Lundi 11 mai, c’est la rentrée… Mais pas partout, pas sous la même forme… En Seine-Saint-Denis, l’un des premiers départements d’où est partie la fronde des maires, ce sera très inégal. Dans certaines communes, comme à La Courneuve, ce sera pré-rentrée pour les enseignants le 11, rentrée de certains élèves dès le 14. Pour d’autres ce sera un peu plus tard, le 18 mai, le temps d’appliquer le protocole sanitaire, comme à Montreuil. A Stains, ville dont le maire nous expliquait ses inquiétudes il y a peu, la reprise ce sera « peut-être le 2 juin ». Marie-Hélène Plard co-secrétaire départemental du SNUipp-FSU 93 explique le contexte.
« Ce retour sera sûrement partiel, avec des priorités pour les élèves les plus en difficulté »
Pour Virginie Sapia, représentante syndicale à Stains, repousser l’ouverture des écoles est une bonne chose. Agencement des locaux, personnel de nettoyage ou encore gestes barrières, rien n’est prêt pour un retour à l’école lundi 11 mai. Une position partagée par la municipalité qui a âprement justifié sa position auprès du préfet et des représentants de l’éducation nationale. « Il y a une réunion lundi 4 mai entre l’IEN et les services de la mairie. Ils sont parvenus à un compromis avec une rentrée à partir du 2 juin. Les soucis du bâti ne pourront être réglés d’ici là. Dans certaines écoles, il n’y a pas assez de points d’eau, dans d’autres les locaux sont si exigus qu’il est impossible d’y circuler en respectant la distanciation ». Pour autant, les élèves de la commune ne seront pas les grands perdants de cette « rentrée ».
L’enseignement à distance continuera, avec un renforcement du ciblage des élèves en décrochage. « La mairie cherche, en partenariat avec l’éducation nationale, des moyens pour toucher ces élèves et leurs familles. Ils évoquent des associations qu’ils vont pourvoir mobiliser ». Le 15 mai, l’inspecteur et les services de la mairie se retrouvent pour un point d’étape. « Mais même s’il y a un retour le 2 juin, ce ne sera pas un retour à la normal, c’est impossible. On ne pourra accueillir tout le monde, l’inspecteur nous a déjà demandé de réfléchir aux critères de priorité ». Du côté enseignant, c’est le soulagement qui prime. Beaucoup étaient inquiets de la reprise dans ces conditions, « ils ne savaient pas comment faire appliquer les gestes barrières, surtout en maternelle ».
« Au mieux, lorsqu’on nous a laissé le temps de réfléchir à l’organisation, ce sera un accueil éducatif, sinon j’ai bien peur que ca ne ressemble pas à l’école… »
« Le souci principal, comme sur tout le territoire national, c’est la précipitation dans laquelle s’organise la réouverture des écoles alors que nous sommes sur un territoire classé rouge avec une situation sanitaire toujours inquiétante » explique Marie-Hélène Plard. « Dans certaines communes, il y a un travail partenarial école-mairie-IEN qui a été entrepris et, bien souvent, cela a débouché sur une rentrée décalée au 18, au 25 mai voir au 2 juin afin de mener un travail plus approfondi autour de l’application du protocole sanitaire ». Le respect drastique du protocole ne doit pas faire oublier l’aspect pédagogique de cette reprise selon la responsable syndicale. « On ne va pas faire de l’école, cela c’est sûr. Malgré toute la mobilisation des enseignants, cette organisation laissera à la porte les 2/3 des élèves d’une école. Nous avons vu que la continuité pédagogique, ce n’est pas de l’école non plus. Il devient donc urgent de repenser les priorités ministérielles qui n’ont plus aucun sens ».
Autre source d’inquiétude, le volontariat. « Les premiers retours que nous avons des volontaires, hormis les parents exerçant des métiers prioritaires, ce se sont pas les enfants qui ont le plus besoin d’école. Alors que l’enjeu affiché est de réduire les inégalités et de raccrocher les plus éloignés, on va encore plus creuser les inégalités car il ne faudra pas se leurrer même si les enseignants auront à cœur de continuer à proposer des choses, ils ne pourront être aussi mobilisés que lorsque tout se passait à distance ». Une crainte que partage bon nombre des enseignants du département. « Au mieux, lorsqu’on nous a laissé le temps de réfléchir à l’organisation, ce sera un accueil éducatif, sinon j’ai bien peur qu’avec l’individualisation de la relation, ça ne ressemble pas à l’école… ». Alors quand on demande à Marie-Hélène quelles sont les solutions, elle répond immédiatement : « Laisser du temps. Du temps pour s’organiser, pour réfléchir, pour aménager spatialement les locaux, pour sélectionner le matériel… D’ailleurs, sur le département, on voit bien que certaines mairies qui voulaient ouvrir dès le 14 en prennent conscience et reculent sur la date. Selon moi, ce sont ces villes qui sont les plus responsables ».
« Dans mon école, nous avons sondé les parents et nous aurons très peu d’enfants, de quoi former trois groupes »
Isabelle Ravary est représentante du SNUipp-FSU à Clichy où la situation est à l’inverse de ce qui se passe à Stains. Ici c’est le maire qui met la pression pour une réouverture des écoles, allant jusqu’à placarder des affiches sur les murs de la ville. « La collectivité met tout en place pour que le protocole sanitaire soit appliqué dans toutes les écoles. Un représentant a fait le tour des écoles. Il a mis en place, avec les directeurs, des marquages au sol pour indiquer le sens de circulation, l’entrée des parents. Par contre du côté humain, ils n’ont pas du tout pensé au fait que les ATSEM étaient elles aussi attendues dans les écoles pour aider les enseignantes et gérer tout le nettoyage de matériel tout au long de la journée. Une société extérieure devrait aussi désinfecter quotidiennement les écoles ». Là aussi, seuls de petits groupes d’élèves retrouveront les bancs de l’école, et ce sera le 14 mai. « Dans mon école, nous avons sondé les parents et nous aurons très peu d’enfants, de quoi former trois groupes ». Ce qui tombe bien, puisque dans l’école d’Isabelle, il y aura seulement deux instits avec elle, ses autres collègues ne pouvant reprendre en présentiel (problèmes de santé et garde d’enfant). Pourtant le maire avait pensé à tout, allant jusqu’à proposer des places de crèches aux enfants de professeurs.
Le 11 mai, certains enseignants retrouveront leurs collègues, d’autres pas encore. Une disparité d’application d’une ville à l’autre et sur un même département qui interroge. Tout le monde commence à prendre conscience que ce qui va reprendre, au mieux le 12 mai, ce ne sera pas l’école. Ce sera un accueil, où comme l’a précisé Marie-hélène, « on va nous demander d’être l’enseignant d’un élève alors que nous sommes enseignant d’une classe. C’est le cœur même de notre métier qui change ».
En réalité, le véritable enjeu aujourd’hui, c’est de prendre le temps de réfléchir à ce que sera la rentrée, la vraie, celle de septembre. C’est celle-ci la véritable urgence.
Lilia Ben Hamouda