» Si le virus se propageait, qui en serait responsable ? Ma responsabilité de maire serait clairement engagée. La Seine-Saint-Denis paie déjà une lourde tribu à ce virus, ne l’amplifions pas ». Maire de Stains (93), Azzedine Taïbi annonce que les écoles de son territoire ne rouvriront pas le 11 mai. Il explique pourquoi.
Le 11 mai, le président de la République a annoncé l’ouverture progressive de toutes les écoles, vous vous y opposez. Pourquoi ?
Nous n’avons que très peu de visibilité sur les conditions de cette reprise. Le 13 avril, le président annonçait la réouverture des écoles mais depuis rien n’est venu clarifier cette annonce. Rien dans les différents discours des membres du gouvernement ne me permet d’être rassuré ou ne me donne des garanties sur la protection sanitaire. Je n’imagine pas un seul instant ouvrir les écoles le 11 mai. A l’heure actuelle, je n’ai pas les moyens de garantir la sécurité sanitaire de mes agents, des enseignants et des élèves. Je n’ai même pas suffisamment de tests pour tester tous nos agents… Quant aux gestes barrières, ils sont loin d’être applicables. On a parfois l’impression que le gouvernement ne sait pas à quoi ressemble une école ! La distanciation sociale est un mythe. En école primaire, je ne connais aucun enseignant qui pense qu’on puisse obliger des enfants âgés de trois à onze ans à rester éloignés d’au moins un mètre. Quant aux masques, pensez-vous sincèrement que les élèves peuvent les garder toute la journée ou qu’un enseignant peut enseigner avec ? Pour finir, le geste qui peut paraître le plus simple, le lavage des mains. Même s’il est possible d’effectuer plusieurs passages aux lavabos, les enfants touchent à tout en permanence. Il faudrait y passer la journée… Et puis, si plusieurs cas se présentaient et que le virus se propageait, qui en serait responsable ? Ma responsabilité de maire serait clairement engagée. Une raison de plus pour m’opposer à cette ouverture précipitée.
Alors à quand la réouverture des écoles ?
Je pense, tout comme le conseil scientifique du reste, que les écoles ne peuvent rouvrir réellement avant septembre. D’ici là, il s’agira de mettre en place une stratégie globale d’intervention entre les enseignants, les personnels municipaux et les parents d’élèves.
Pour autant, je suis conscient que les élèves de mon territoire sont en difficulté. La totalité des écoles de Stains sont classées en éducation prioritaire. Une majorité des écoliers vit dans des conditions précaires. Nous réfléchissions, avec mes services et les services de l’éducation nationale, à assurer une continuité pédagogique effective, surtout pour ceux qui ont disparu des radars. Mais il serait irresponsable d’ouvrir les écoles à l’heure actuelle, dans les conditions actuelles. Le président parle de guerre, là ce sont nos agents, les enseignants et les enfants qu’il envoie au front.
Certains disent qu’il va falloir s’habituer à vivre avec ce virus, bien sûr, mais laissons-nous du temps. Peut-être qu’on trouvera une solution qui permettra de stopper cette pandémie, peut-être pas. Mais laissons-nous le temps de nous organiser. Accepter une ouverture même partielle des écoles le 11 mai, pour moi ce n’est vraiment pas sérieux, c’est totalement irresponsable. De toutes façons, très franchement c’est malheureusement à l’image de la gestion chaotique de cette crise sanitaire.
Comment ont réagi les parents à votre annonce ?
Beaucoup de parents ont pris la décision de ne pas remettre leurs enfants à l’école. D’autres aimeraient avoir cette possibilité. Certains m’ont avoué que leur patron les mettrait dehors s’ils ne retournaient pas travailler. On met la pression sur ces pauvres employés et ouvriers. La question économique prend le pas sur la question sanitaire, c’est assez affligeant. On va hypothéquer la santé de nos enfants, de nos agents, de nos enseignants sur l’autel de l’économie. Un autre modèle est possible. Il est temps de repenser notre société. De remettre l’humain au centre de celle-ci. La Seine-Saint-Denis paie déjà une lourde tribu à ce virus, ne l’amplifions pas.
Et puis, la dernière annonce de Macron concernant un retour des élèves en classe basé sur le volontariat est une honte. C’est faire peser sur les épaules des parents la responsabilité de ce retour. Quoiqu’il se dise, les parents de Seine-Saint-Denis ne sont pas démissionnaires. Ils s’impliquent, ils s’investissent dans la scolarité de leurs enfants. Beaucoup pourraient se sentir obligés d’envoyer leurs enfants à l’école. Ce n’est pas un vrai choix qu’on leur propose.
Les inégalités se sont accrues lors de ce confinement, des inégalités sociales mais aussi d’apprentissage. Comment juguler cela ?
Macron a dit que le gouvernement prendrait ses responsabilités. Il s’agira de les prendre aussi lors des mesures de carte scolaire. A situation exceptionnelle, mesure exceptionnelle. Et on ne quémande pas, on demande juste une égalité des droits. Même en Seine-Saint-Denis on a le droit de vivre dans la dignité. On a le droit à une scolarité qui ne soit pas chahutée par le manque de remplaçants ou de personnel formé. Nous avons adressé un courrier au Ministre de l’éducation pour lui demander l’annulation des fermetures de classe prévues, le retour de l’accompagnement éducatif, qui a été supprimé sans aucune concertation… Nous ne demandons que le retour de ce qui a été supprimé ces trois dernières années.
De notre côté, nous réfléchissons dès maintenant à un partenariat avec les enseignants et les enseignantes, les directeurs et directrices d’école, les associations, tous ceux et celles qui pourraient apporter leur aide, en vue d’un accompagnement en-dehors du temps scolaire pour raccrocher les mômes les plus en difficulté. Et ce dès maintenant pour que nous puissions, d’ici cet été, récupérer tous ceux dont nous n’avons plus de nouvelles. Et ils sont nombreux. Lors de note dernière réunion avec le préfet et le directeur académique, celui-ci annonçait 7% d’élèves sortis des radars. Il est très loin du compte.
Et si l’état vous oblige à ouvrir les écoles ?
Je m’opposerais à cette ouverture. Je n’ouvrirais pas les écoles. Je n’enverrais pas mes agents. C’est un combat que je mènerais et j’espère que mes collègues maires me rejoindront. Il en va de la sécurité sanitaire de leurs administrés.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda