A la crise sanitaire particulièrement grave que traverse le pays, est en train de s’ajouter chez une grande partie des enseignants une incompréhension de la politique menée par le gouvernement. Cette situation n’existe que par la posture prise par un gouvernement qui parle beaucoup mais ne met pas en débat ses choix. Or les enseignants méritent la vérité.
Le déni de la reprise
« On voit des collègues qui sont persuadés qu’ils seront dans leur classe le 11 alors qu’on parle bien de progressivité et pas partout, non? ». Cette remarque, lue sur Twitter le 16 avril, nous l’avons également entendue chez de nombreux enseignants avec qui nous avons été en contact depuis le 14 avril.
Nombreux sont les professeurs, aussi bien dans le premier que le second degré, qui ont compris que la réouverture des classes et des écoles ne serait que très partielle en mai voire même en juin. Cela nous revient presque à chaque contact avec un enseignant sans que ces professeurs puissent faire état d’une instruction officielle en ce sens.
Certains croient que la reprise sera tellement « progressive » qu’elle s’étalera sur un temps très long. D’autres saisissent le mot « progressif » dans le sens où la réouverture ne concernerait qu’une petite partie des écoles et des établissements.
Brouillard sur les décisions
Bien des éléments de la communication ministérielle alimentent ces positions. Par exemple, le ministre a d’abord dit que le retour des élèves ne serait pas obligatoire avant, le lendemain, de rectifier et de rappeler l’obligation scolaire. Le président a exclu les étudiants que le ministre compte, lui, voir dans les lycées en STS et CPGE. Le ministre parle « d’expérimentations ». Il multiplie les déclarations sur les petits groupes qui pourraient être pris en charge par le périscolaire. Ces contradictions (il y en a d’autres) alimentent les rumeurs et finalement l’incompréhension devant ce qui est attendu le 11 mai.
Bien sur, personne n’imagine que tout va redémarrer comme s’il n’y avait pas eu d’interruption depuis le 13 mars. Il va falloir faire une pré rentrée des enseignants et voir dans chaque école comment on s’organise. Ce temps de reconstitution de l’équipe est une étape précieuse et indispensable.
Mais au final, ce qui est attendu par le gouvernement c’est la reprise des cours à la mi-mai dans toutes les écoles et les établissements. Même s’il y a des groupes allégés, tous les élèves seront pris en charge pour que les parents puissent aller travailler.
Il faut réécouter le discours d’E Macron du 13 avril. » A partir du 11 mai, nous rouvrirons progressivement les crèches, les écoles, les collèges et les lycées. C’est pour moi une priorité car la situation actuelle creuse des inégalités… C’est pourquoi nos enfants doivent pouvoir retrouver le chemin des classes. Le Gouvernement, dans la concertation, aura à aménager des règles particulières : organiser différemment le temps et l’espace, bien protéger nos enseignants et nos enfants, avec le matériel nécessaire… Le 11 mai, il s’agira aussi de permettre au plus grand nombre de retourner travailler, redémarrer notre industrie, nos commerces et nos services ».
La peur ne justifie pas le silence
Mais il y a le déni. Evidemment la peur y est pour quelque chose. Il est parfaitement normal que les enseignants ressentent de l’angoisse à l’idée de revenir dans leur école ou leur établissement en pleine crise épidémique alors qu’aucun traitement n’a pour le moment été trouvé. C’est même nécessaire pour prendre la situation avec sérieux, s’organiser pour faire au mieux et imposer le maximum de protection des enfants et des adultes.
Mais ce déni est aussi alimenté par la communication gouvernementale. Ni Emmanuel Macron, ni Jean-Michel Blanquer ne se sont clairement exprimés sur les raisons de cette réouverture le 11 mai. Ni sur la date, ni sur les raisons.
Personne ne croit que la reprise soit due au grand souci social d’un ministre qui a divisé par deux les budgets sociaux des établissements secondaires. Mais présenter les choses comme cela peut laisser croire que seule une partie des élèves sera convoquée en mai. Emmanuel Macron parle de redémarrage économique mais il ne s’attarde pas sur le sujet. Il n’a pas non plus donné de justification sanitaire à sa décision alors que c’est pour ralentir l’épidémie qu’il a fermé les écoles en premier. Les rouvrir maintenant en premier parait d’autant plus incompréhensible.
Expliciter les choix politiques
Pourtant tous les pays européens sont devant la même situation et les enseignants le savent bien. Il y a l’impératif de relancer l’économie alors qu’elle est en train de s’effondrer. Le gouvernement annonce une baisse du PIB de 8% en 2020. L’Insee donne -6% par mois de confinement ce qui nous mène à -12%. La chute du PIB concrètement c’est le nombre de chomeurs qui explose de façon durable car les entreprises qui disparaissent ne vont pas toutes renaitre spontanément. C’est aussi moins de ressources dans le pays notamment pour financer les services publics.
Il y a aussi un choix de politique sanitaire à faire face à l’épidémie. En l’absence de traitement, ce que tentent les gouvernements c’est d’étaler la propagation du virus pour atteindre un taux de contamination qui mette fin à sa circulation sans noyer les ressources hospitalières. Le confinement a empêché l’explosion du nombre de malades graves. Mais, sans traitement, la nécessité de gérer l’épidémie demeure. Et cela a à voir avec la reprise « progressive » des scolaires et particulièrement des enfants ayant des parents très jeunes. Si on n’explique pas sa politique la décision semble aberrante ces enfants étant les plus susceptibles de se repasser le virus.
Les enseignants sont des acteurs pas des objets
Des gouvernements ont expliqué tout cela. Mme Merkel, par exemple, a expliqué ce que voulait dire le taux de contamination. Le gouvernement de la Fédération Wallonie Bruxelles le fait aussi quand il parle de la réouverture des classes.
En France, ni E Macron, ni JM Blanquer ne parlent de l’impératif économique alors qu’il est évident que c’est lui qui guide leur politique. Ils n’ont donné aucun argument sanitaire à leur surprenant revirement concernant l’ouverture des écoles.
Ils pensent ainsi éviter le débat. Or, à l’évidence, ces choix doivent être débattus. Pour réussir la reprise les enseignants doivent être des acteurs conscients pas des objets. Les enseignants ont le droit de savoir pourquoi on leur fait prendre de tels risques. Ils ne doivent pas être les objets d’une politique gouvernementale mais bien en être les acteurs. Sans leur collaboration on risque fort d’aller à la catastrophe. Or ils sont parfaitement à même de faire les choix nécessaires, même quand ils ne sont pas faciles. Comme enseignants ils sont confrontés à des situations difficiles et assument au quotidien leur rôle d’adulte dans la classe.
Cette exigence de vérité est une exigence d’éthique. Or il faut bien dire que c’est sur ce terrain que le ministère actuel pêche. On l’a vu , au nom de l’efficacité, demander aux jurys d’inventer des notes pour le bac 2019. On l’a vu , au nom de l’efficacité, accepter de donner le bac sur livret scolaire aux élèves des établissements hors contrat en 2020. On le voit maintenant, toujours parce que ça semble plus efficace, faire le choix de la réouverture sans l’expliquer et entretenir le brouillard sur son application. Le résultat n’est pas efficace : c’est le déni qui s’installe et les crises à venir. Le débat doit s’ouvrir.
François Jarraud