elle pouvait. Elle a opiné et m’a dit : je peux voir tes yeux et ton corps, pas vraiment toi… ». Car ce qui manque le plus à Katia, c’est le manque de contact. Et cela manque aussi aux élèves. « Une grande ne semble pas avoir le moral, et dès que je l’ai touchée, en mettant juste ma main sur son bras, elle a mis sa main sur la mienne et a souri… ça l’a tout de suite apaisée ». Katia est heureuse d’être revenue à l’école mais a reconnu avoir lacé des chaussures, reboutonné des pantalons et aidé certains à bien positionner leur crayons…
Comme toujours, à l’école « the show must go on » en se lavant plus souvent les mains, c’est sûr mais les enfants sont au rendez-vous. Les enseignants aussi. Tous sont heureux de se retrouver même si les conditions de ce retour sont loin de ressembler à ce que l’on appelait jusqu’à présent « l’école ».
Lilia Ben Hamouda