Organiser la reprise de l’école dans les petites communes est un vrai casse-tête. Comment faire avec le transport scolaire, indispensable dans les campagnes, avec la cantine souvent dans un autre village, où trouver le personnel supplémentaire nécessaire pour nettoyer les locaux, etc. Certaines écoles réouvriront le 11 mais d’autres ont reporté au 18, voire au 25. Et d’autres resteront fermées, les maires estimant ne pas avoir les moyens de respecter les exigences sanitaires. Dans les villages de Thauvenay, de Ménétréol-sous-Sancerre et de Saint Bouize, dans le Cher, dont les écoles sont regroupées dans un RPI (regroupement pédagogique intercommunal), les enseignants et les maires ont travaillé d’arrache-pied pour arriver à une organisation qui se tienne. La rentrée se fera le 18 mai dans les 3 écoles mais elle sera coûteuse pour les communes et angoissante pour les enseignants et les familles.
Thauvenay, Ménétréol-sous-Sancerre et Saint Bouize sont de charmants villages du Sancerrois, au pied des vignes de Sancerre, avec chacun un peu moins de 400 habitants. Au sein du RPI, chaque commune a son école avec une classe à trois niveaux, accueillant les élèves des trois villages. Saint Bouize abrite les maternelles, Ménétréol-sous-Sancerre les élèves du CP au CE1 et Thauvenay, les « grands » du CE2 au CM2.
C’est lors d’une réunion le 4 mai que les enseignants et les élus sont tombés d’accord sur les conditions de la reprise. Impossible de réouvrir le 11 mai car les deux parties ne seront pas prêtes. « L’accord a été facile. Dans nos villages, nous nous connaissons et les maires sont à l’écoute », explique Alain Senée, directeur de l’école de Thauvenay et élu du SNUipp, le principal syndicat du primaire. Les édiles étaient venus en nombre : 5 au total. Dans 2 communes, le maire sortant a été défait aux municipales mais la nouvelle équipe n’a pu se mettre en place en raison du confinement. Le sortant et le gagnant étaient donc présents, collaborant pour la bonne cause.
Trouver le personnel municipal
D’ici le 18 mai, les maires vont consulter les parents pour connaître au plus près leurs besoins : avec des effectifs réduits, faudra-t-il assurer une garderie le matin et le soir ? Dans la nouvelle organisation, chaque village devra en effet assurer sa garderie alors que jusqu’ici, elle était commune – le matin à Saint Bouize, le soir à Ménétréol.
Il faudra aussi trouver et rapidement former le personnel municipal qui prêtera main forte, si besoin, pour la garderie, pour le trajet à la cantine et pour la surveillance aux abords de l’école afin que les parents respectent le marquage au sol. Or les villages n’ont souvent que deux employés municipaux.
Les enseignants, qui assuraient la « continuité pédagogique » via internet, vont devoir préparer leur classe et adapter les programmes au niveau des élèves après le confinement. Dans ces villages, ils gardent le lien et on ne peut parler d’élèves « perdus » ou « décrocheurs ». Mais pour certains, cela a été des vacances. Les parents ont baissé les bras, ne s’estimant pas capables d’aider leur enfant. De plus, la connexion et l’équipement informatique de la maison ne sont pas toujours à la hauteur.
Enfin, il faut aussi mener un travail auprès des parents. « Nous voulons préparer un protocole destiné aux parents afin qu’ils soient au courant de toutes les dispositions en détail », explique Alain Senée.
Plus de cantine
L’une des premières questions qui s’est posée a été celle du transport scolaire. Habituellement, les enfants du RPI sont amenés le matin à l’école et ramenés chez eux le soir. Il y a aussi un trajet le midi pour les conduire à la cantine, installée à Ménétréol-sous-Sancerre. Les élus ont décidé de maintenir les trajets du matin et du soir, et de supprimer celui du midi. Trop compliqué de désinfecter le car trois fois par jour.
