Dans deux avis rendus au gouvernement les 20 et 24 avril, mais que celui-ci n’a rendu publics que le 25 au soir, le Conseil scientifique Covid-19 émet un avis défavorable à la réouverture des écoles et établissements scolaires avant septembre mais propose des consignes pour la réouverture. Dans une lettre adressée au gouvernement le 17 avril, une large intersyndicale de l’enseignement lui avait demandé de suivre l’avis du Conseil scientifique. Elle se trouve maintenant face à la position ambiguë du conseil. Le gouvernement fera connaitre son plan pour l’école le 28 avril.
Un avis négatif sur la réouverture
« Le risque de contagiosité individuelle chez les jeunes enfants est incertain, mais parait faible. À l’inverse, le risque de transmission est important dans les lieux de regroupement massif que sont les écoles et les universités, avec des mesures barrières particulièrement difficiles à mettre en œuvre chez les plus jeunes », écrit le Conseil scientifique Covid-19. « En conséquence, le Conseil scientifique propose de maintenir les crèches, les écoles, les collèges, les lycées et les universités fermés jusqu’au mois de septembre ».
Réuni par l’Élysée, en lieu et place du Haut Conseil de la Santé Publique, et donc beaucoup plus proche du pouvoir, le conseil scientifique n’ose pas assumer le choix fait par Emmanuel Macron de rouvrir les établissements scolaires le 11 mai. Le conseil comprend des spécialistes médicaux mais aussi un « spécialiste du numérique » et une représentante du « milieu associatif » sous l’autorité du professeur Jean-François Delfraissy. On comprend ses réserves : le conseil estime que « la résurgence de l’épidémie reste possible ».
Cependant, le Conseil scientifique « prend acte de la décision politique prenant en compte les enjeux sanitaires mais aussi sociétaux et économiques, de réouverture progressive et prudente des crèches, écoles, collèges et lycées ». Il pose néanmoins des conditions à la réouverture des établissements scolaires qui sont exposées dans la seconde note.
Mais suivi de consignes de réouverture
Le Conseil scientifique publie des recommandations qui correspondent en gros aux annonces de JM Blanquer devant l’Assemblée nationale.
Le conseil s’oppose aux tests généraux des élèves et personnels pour des raisons pratiques. « Le Conseil scientifique considère qu’un dépistage massif par test diagnostique RT-PCR des élèves et de l’ensemble du personnel travaillant dans les établissements scolaires n’est pas envisageable ».
Le conseil, à la différence de l’académie de médecine, ne demande pas de prise de température frontale des élèves mais demande l’éviction des enfants porteurs de symptomes. « Tout symptôme évocateur d’infection COVID-19 chez un enfant constaté par le personnel de l’établissement scolaire doit conduire à l’éviction immédiate de l’enfant. En cas de doute sur les symptômes d’un enfant, une prise de température pourra être réalisée par un enseignant ou l’infirmière scolaire. Le Conseil scientifique ne préconise pas de prise systématique de la température des élèves considérant que cela n’élimine pas l’infection ce d’autant que la prise de température à un grand nombre d’enfants est difficile à réaliser sans rompre les règles de distanciation sociale. » Dans la situation d’un cas avéré de Covid-19 dans un établissement, le conseil demande juste la fermeture de la classe ou des classes de même niveau.
Le conseil estime que les masques « alternatifs », c’est-à-dire non médicaux, suffisent dans le milieu scolaire à partir du collège. « Des masques alternatifs de production industrielle ou artisanale anti-projection devront être portés par les personnels des établissements scolaires et par tous les enfants à partir du collège ». Avant le collège, il juge que le port du masque est impossible en maternelle, et à adapter en élémentaire.
Le conseil demande des conditions sanitaires très inférieures à celles de l’académie de médecine pour les locaux scolaires. Il n’est plus que question que de permettre le lavage des mains à l’arrivée et à la sortie des écoles et non pas plusieurs fois par jour. « Chaque élève et chaque membre du personnel des établissements scolaires doit être en mesure de procéder à un lavage des mains (eau, savon liquide, papier à usage unique) au minimum à l’arrivée à l’école avant le début de la classe et à la fin des cours, avant et à la fin de chaque repas et chaque fois que les mains auront pu être souillées par des liquides biologiques. » Les locaux devront être nettoyés plusieurs fois par jour : « Un bionettoyage de l’établissement (salles de classe mais aussi parties communes) en insistant sur les zones fréquemment touchées (poignées de porte, interrupteurs par exemple) devra être réalisé plusieurs fois par jour avec les produits adéquats et au mieux avec des lingettes désinfectantes pour les surfaces ».
