A la manière des Coronapéro, pouvons-nous sabrer le Champagne par ENT (Espace Numérique de Travail) ou visioconférence ? J’en suis persuadé… Que les choses soient claires, cet écrit n’a pas comme vocation de convaincre quiconque que l’ordinateur permette un enseignement de meilleure qualité et que la machine serait substituable à l’enseignant. Je ne défends pas non plus la thèse utopique et farfelue de l’égalité d’accès au numérique. En ces jours où beaucoup se sentent esseulés, où certains de nos élèves décrochent (ou continuent de décrocher), où les cartes scolaires sont établies et ne permettent pas une prise en charge des difficultés territoriales, je ne souhaite pas m’attarder sur le négatif… Dans cet article, je souhaite partager avec vous ce que j’estime être des réussites me faisant regarder fièrement mes élèves, mais également, mes doutes sur « le jour d’après ».
Enseignant au CM2, dans une école de ville du Nord de la France (Waziers pour être précis), la question de la coopération durant ce confinement et du contact gardé avec les enfants et leur famille fut au centre de mes préoccupations professionnelles, comme pour nombre d’entre nous. Après quatre semaines d’enseignement à distance, le premier constat que j’ose formuler vaut pour enfants et adultes : pendant ce confinement, beaucoup d’entre nous ont pris conscience de l’importance des arts dans leur vie : le temps libre retrouvé, beaucoup peignent, lisent, écrivent, écoutent de la musique, regardent des films… Nous ne sommes plus simples consommateurs de divertissements, nous osons construire, essayer, tâtonner… Ainsi, il m’est quotidien (et toujours aussi heureux) de recevoir une création d’un enfant de la classe, souhaitant partager son œuvre ou sa découverte.
Justement… Un autre constat est la volonté de partage, rendu possible en 2020 grâce aux « nouvelles technologies ». Être seul ne veut plus forcément dire être éloigné des autres… Les enfants partagent les productions ensemble. Cette envie me semble remarquable à tous les niveaux : enseignants, enfants, éditeurs, artistes… Même si, n’en doutons pas, certains ont profité de cette façade altruiste pour réaliser des opérations de communication, il me plaît de croire que la majorité de ces actes sont purement désintéressés. Ainsi, nombre d’enfants de ma classe ont proposé de manière autonome ou impulsée de partager des recettes de cuisine, des productions plastiques, des textes, des photos de leurs jardins, des vidéos de leurs séances de sport, le fruit de leurs recherches et même des photos de leur barbecue dominical ! (Certains connaissent le culte que je voue à ce mode de cuisson).
Avec nombreux enfants, nous avons joué une pièce de théâtre dont l’audio a été monté pour faire en sorte que le dialogue semble réel et nous avons même créé une photo de classe, par photomontage, le jour où le photographe devait immortaliser notre groupe.
Parents, enfants et enseignant ont également créé une playlist commune, afin de combler, en musique, le silence pesant de l’isolement.
Pour celles et ceux qui ont la chance d’être accompagnés à la maison, des échanges intergénérationnels ont également eu lieu. Les parents réalisant et partageant des productions plastiques ; proposant des bricolages ; transmettant des recettes… Les élèves ont même rédigé un questionnaire à destination de ma grand-mère, venue réaliser un atelier « création de gaufres » à l’occasion des fêtes de fin d’année, afin de comprendre sa vie « Avant la télé » (comme le dit si bien Yvan Pommaux) et pendant la guerre.
L’omniprésence de l’informatique et des fameux « padlet », a permis de continuer un travail coopératif d’écriture en rédigeant des lettres, des entretiens… La création et le partage d’exposés et de recherches effectuées seul, en famille ou aidé par moi-même a permis une découverte et une transmission du savoir basée sur l’enfant, à la manière de ce qui se passe en classe.
La situation sanitaire étant ce qu’elle est, nos élèves ont dû grandir intellectuellement pour accepter, comprendre et digérer ce qui se passe autour d’eux. De cette situation inédite est ressortie beaucoup d’angoisse dans un premier temps, mais aussi, un peu plus tard, énormément d’empathie. Les premières questions lors de nos rencontres en visioconférence, de nos échanges d’email, de SMS… portent bien souvent sur l’état de santé physique ou mental des camarades, de mes proches ou de moi-même. Certains enfants ont également, de leur propre chef, rédigé des missives à destination de ceux qui sont « en première ligne ».
Ces valeurs que beaucoup d’enseignants, engagés ou non associativement, partagent dans leurs classes respectives, semblent avoir déteint sur les enfants. Adhésion à l’expression artistique, regard critique, partage, autonomie, empathie… Nous retrouvons des valeurs profondément humanistes, souvent oubliées dans les dérives scolastiques de l’école.
Mais le risque est grand, une fois la situation redevenue « normale », d’oublier ce que nous avons appris de cette période. A l’heure où beaucoup de classes sont surchargées (prenons l’exemple des classes de CE2-CM1-CM2 en REP et REP+ du fait du dédoublement des classes de CP et CE1 non compensé par des créations de postes), il ne faut pas oublier que c’est dans l’école, entre autres, que l’humain se développe. Comment, à trente élèves par classe, est-il possible de prendre part aux échanges, de se sentir considéré comme un individu unique lorsque l’on a entre 2 et 10 ans ? Comment permettre à un enfant timoré de sortir de son mutisme ou de sa parole formatée par une supposée attente créée par ce fameux « métier d’élève » ? Comment, tout simplement, un enfant peut raconter son week-end, un lundi matin, à celui ou celle qui passe de nombreuses heures à vivre avec lui ?
C’est dans cette institution que l’enfant se construit, par la relation avec ses pairs, mais également avec un maître, une maîtresse, un-e ATSEM, un-e AVS qui doit pouvoir être disponible.… La raison financière, les lois du marché ne peuvent et ne doivent pas s’appliquer à l’école. Comprendre cela et le faire remonter à notre hiérarchie doit permettre de faire accepter ce qui sonne comme une évidence durant ce confinement : les « fondamentaux » sont peut-être ailleurs… ils sont peut-être partout ! Dans la préservation de la santé tout d’abord, qui est une valeur reconnue unanimement et derrière laquelle tous les acteurs éducatifs se retrouvent, mais également dans les arts, le tâtonnement expérimental, la recherche documentaire, l’observation, le questionnement, la correspondance, les entretiens, les présentations de travaux… Il faut donc passer par ces moyens d’expression et de formation afin d’arriver à la connaissance jugée institutionnellement fondamentale. La jubilation comme vecteur d’apprentissage, la coopération et le maintien des droits de l’enfant, me semblent être, aujourd’hui plus qu’hier, des obligations !
Damien Bocquet
ICEM 59
Pour aller plus loin
1) Apprendre dans la jubilation
Une question
Faut-il des conditions inattendues pour développer son inventivité ?
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