« S’il y a une seule catégorie d’élèves à faire revenir à l’école, ce sont eux ». Plus que d’autres, les élèves à besoins particuliers ont besoin du cadre, de « l’asile » que représente l’école. Professeure de lettres en collège, Isabelle Ducos Filippi est aussi formatrice dans l’académie de Créteil pour la prise en charge des élèves à besoins éducatifs particuliers. Elle montre l’importance de l’école pour ces jeunes.
La période actuelle rend-elle l’école moins inclusive ?
L’école inclusive c’est d’abord un lieu, un environnement où chaque enfant est pris en compte dans sa singularité. L’école inclusive c’est des personnes, des bâtiments. Or la période actuelle est celle de l’école dématérialisée. Le confinement renvoie chacun à l’extérieur de l’école. Les élèves à besoins particuliers ont besoin d’une prise en charge collective. Or ils se retrouvent, à un degré plus ou moins fort, dans l’isolement.
Quels problèmes particuliers cela pose t-il ?
Ce sont des problèmes liés à la distance physique avec l’école. C’est d’abord leur manque d’autonomie face aux outils numériques et aux apprentissages en général. Ce sont des élèves pour lesquels le manque de flexibilité mentale fait qu’ils ont plus de mal à s’adapter à la nouveauté. La complexité du numérique, la multiplicité des sources, l’éclatement des modalités de transmission, la diversité des demandes des enseignants les touchent particulièrement.
Par exemple, quand les demandes des enseignants passent par WhatsApp pour l’un, par l’ENT pour l’autre, par Zoom pour une troisième enseignante, ils ont du mal à rassembler toutes ces informations. Si je prends l’exemple de ma classe de 4ème, sur 28 élèves 5 élèves sont perdus de vue dont 3 à besoins éducatifs particuliers sur les 6 que compte la classe. Ca fait beaucoup.
Quels outils, quelles méthodes pour y remédier ?
Il s’agit d’abord de démarche avant de s’occuper des outils. D’abord il faut garder le contact avec eux et ne pas se résigner à ne pas en avoir. Pour cela il faut un seul interlocuteur et non pas les multiplier. Un seul enseignant pour dispatcher le travail et les informations. Et pour le contact et le travail n’utiliser que des outils mis en place solidement avant la fermeture, connus et utilisés par l’enfant.
Ce sont des conseils valables pour tous les élèves !
Mais c’est la grande leçon des élèves à besoins éducatifs particuliers : ils nous ofnt réfélchir aux mesures à prendre pour aider tous les élèves.
Il y a quand même des outils spécifiques. On va oublier le tout écrit. La culture de l’écrit est renforcée dans l’école à distance. On va accepter pour ces élèves des réponses orales, enregistrées car écrire est plus difficile pour ces élèves quelque soit leur handicap. Il faut chercher d’autres biais de contact. En ce qui me concerne j’utilise le coup de fil individuel et l’expression orale. Le lien de personne à personne est ce qu’il y a de plus efficace.
Il faut aussi savoir lacher prise. Dans les premiers temps les enseignants se sont trouvés face au vide de l’école à distance et ils ont eu tendance à donner beaucoup de travail. Il faut adapter le travail au réel de ces élèves.
La continuité humaine est la grande priorité avec ces élèves. Il faut savoir accueillir leur parole, leurs émotions. C’est le préalable aux apprentissages.
La réouverture est une bonne chose pour ces élèves ?
Oui mais avec un préalable : il faut évacuer le risque sanitaire. Or il est particulièrement important pour ceux. Faire passer la notion de gestes barrières ou de distanciation sociale peut être particulièrement difficile avec eux. Il faut donc faire rentrer de tous petits groupes.
Si on règle cette question, la réouverture est une très bonne chose car le distanciel fait que ces élèves se retrouvent seuls face à leurs difficultés sociales, familiales, éducatives qui sont plus importantes que pour d’autres.
Pour ces jeunes, l’école est véritablement un asile, un havre dans lequel, indépendamment de leurs difficultés, ils peuvent construire leurs apprentissages. S’il y a une seule catégorie d’élèves à faire revenir à l’école, ce sont eux.
Propos recueillis par François Jarraud