Professeure de physique chimie en lycée, Aurélie Badard témoigne de la difficulté des limites de la « continuité pédagogique ». Comment enseigner pleinement, et pas seulement transmettre des connaissances, à distance ? Un regard simple et lucide sur ce qu’est l’Ecole…
Porter la classe à distance ?
Depuis plusieurs semaines, je tente de faire cours depuis ma chambre d’amis grâce à mon ordi, un logiciel de visioconférence et un tableau que mon mari a emprunté au bureau. Comme tous mes collègues, il a fallu que je m’adapte très vite à ces nouvelles conditions de travail particulières.
Dans un premier temps, suivant les conseils de nos inspecteurs de discipline, j’ai proposé à mes élèves de revenir sur des notions déjà traitées en classe afin de réactiver et d’ancrer les connaissances. Nous avons revu le cours ensemble puis je leur ai proposé des exercices, un temps de réflexion durant lequel ils pouvaient échanger entre eux via le tchat, puis je corrigeais restant à l’écoute de leurs questions.
Ensuite, je leur ai donné quelques devoirs à faire d’une séance sur l’autre mais en limitant au maximum ce travail en complète autonomie sachant pertinemment que les élèves connaissent parfois des conditions matérielles compliquées en cette période de confinement.
Malgré quelques problèmes techniques, ces séances se sont relativement bien passées, les élèves ont été plutôt assidus et ont joué le jeu mais, de mon côté, j’en ressortais toujours un peu frustrée.
Séances aseptisées
Je crois que ma crainte, à l’origine de ce malaise, a été de n’être là que pour transmettre un savoir décontextualisé, de ne pas me trouver beaucoup plus de plus-value qu’un tuto glané sur le net ?
Il faut être claire, l’interactivité avec les élèves et entre les élèves, bien qu’existante très ponctuellement par l’intermédiaire de l’écran, n’est pas la même que celle qu’on peut connaître en classe.
Comment transmettre son énergie, aller chercher les élèves, voir comment ils reçoivent ce savoir par le prisme d’échanges de mail ou de bribes de conversations numérisées ?
Qu’advient-il de l’enrichissement mutuel lié à la découverte de nos univers respectifs quand les séances deviennent aseptisées ?
Dépasser la barrière des écrans
Au bout d’une semaine, j’ai donc décidé de commencer toutes mes séances par une citation afin de parler d’autre chose que de ma discipline.
J’ai aussi partagé avec eux mes lectures ou les activités qui rythmaient mon quotidien leur demandant des conseils sur une série sympa ? un challenge sportif à ma portée ? Une recette de cuisine gourmande adaptée à mon niveau ?
La difficulté a été de dépasser la barrière des écrans pour récréer le lien qui peut exister dans une classe quand on a le sentiment de « construire du commun », de se confronter à nos difficultés, seul, en secouant nos petits neurones ou, à plusieurs, en s’entraidant, de rire de nos erreurs, de progresser ensemble pour connaître la jubilation liée à la maitrise.
A force d’imagination, j’ai retrouvé une partie de ce plaisir d’enseigner ces derniers jours mais qu’en est-il pour les élèves ? Je constate qu’il est compliqué de faire vivre ce sentiment d’être une équipe quand les élèves n’habitent pas le même quotidien, quand ils vivent des préoccupations tellement différentes, quand il n’y a plus l’école sanctuaire pour les protéger l’espace de quelques heures des maux de l’extérieur.
Inventivité pédagogique
L’excitation des premières heures liée à l’utilisation du numérique n’a pas laissé place à un réel engouement pour ces nouveaux outils dont les élèves ont très vite mesuré les limites.
Alors certains élèves, les plus matures, les mieux accompagnés, vont continuer à travailler mais ceux qui avaient déjà du mal à donner du sens aux apprentissages, sans cette stimulation liée au groupe ont déjà renoncé, ils ont désactivé la machine à penser parce que, surtout quand l’actualité est aussi anxiogène, il est difficile de se battre tout seul pour dépasser ses difficultés.
J’ai demandé à mes élèves de me dire ce qu’ils trouvaient difficile pendant ce confinement ? Ils regrettaient le peu d’échanges et de partage. Ils trouvaient difficile de se motiver quand on reçoit des quantités importantes de documents à étudier seul. Les cours en visioconférence sont plus motivants mais ils déploraient d’absence de « l’esprit classe » des mois précédents pour s’entraider.
Je repense ces derniers jours souvent au colloque « Où vont les pédagogues ? » auquel j’avais assisté il y a quelques années et à P. Meirieu qui parlait de « l’inventivité pédagogique qu’il est nécessaire de réhabiliter sans cesse face à la fascination techniciste et face aux défis de société auxquels nous avons à faire » … 5 années se sont écoulées depuis ces mots mais je trouve qu’ils résonnent encore plus fort aujourd’hui.
Je ne sais pas quand nous reprendrons les chemins de l’école, quand les conditions sanitaires nous permettront d’étudier en toute sécurité mais je sais que cette pause aura eu le mérite de nous poser des questions essentielles sur la nature de notre métier et sur ce que nous souhaitons faire de notre présence dans cette si belle, mais si fragile, institution.
Aurélie BADARD
Professeure de Physique Chimie
Lycée Lurçat (MARTIGUES)