La cantine a été supprimée. Les enfants devront apporter leur repas froid. Ils resteront dans la commune où ils déjeuneront dans une salle municipale. Ils s’y rendront à pied, accompagnés par un personnel municipal. « Les faire déjeuner dans la classe aurait nécessité de désinfecter ensuite l’école, là encore, trop compliqué », explique Alain Senée.
46 mètre carrés
Dans les locaux scolaires, il a fallu compter les mètres carrés. A Thauvenay, le directeur a pris son mètre : 46 mètres carrés. Sa classe scolarise 19 élèves – 8 en CM2, 8 en CM1 et 3 en CE2. En comptant les 4 mètres carrés par enfant exigés par les règles sanitaires, en ajoutant l’espace pour la sortie de secours, pour l’accès aux lavabos, aux toilettes…, il a calculé qu’il pourrait y avoir 8 à 9 élèves.
Alain Senée, qui enseigne à Thauvenay depuis 25 ans, a parlé aux familles pour connaître leur intention :.8 enfants devraient revenir dans sa classe. « Ils sont tous en cours moyens, les trois enfants de CE2 ne reviendront pas. »
» Pour moi qui ai les plus grands, ce ne sera pas le plus difficile, explique-t-il, mais pour mes collègues qui ont les plus petits, ce le sera bien plus avec les règles de circulation qu’il faudra imposer dans la classe, avec l’impossibilité de se toucher pour les enfants dans la cour…, des règles extrêmement difficiles à faire respecter par des petits qui sont avant tout dans le toucher. ».
A l’école maternelle de Saint Bouize, il a été décidé de ne pas reprendre les petites et les moyennes sections. Moins de 8 enfants devraient revenir. A Ménétréol-sous-Sancerre, la priorité a été donnée au CP, année charnière.
Aller chercher les masques
D’ici la reprise, les trois enseignants du RPI vont devoir aller chercher leurs masques. Ici, dans le Cher nord, ce sont les pompiers qui les distribuent. Dans le sud, ce sont les gendarmes. Le personnel municipal qui intervient à l’école est, lui, équipé par la commune. Lors de la réunion de lundi soir, les édiles ne les avaient pas encore reçus.
Pour organiser la récréation, l’équipe enseignante a pris contact avec la branche locale de l’USEP (Union sportive de l’enseignement du premier degré). Un ancien prof de sports à la retraite les a conseillés sur les sports et les jeux à distance où les enfants n’auraient pas à se toucher conformément aux exigences sanitaires Des jeux avec marquages au sol comme des marelles, des jeux de coins.
Vision au jour le jour
A l’approche de la reprise, Alain Senée s’inquiète du « climat très anxiogène » qu’il sent chez les familles et aussi chez les enseignants. « Que va-t-on pouvoir faire avec les élèves, notamment les plus jeunes ? Ne va-t-on pas passer son temps à contrôler le respect des consignes, que les enfants se lavent les mains après avoir toussé, éternué, après être allés aux toilettes ? »
En plus, tout n’est pas réglé. Que va-t-il se passer pour les enfants qui ne reprendront pas l’école ? Une classe virtuelle pourrait être mise en place pour les CE1 de Thauvenays. « Mais nous n’allons pas faire une double journée de travail, indique Alain Senée. Nous attendons les propositions de l’éducation nationale. »
« Ce qui m’inquiète aussi beaucoup, c’est que l’on ne prépare pas du tout la rentrée de septembre avec, cette fois, tous les élèves. Il n’y a aucune réflexion, aucune vision, comme si le ministère avançait au jour le jour. »
Le 18 mai, le directeur redoute une reprise stressante, lors de l’accueil des parents puis dans la classe. « Il nous faut réinventer une vie d’école, une vie de récréation, mais on ne peut pas réinventer les comportements des élèves. Toute cette ambiance fait peser un énorme stress sur les enseignants. »
Véronique Soulé