Dans les salles de classe, les tables devront être espacées d’au moins un mètre de chaque coté. La même mesure devra être prise au réfectoire.
Des mesures pourront être prise pour les rythmes scolaires. « Si l’espace dans l’établissement est insuffisant pour accueillir les enfants avec les normes sanitaires qu’impose la distanciation sociale, les établissements scolaires devront réfléchir avant ouverture au rythme auquel ils peuvent accueillir les enfants dans de bonnes conditions sanitaires (un jour sur deux, 1 semaine sur 2, le matin vs. l’après-midi….) ». Les établissements devront organiser les journées pour que les classes ne se croisent pas ou que les niveaux ne se croisent pas. Cela implique un réaménagement des récréations.
S’agissant des personnels fragiles et à risque, le conseil scientifique préconise une mesure inapplicable. « Le Conseil scientifique préconise qu’une évaluation individuelle du risque soit réalisée par le médecin traitant avant le 11 mai pour ces personnels en ALD, recevant un traitement au long cours, ou estimant être à risque ».
Un accueil positif du ministre
Dans un tweet du 26 avril, JM Blanquer s’est félicité de ces avis du conseil scientifique. « Avec cette note du Conseil scientifique, nous avons la base pour l’élaboration du protocole sanitaire annoncé pour donner un cadre sûr au déconfinement scolaire. Ce protocole national sera la référence de tous les acteurs pour la préparation de rentrée », écrit-il.
Des études médicales pour la fermeture
La position ambiguë du conseil scientifique est prise alors que plusieurs études médicales plaident pour la fermeture des établissements scolaires. Une étude de l’Institut Pasteur montre que seulement 6% de la population française a été en contact avec le virus et qu’on est très loin de l’immunité collective. Le déconfinement amènera inévitablement une seconde vague de l’épidémie avec une nouvelle vague massive de décès. Le ministre, comme le grand public, dispose pourtant d’une étude épidémiologique portant sur un lycée, celui de Crépy-en-Valois. Il montre comment le Covid-19 s’est propagé très rapidement dans l’établissement. Début avril 2020, 38% des lycéens, 43% des enseignants et 59% des personnels non enseignants étaient infectés. Cela contredit tous les discours sur la faible contagiosité des enfants qui se multiplient en ce moment.
Les syndicats face à leurs exigences
Dans une lettre commune, onze organisations de l’éducation nationale, dont les syndicats Cgt, Faen, Fsu, Sgen Cfdt, Snalc, Sud, Unsa) et les parents de la Fcpe, avaient fixé leurs conditions pour une réouverture des écoles. Ils exigeaient « la mise en place d’une politique massive de tests qui devra correspondre aux préconisations du conseil scientifique et de l’OMS, la désinfection des écoles, services et établissements scolaires, la fourniture des matériels de protection (gel hydroalcoolique, gants et masques chirurgicaux ou FFP2) en quantité suffisante pour les agent.es et les élèves adaptés à la situation de travail de chacun », le maintien loin du travail des personnels et élèves fragiles et « des garanties concernant la limitation des effectifs par groupes dès le retour des élèves ».
Dans une lettre adressée au premier ministre le 24 avril , la Fsu rappelle ses conditions : « présenter devant le Parlement un avis du conseil scientifique attestant de la non-dangerosité globale à la date du déconfinement, précisant les conditions nécessaires de cette dernière pour limiter drastiquement le risque sanitaire, soumettre le déconfinement à la possibilité de tester massivement les adultes et les élèves au-delà des personnes présentant des symptômes: tout personnel ayant un doute quant à son exposition doit avoir la possibilité de se faire dépister ».
Le 21 avril, Stéphane Crochet, secrétaire général du Se-Unsa, disait au Café pédagogique : « On aimerait un avis du conseil scientifique avec des préconisations et un protocole. Pour s’organiser dans les établissements il faut un cahier des charges clair ».
Il est possible que les organisations n’aient pas la même lecture de ces exigences qui, comme nous le signalions dès leur publication, offrent des portes de sortie.
La position ambiguë du conseil scientifique ouvre clairement la voie à la reprise des cours alors même que le conseil souligne que cette décision est aventureuse sur le plan sanitaire et ne se justifie pas par une amélioration de la situation sanitaire. Avec ces publications, la réouverture des écoles et établissements le 11 mai est paradoxalement renforcée.
François Jarraud